Se défendre contre la transphobie et l’extrême droite

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*L'intervention retranscrite ici intervient après celle du collectif C.A.R.TE. (qui a composé une précieuse cartographie des mouvements TERFS, accompagnée d'une brochure explicative), celle de l'ASQF (qui a nous a offert une brillante explication de l'article de Claire Vandendriessche "Pourquoi y a-t-il de plus en plus de transitions masculinisantes chez les jeunes ? ", et du court-métrage L'Appel à la Nature (récemment supprimé sur Youtube, puis remis en ligne sur un autre compte), que nous vous conseillons de visionner*
Elle est également écoutable directement ici.
"Tout comme les formidables interventions qui l’ont précédé, ce court-métrage est l’un des nombreux exemples d’outils possibles de lutte contre la transphobie. Et nos colossales difficultés à le diffuser gratuitement sont aussi un exemple du traitement de défaveur octroyé par les GAFAM (Google, Apple, Facebook , Amazon et Microsoft), qui nous empêchent d’être visible, ruine nos efforts, décourage et isole.
Il y a mille manières de créer des outils, et tout autant d’envies de se pencher sur chacun, mais le temps dont nous disposons me réclame de filer à toute berzingue, en espérant nourrir à mon tour des endroits de réflexion pour la discussion qui s’en suivra. Pour laisser place à un temps de papote, j’ai choisi de cadrer mon propos en le tapant sur clavier.
Alors. Les outils que j’ai choisi concernent différents registres, différentes directions, et se comptent en 4 grands points.
1) Le Beau, le Drôle, face aux truands.
De nous aux autres
Un roi sans divertissement est un roi qui se meurt : si c’est la mort du roi que nous voulons, cessons de chercher à le divertir.
Divertir, étymologiquement, ça signifie « détourner ». Mais entre faire un détour et se détourner, il n’y a en fait pas grand-chose... Faire de l’humour, ou faire de belles images (emprunter les codes du divertissement normatif, en somme), même si on représente une personne minorisée, ce n’est pas un acte politique en soi. La forme est un vecteur de propos qu’il est, je pense, essentiel de conscientiser, mais qui n’a absolument aucune consistance en elle-même. Elle favorise les mises en rivalité, axe son discours autour d’un développement personnel loin de toute revendication collective d’amélioration de conditions matérielles de vie, exclut et valorise systématiquement les mêmes personnes. Bref, l’humour peut être une arme politique très sérieuse, et la contrainte de la création esthétique normée est un moyen plutôt moche pour pouvoir se faire entendre et voir. Moche, mais aujourd’hui nécessaire.
Utiliser les rapports de séduction comme rapport de force
a )Le Beau
*Attention, je ne fais ici aucune critique de nos cultures visuelles, superbes et si précisément illisibles. Je parle bien d'entrisme, ici.*
Dans tout milieu marginalisé, les emblèmes qui indiquent un rejet de la culture dominante sont des marqueurs profonds : ces signes manifestes de désaffiliation sur nos corps sont bien souvent des rites individuels absolument mémorables, et des moments collectifs profondément émouvants (et ça fait des photos-souvenirs incroyables, suivant les époques capillaires/vestimentaires qu’on a traversées pour ça).
Dans nos cultures (disons, à la pelle, d’extrême gauche), l’opposition à un Beau, en tant que représentation bourgeoise, est une valeur. On est plutôt branché·e·s kitch, shlagos,trash, brouillon, à l’arrache, anonyme, collectif. Pas très raccord avec les représentations « queer » à succès d’aujourd’hui, incarnées par des individus, portées la plupart du temps par des mouvements LGBT+ et/ou prosexe libéraux, ou tout autre féminisme mainstream de gauche moite, très axés autour de principes d’accomplissement individuel. Le fait de s’identifier à des codes culturels figés (les flyers mal imprimés qui sentent les fins de feutres d’un côté, un complet-vaisselle « male tears » de l’autre) empêche de les envisager comme des tactiques en soi, de les employer différemment suivant les contextes. Comment se décaler suffisamment d’un identitaire visible et rassembleur pour créer des outils conscientisés, et surtout, pour les utiliser en tant que tels (particulièrement quand on a besoin d’aller toucher l’opinion publique), sans cynisme, sans dérapage vers ce gouffre qu’est "la fame" ? (et je glisse ici, sans le développer par manque de temps, que nous manquons cruellement de réflexions pour mesurer l’ampleur des dégâts que provoque la célébrité dans nos communautés, et d’outils pour nous aider mutuellement à faire du tri dans nos paillettes).
