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Billet de blog 4 octobre 2024

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Je suis immortel mais je me soigne

Ce n’est pas le tout d’être immortel, encore faut – il pouvoir défendre son statut auprès d’un public sceptique, parfois hostile. L’immortel doit donc convaincre son auditoire, avant que de récuser tout moratoire.

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Illustration 1

Un jour, immortel et incassable se baladaient tranquillement au bord de la falaise. Pris de vertige, le sol se déroba sous leurs sens, et ils chutèrent. Incassable ne se cassa pas, mais il mourut, intact. Immortel fut brisé, mais vivant. De tous les statuts réputés inachevables, celui d’immortalité semble donc préférable pour qui a quelques projets de son vivant. Mais qui veut n’est pas qui peut. Le mortel ne nait pas immortel, ce qui eut été contradictoire dans les termes. Pour survivre à la fin de son histoire, le mortel devra biffer sa feuille de route existentielle, empêcher son programme de converger vers le point fixe qui l’attend. Pas simple, il s’agit quand même de faire un bras d’honneur à la grande faucheuse, et de prolonger l’horizon des possibles jusqu’à l’infiniment vivant.

Mais attention. L’homme raisonnable n’est pas prêt à gober n’importe quelle ânerie. Il lui faut quelques formules ou autres prières qui agrippent sa pensée. Car l’homme raisonnable est doté d’un cerveau qui l’oblige, crédule mais pas trop, il ne peut feindre durablement l’enthousiasme d’un Lou Ravi. Alors, pour la forme, il dubite.   

« Notre pâle raison nous cache l’infini !

Nous voulons regarder : – le Doute nous punit !

Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile…

– Et l’horizon s’enfuit d’une fuite éternelle »

Rimbaud

Mais cela ne dure jamais très longtemps. C’est plus fort que lui. Depuis qu’il pense à l’instant d’après, l’Homme louche sur son avenir funeste, et n’y voit qu’un futur saturé d’impasses. Il ne peut se résoudre à son statut bancal, en équilibre instable entre le vide et le néant. Alors il craque. Par l’absurde il démontre que l’immortalité est un concept assez fumeux, mais tellement moins anxiogène que le trépas. Et puis ce n’est pas comme s’il était tout seul. De tout temps, le mortel a tenté de tirer cette histoire au clair. Les Grecs les premiers envisagèrent la politique comme seul salut garantissant l’immortalité des idées, des valeurs. Très ambitieux. Plus pragmatique le religieux confia cette tâche à un sous – traitant. Dieu. Il s’agissait alors de ne plus se soucier de l’avenir puisqu’il lui était garanti. Enfer ou paradis était une question secondaire. 

Eurêka ou Alléluia

Et puis vint l’Homme qui avait le melon, celui qui faisait des additions, puis des multiplications. Sa religion semblait terriblement efficace. Tout ce qu’il appelait de ses prières se réalisait comme par enchantement. On veut aller dans l’espace ? On inventa des fusées. On veut se taper dessus ? On inventa les armes. On veut tout faire péter ? On inventa l’arme nucléaire. On inventait même des trucs dont on n’avait pas besoin du tout. Juste parce qu’on savait les faire. Que des miracles certifiés conformes. Et de toutes les religions, la science est quand même celle qui a produit le plus grand nombre de papes. Mais tous ne se valent pas. En particulier lorsqu’il s’agit de soulever un interdit, la jupe d’Isis de la science : l’immortalité. Car la science vise haut, le pompon, le Graal, l’inaccessible, le mort qui se tire par les cheveux pour sortir de la tombe, ou de la cruche. La science essaie tous les flancs de montagne : survie du corps, survie du moi, survie de l’univers. La tâche est immense, d’où la variété imposante de chercheurs qui cherchent. On les appelle les transhumanistes ou post humanistes, qu’importe c’est la même boutique.

Le corps obtus

Les savants de cette trempe ne promettent qu’une immortalité fonctionnelle, pratique mais provisoire. On vous change tout ce qui cloche. Et même ce qui ne cloche pas, on finit par vous le changer aussi. Un genre de bateau de Thésée tout neuf prêt à embarquer de nouveau. Mais un bateau qui échouera un jour ou l’autre, faute de mer où voguer. Car on peut survivre à son propre corps, mais il y a bien un jour où ce corps n’aura plus où aller, faute de planète habitable ou d’univers où errer. Et la carte Mister freeze n’y changera rien. Même cryogénisé pour une durée indéterminée, vous n’échapperez pas à la mort du congélo assassiné par la mort de l’univers. Et encore, il s’agit là d’une thèse bien optimiste. Car imaginons maintenant que vous perdiez la boule. C’est alors un autre que vous qui vous survivra, un gars qui n’a rien à voir avec vous, ni avec personne du reste. En effet, nous avons alors affaire à un zombie, un corps sans âme, un canard sans tête. Se pose alors une question qui mérite quelque réflexion : à quoi bon vivre en zombie ? Mon moi n’est plus, ne reste que l’emballage. C’est quoi le projet ? C’est une question difficile qui n’a pas encore été tranchée par les spécialistes du genre. En effet, quel intérêt de faire gigoter un bout de bidoche désincarné pour l’éternité ? Dans le même genre, il y eut l’histoire de l’Homme grenouille (George Foster) qui se mit à « revivre » grâce à l’électricité qu’on lui passer dans le fion.

