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Billet de blog 21 juillet 2017

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Et revoilà les OQTF!

Jeudi 20 juillet, la préfecture sous la forme de ses fonctionnaires zélés a déboulé dans la rue où vivent depuis quatre mois treize familles roms, que la mairie de Montreuil a jetées à la rue il y a un an. Bilan : une dizaine d'OQTF. Et combien d'enfants traumatisés ?

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Illustration 1
Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski

Treize familles, une quarantaine de personnes dont la moitié d'enfants dans une ville de plus de cent mille habitants, en plein boum démographique depuis le début du siècle : une goutte d'eau. Mais cette goutte d'eau, il paraît qu'elle fait déborder le vase de la population montreuilloise : il n'y aurait plus de place pour ces hommes, ces femmes, ces enfants qui vivent à Montreuil depuis plus de dix ans.

Dans une semaine, cela fera un an jour pour jour que ces treize familles roms ont été expulsées de leurs habitations du quartier de la Boissière et jetées à la rue. Douze mois de vie sans abri, sur les trottoirs, au pied des immeubles de béton frais qui poussent plus vite que le chiendent dans cette commune du Grand Paris où seuls les promoteurs ne manquent jamais de terrains. Mais ils ne construisent pas pour les pauvres, et surtout pas pour les Roms.

Illustration 2
Des passants dans la rue Jean-Moulin, Montreuil juillet 2017 © CB

À la fin de l'hiver, les familles se sont installées dans une rue à l'écart, très peu passante, entre le cimetière et le funérarium. Depuis quatre mois, elles dorment dans de vieilles voitures hors d'âge et sans moteur, dans la chaleur extrême de l'été, sous l'orage qui effraie tant les enfants. Qui gênent-elles ? Ah, bien du monde, « si vous saviez madame ! » Répond une employée de la mairie qui passe distribuer des sacs poubelles. Sur les réseaux sociaux, on attrape au hasard des propos romaphobes : des montreuillois se plaignent de ce « camp de Roms » qui transforment la rue en « déchetterie annexe » et occupent un bord de trottoir où ces braves gens ne peuvent plus garer leur auto. Les voilà donc, les fameux riverains excédés dont la seule préoccupation est de garer leur bagnole à l'aise. Plutôt que de réclamer l'expulsion des familles, ces honorables automobilistes montreuillois devraient exiger de leur maire qu'il les reloge : ça réglerait le « problème ». Mais il leur faudrait réfléchir et sortir de l'égoïsme.

Et sortir de l'ignorance. Car de déchetterie, point. Les hommes et les femmes qui vivent avec leurs enfants dans des conditions qu'aucun d'entre nous ne supporterait, avec un courage et une détermination qui forcent l'admiration, sont des biffins. La biffe, c'est le travail de récupération des objets jetés par la population mais qui peuvent encore servir, leur tri et leur revente sur les marchés aux puces. Montreuil se réjouit, à juste titre, d'organiser régulièrement des marchés aux biffins sous la halle de la Croix de Chavaux, auxquels participent les familles roms. Entre deux marchés, où entreposer la marchandise quand on n'a pas d'abri pour se loger soi-même ? Autour de la voiture-maison, près du mur du cimetière, là où l'on peut.

Hier, à 7 heures, la préfecture de Seine-saint-Denis qui ne doit pas avoir grand chose à faire en ce moment, s'est trouvée une occupation : venir enquiquiner les treize familles roms de Montreuil dès potron-minet, à l'heure du petit déjeuner et des premiers départs pour la biffe. Depuis qu'une « dame de la mairie » est venue faire le recensement intégral de tout le « camp », on s'attendait à quelque chose d'à la fois idiot et cruel, on l'a eu : la distribution d'une grosse dizaine d'OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Beaucoup de flics, beaucoup de bruit, beaucoup d'angoisse et de tension, suffisamment pour terroriser Alberto, vingt mois, qui tressaille comme les autres petits dès qu'il entend une sirène de police. C'est ce que m'a raconté sa maman, car nous, les gadjé, les amis des familles avec lesquelles des liens forts se sont noués depuis un an, nous n'avons pas été avertis tout de suite : les flics ont interdit aux roms de sortir leur téléphone portable sous peine de confiscation. L'abus de pouvoir, c'est la routine de la police française face aux pauvres, aux Noirs et Arabes des banlieues, aux Roms, aux réfugiés. Cette même police française qui s'est illustrée sous le régime de Vichy par son efficacité lors de la rafle du vél' d'hiv'.

Que leur reprochent les autorités du pays des Droits de l'homme, et qui motive cet ordre impérieux de quitter "le territoire" sous trente jours ? De ne justifier « d'aucune activité professionnelle.» Ah ! si : ils sont biffins. Vous pouvez les voir au travail sur tous les marchés aux biffins du quartier, il n'y a qu'à ouvrir les yeux. Non mais c'est pas un vrai boulot ça biffins, c'est pas reconnu par les autorités, ça existe pas biffins, biffins ou rien c'est kifkif. Il faudrait peut-être revoir le statut des biffins et autres vendeurs de rue, pour que ça règle le « problème » ? Mais pour cela il faudrait porter attention aux plus pauvres. Les familles « sans activité professionnelle » seraient donc « en situation de complète dépendance par rapport au système d'assistance sociale français. » Ah, non. Encore raté. Elles ne touchent aucune allocation, compte tenu de la complexité des démarches à accomplir elles se sont depuis longtemps découragées et c'est tout un boulot de courir derrière les papiers et les formulaires pour tenter de les aider à obtenir un peu quelque chose, des soins dentaires quand la douleur devient insupportable. En revanche, quel est le coût d'une telle mascarade jouée à l'aube par plusieurs dizaines de fonctionnaires mobilisés par la préfecture ? Il faut arrêter le mensonge et l'hypocrisie, s'intéresser un peu à la vraie vie des gens. S'intéresser aux Roms ? Vous n'y pensez pas !

Alberto a eu peur, ce vingt juillet au matin. Mais comme ça ne suffisait pas, la police a aussi pris la voiture de ses parents et celles de ses grands-parents, avec toutes les affaires dedans. Pourquoi ces trois voitures là et pas (encore?) les autres ? Nul ne sait, c'est comme ça en France. Et Alberto a retrouvé le trottoir et la tente qu'il connait déjà bien, du haut de ses vingt mois.

Les OQTF, ce ne sont pas les premières, et elles seront contestées. Nous nous activons pour préparer les documents nécessaires, les scanner, remplir encore des formulaires pour tenter de défaire l'injustice commise en notre nom ce matin. C'est le soir, les gamins qui s'habituent à leur vie de paria de la République jouent pour surmonter leur frayeur matinale, Larissa fête son anniversaire de dix-huit ans, le ciel est clair malgré quelques nuages et un vent qui fraîchit. La mairie a fait dire par la dame des sacs poubelles qu'elle ne voulait plus voir aucun meuble dans la rue, plus de table, plus de chaise, plus rien sous peine d'expulsion immédiate ! Alors, avec les enfants, on savoure l'excellente purée de Luminitsa, assis par terre.

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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017, anniversaire de Larissa © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski
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Montreuil, 20 juillet 2017 © Gilles Walusinski

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