Ces réflexions collectives et politisées nous manquent. Parce qu’en face, iels savent vraiment draguer de l’écran, ouh oui. Iels vont pas se poser mille questions sur la pertinence métaphysique ou non à produire des contenus anticapitalistes sur Instagram, ou sur le fait de se faire sucer l’âme par TikTok en échange d’une recherche d’accessibilité anti-classiste aux informations et débats.
Est-ce qu’iels se demandent si chercher à chatouiller les tympans des masses pour préparer un terrain propice à l’écoute, c’est un manque de loyauté vis à vis des visées politiques qu’on cherche à y déposer ? Nooooon. Ou si exciter les rétines d’une foule pour qu’un propos soit vu, est-ce tromper sa viscérale radicalité ? Noooon, pas plus. Alors quoi? On se retire des terrains glissants par refus de racoler les nombres de vues ? A moins d’avoir d’autres exemples politisées d’adaptation à un environnement toxique qui en emprunte les codes pour y survivre...? Là, normalement, les plus aguéri·e·s d’entre vous noterons que je cherche peut-être ce soir à rameuter de la culture pute chez les antifa :) (Je glisse ici que la seule personne, pour l’instant, à avoir réussi à inculper Donald Trump face à un tribunal est… une TDS… hier). Eh bien je continue sur ma lancée : comme pas mal d’entre nous n’ont pas eu accès aux apprentissages liés à la construction des images et/ou n’ont pas accès au matériel qui permet tout cela, il nous faut aller tapiner chez les allié·e·s. Leur confier des tâches techniques, apprendre de leurs savoirs sur le tas, réclamer des transmissions, emprunter leurs affaires, sans leur laisser de place décisionnaire.
b) L’humour
*Attention, je parle bien d'un humour défensif, réfléchi, collectif. Pas d'une injonction individuelle à répondre aux violences quotidiennes par une subtile boutade, ni à une auto-humiliation poilante pour prouver à la foule dominante notre incroyable autodérision.
Si, indéniablement, personne ne se claque les cuisses pour les mêmes raisons, certaines parades culturelles qui amènent au rire peuvent s'apprendre (Hannah Gadsby en parle très bien dans son spectacle Nanette – créer une tension dont le public nous est reconnaissant de l'en libérer...)*
Parce que les personnes cis transphobes dont on parle depuis tout à l’heure, elles créent aussi des tensions… mais au lieu d’emprunter ensuite le chemin de la blague libératrice, elles ont bifurqué vers la peur. Et pas n’importe quelle qualité de peur : elles fabriquent, consciencieusement, de la trouille épique, de la pétoche homérique. Des archétypes empruntés au pathos, avec trompettes de la mort et lune rouge. Et combattre face à ça pour sa propre survie, lutter contre la fabrique de pareilles nouvelles légendes, c’est pas une mince affaire. Les femmes cis mettent en scène leur vulnérabilité, feinte ou réelle, pour toute preuve d'authenticité ; leur sensation de menace vient titiller l'empathie que nous ressentons toustes face à une proie; et leur haine, plantée dans ce décorum, apparait alors comme un acte de bravoure.
Or, essayez un peu d'imaginer ce personnage de noble guerrière sortir son glaive face à un clown. Pas un clow-clown tout creux qui fait pouet-pouet. Non, un clown qui survit. Qui chausse son nez pour faire contraste, pour immiscer un autre archétype dans l’histoire et rendre le narratif initial grotesque.
L'humour, dans une relation unilatérale (on ne dialogue pas avec une personne dans une vidéo) créée une sensation d’interaction. Et pour s'adresser à des individus qui n'ont jamais rencontré de personnes trans (ou minorisée), tout en ayant besoin d'une impression de familiarité ou d'une sensation de rencontre pour comprendre un propos, ça peut être un chemin possible, parfois. Et je dis bien parfois.
Parce que les mecs cis d’extrême droite, eux, peuvent chercher facilement la complicité hilare. En déployant leur rire autour d'un verre de whisky sur Youtube, comme tout manspreading vocal qui se respecte, ou en composant une « guerre des mèmes » capable de jouer dans la balance présidentielle étasunienne... Là, peut-être que notre clown ne fera pas le poids dans ce tableau. Peut-être qu’ici, le rôle du bouffon renforcera, à l’image, la posture du roi-légende. Et puis, ces hommes-là, leurs appuis principaux, ce ne sont pas les ressorts de l'intime comme peuvent le figurer les femmes cis, mais plutôt la raison, la logique, la loyauté envers le bon sens à papa. Ce ne sont pas les mêmes données.