Le moi nomade

D’autres ont alors pensé à l’immortalité du moi, le truc très perso qui loge dans la caboche, quitte à faire l’impasse sur l’habitacle. Après tout, qu’importe d’avoir 2 pattes, 1 nez, et autres ornements naturels, le corps est finalement bien encombrant, autant faire sans. Ce qui compte c’est ce qui se passe dans la tête de la bête. On appelle ça la conscience de soi, ou métacognition, ou cogito, un genre de « je sais que je sais que… ». D’abord le moi, le reste on verra, si on a le temps. C’est la thèse des fonctionnalistes, la victoire du software sur le hardware, du programme sur le programmeur, du gène sur l’épigénétique. En d’autres termes, Dieu a perdu au jeu de Go contre la machine de Turing universelle. Mais bon, si la survie du moi est à ce prix, il est fort probable que nous soyons prêts à le payer. Après le chat GPT, nul doute que la prochaine étape sera le swap GPT, où au crépuscule de votre nuit éternelle il vous sera proposé d’uploader votre moi en version digitale, résumée, découpée, optimisée, en vecteurs. Et au cas où, on en fera quelque copies sur clefs USB, ou envoyées par mail à des adresses imaginaires, comme des bouteilles à l’amer ou errant dans le Cloud. Sauf que même le Cloud ère quelque part, dans un espace virtuel ou ailleurs, mais il erre forcément dans quelque chose plutôt que rien. Et nous revoila confrontes au problème suprême. Si le rien disparait un jour, comment notre moi biologique ou digital pourrait – il survivre ?  En d’autres termes, comment survivre à la mort de l’univers 

Le bras d'honneur cosmique

C’est là qu’intervient la masterclass du techno – scientisme. Celle qui envisage l’immortalité XXL. L’immortalité qui survit à la mort de la mort de la mort de l’univers. Certes, il faut faire preuve d’une certaine ouverture d’esprit. Mais si l’on est friand de nouvelles fantastiques, ça passe. Après tout, quel risque prend-on à écouter un rêveur ? On n’est pas obligé de le suivre, juste se laisser bercer par l’histoire qu’il nous raconte, car il y met les formes quand même. Il sait très bien de quoi il parle, et a fait l’effort de potasser son sujet. La fin de l’univers c’est quand même une histoire sérieuse et 100 % probable, à priori. Car oui, l’univers aura aussi un jour des cheveux blancs, lui aussi peut connaitre une fin brutale ou faner à petit feu. La mort soudaine de l’univers peut survenir de multiples façons, à la suite d’un infarctus (false vacuum decay), d’un suicide (big crunch), d’un AVC agressif qui vous laisse comme un légume (big freeze), ou d’une sénilité subite (big rip). Quant à la mort à petit feu, elle survient le plus généralement à la suite d’une maladie longue et invalidante (heat death). Et quand bien même l’univers résisterait à sa triste condition, peut – être alors un programmeur lui clouerait le bec en appuyant sur Echap, fin du programme et mort subite de la simulation existentielle. Une thèse déjà bien exploitée par la littérature de genre, le cinéma en 3D, et la philosofoire. Mais les physiciens ne crachent pas dans la soupe, avec leur cerveau BB.

L’affaire semble donc mal embarquée pour le vivant qui a pour projet l’éternité. Mais la littérature para – scientifique est hystérique et peut s'appuyer sur une pataphysique en rut, On peut sauter directement à la fin du roman : « la mort de l’univers ne passera pas par moi ». Car quelle que soit la mort de l’univers envisagée, réelle ou simulée, aucune ne résiste à la plus populaire des pirouettes scientiste. Irrécusable car indémontrable. C’est la thèse des univers multiples : « mon univers est en train de mourir ? Pas grave je vais aller dans celui d’à côté », par une fluctuation quantique, ou en fermant les yeux. Mais c’est encore plus fort. Car même si vous voulez vraiment mourir, vous ne pourrez pas. Vous êtes un peu partout à la fois en vérité. Le suicide quantique est récusé par les univers multiples. Même mort dans un univers, il restera toujours un vous vivant dans un autre univers. Rassuré ? Quand même, imaginons que les univers multiples n’existent pas. L’immortalité tombe à l’eau ? Non, aucun problème. On fera en sorte d’envoyer des sondes de Von Neumann au fin fond de l’univers, capables de s’autorépliquer en des modèles toujours plus intelligents, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la tarte à la crème techno - scientiste : la singularité. Le gars tellement intelligent qu’il est même encore plus intelligent que lui-même. Suffisant pour déjouer les lois même d’un univers tout nu. Le tour est joué. Perso, j’y crois presque.

Finalement, pas si compliqué. Un peu d’imagination, de bon sens pratique, et nous voilà sauvés. Juste suivre la feuille de route.

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