Bref, voyez comme le drôle ou le beau peuvent être des outils, tantôt judicieux, tantôt inadaptés, et qui nécessitent des réflexions profondes et collectives ?
2) L’aide institutionnelle potentielle
Des autres à nous
*Attention, je ne suis évidemment pas là pour flatter les instances oppressives capables d’arrêter nos agresseureuses en tous genres, mais pour tenter d’en contextualiser l’un des outils.*
Pour se protéger de l’extrême droite, en dehors de nos espaces autogérés et de quelques associations (à qui les instances gouvernementales délèguent leur travail sans aucun soutien), il n’y a franchement pas grand-chose. Qued', pour ainsi dire. En revanche, il y a parfois des branches auxquelles se rattacher, suivant les tempêtes dans lesquelles on est pris·es. Je ne suis pas convaincu de leur réelle utilité sociale pour le moment, mais je pense que des évolutions sont envisageables, et qu’il nous faut, pour cela, continuer à les solliciter quand c’est possible.
(Je tiens d’abord à signaler que STOP homophobie, Mousse et Famille LGBT+ ont par exemple porté plainte pour « injures et provocations publiques à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur identité de genre » contre Dora Moutot et Marguerite Stern, et il me semble fort important de considérer les échos que cet acte engendrera.)
L’expérience d’un état de vulnérabilité profond face au Covid, dans une société où les services publics tiennent comme une enclume sur un cure-dents, a poussé de nombreux individus dans les bras réconfortants de mouvements à dérives sectaires. Et pour l’écrasante majorité d’entre eux, ces mouvements sont porteurs de programmes civilisationnels d’extrême droite. Pour tenter de faire cohabiter la liberté de croyance et le besoin de sécurité, la notion d’emprise a été caractérisée dans la loi, et un organisme a été créé : la Miviludes. Si je prends le temps de vous décortiquer un peu son histoire ici, c’est parce que la montée des dérives sectaires et de l’extrême droite vont de concert, que les deux s’infusent partout sans s’identifier frontalement, et qu’il me paraît important de chercher à constater l’ambivalence des réponses étatiques à ces dangers.
La première commission d’enquête parlementaire concernant les sectes en France naît en 1996, après les massacres provoqués par l’Ordre du Temple solaire. La mission a depuis changé de nom, de présidence, mais n’avait jamais été rattachée à un ministère précis, considérant son utilité polyvalente. La Miviludes compte une dizaine d’employé·e·s pour gérer les 4020 alertes recensées en 2021 (soit un bond de 86 % en 5 ans). Ces employé·e·s gèrent donc cette explosion de signalements, et en parallèle, la récupération politique de ses fonctions initiales. Oui parce que depuis 2019, la Miviludes a été rattachée à un ministère, un seul : celui de l’Intérieur. Aujourd’hui, avant de pouvoir prendre la parole ou agir directement, elle passe après mille intermédiaires... intermédiaires qui vont tenter d’y quicher des chasses au « contre-discours républicains », et toute sa panoplie de fichages islamophobes, anti-insurectionnels, anti-écologiques, anti-anti-capitalistes etc.
Et devinez qui a été la première ministre déléguée à être chargée de la lutte contre les dérives sectaires ? Ça commence par Schia et ça finit par ppa... Ca commence par des effets d’annonce pour combattre le complotisme et ça finit par se faire épingler pour suspicion de malversations auprès d’associations brumeuses, subventionnées après le meurtre de Samuel Paty pour « lutter contre le terrorisme » (ça, ce sont des accusations portées par plusieurs médias mainstream pas plus tard qu’avant hier).
Dès qu’elle entre en poste, Schiappa veut diriger les équipes déconfites vers des affaires médiatisables qui ne représentent pas de danger éminent, parcourt les plateaux télé avec la directrice dégoutée qui finira par démissionner, et surtout, elle signe l’entrée du museau du gouvernement dans la définition même d'une dérive sectaire. Parce qu’à partir de là, l’Intérieur tente de faire régner un confusionnisme certain au sein de l’organisme sensé lutter contre, en faisant entrer les notions racistes de séparatisme dans les luttes contre le complotisme. Oui parce qu’aujourd’hui, le président de la Miviludes, c’est Christian Gravel (qui, je note, n’a pas de fiche Wikipedia !). Et c’est aussi le secrétaire général du comité interministériel de « prévention de la délinquance et de la radicalisation » dont dépend la Miviludes. Le même type qui, en 2015, créait « Stop djihadisme ». Le même gars qui a dirigé le cabinet de Manuel Valls à Evry. Le même mec que ce Manuel Valls a nommé préfet sans diplôme ou condition qui justifierait cette affectation. Il est fort proche du printemps républicain… bref, vous voyez le bonhomme. Donc, en ce moment, derrière la Miviludes, il se trame tout cela.
Mais il s’agite aussi des employé·e·s qui se cabrent, qui ont rajouté des luttes internes à celles de leurs missions Pole Emploi, qui se font exploiter par des coupes budgétaires et qui font, malgré tout, évoluer la notion d’emprise. Et grâce à elleux, on peut relever, dans le dernier rapport d’activités (2021), des éléments qui peuvent justifier d’envoyer des saisies (des alertes) pour tenter de protéger nos communautés. Par exemple, « les comportements discriminatoires envers les femmes, les personnes en situation de handicap et à l’égard de la communauté LGBTQIA+ » peuvent faire partie des caractéristiques de dérives aujourd’hui. Le rapport possède un chapitre intitulé « Le féminin sacré : une appropriation du féminisme par les dérives sectaires », qui s’achève par « la MIVILUDES recommande une vigilance particulière à l’égard de ce type de mouvement qui essentialise les femmes en les réduisant à des organes génitaux ou des facultés reproductives, alors même qu’il est présenté comme un mouvement féministe destiné à leur épanouissement et incitant à davantage de liberté ». Le chapitre suivant est, lui, dédié à « Masculinisme, virilisme et antiféminisme : un endoctrinement violent et sexiste. »
Sans être dupe de la dimension ouvertement raciste de cette structure, elle peut néanmoins constituer un recours dans certaines situations, et permet d’avoir un regard sur la proportion de saisines suivant différents domaines (développement personnel, santé alternative, économie parallèle, spiritualité New age…). Thierry Casasnovas, le pote à Dora, récemment mis en examen, par exemple, compte 600 saisines depuis 2011. Six cent. Comme quoi, ça vaut vraiment le coup d’avoir des structures qui tiennent les comptes et les inscrivent dans le temps.
3) Les archives
De nous à nous
L’extrême droite continue de tuer après la mort. Elle massacre nos mémoires collectives, truande les traces de nos ancêtres, saccage nos transmissions, planque savamment ces propres racines et ramifications, génération après génération. Et nous voilà, petits pipous sorti·e·s de l’oeuf, inconscient.es de la tambouille communautaire dans laquelle nous avons macéré avant d’éclore, sans discerner les différents ingrédients qui composent les poisons de l’extrême droite.
En comprenant, et en expliquant que la transphobie n’est que l’une des composantes d’un menu politique bien plus large, concocté par une bande de conservateurs intégristes depuis fort longtemps, je pense qu’il peut être possible d’amalgamer différentes luttes contre un même extrême-droite : en décortiquant le passé des mouvements lgbtiphobes et leurs liens constants avec toutes autres sortes de menaces, nous pouvons parfois prouver que leurs attaques concernent, en fait, les futurs de chacun·e.
Quand l’actualité s’abat sur nous, c’est par un axe temporel vertical qu’elle nous tombe dessus. Bam. Et cette chute d’attaques Terfs en ce moment, cette avalanche d’urgences à y répondre, à s’en défendre, elle assomme. Et elle empêche trop souvent de percevoir le second axe temporel à la croisée nos points de mire : l’horizontale. L’Histoire. Celle de l’avant. Celle de l’après. Et puis nous au milieu, le temps d’une vie. La cartographie précise de nos luttes présentes ne peut pas se lire sans la rencontre de ces abscisse et ordonnée. On ne peut pas considérer les assauts TERF d’aujourd’hui sans les inscrire dans l’histoire coloniale, appréhender leur culte sacré du genre sans l’envisager dans un continuum des massacres, entre autres culturels, blancs, envisager les mécaniques complotistes post-covid sans y voir le modèle type d’un antisémitisme fondateur.
Et collecter les données ne suffit pas, il faut les mettre en lien entre les cultures, et en écho avec le présent, sans complaisance. Parce que constituer des archives, ce n’est pas uniquement célébrer le beau, l’inspirant, s’émerveiller de l’architecture mouvante d’une classe sociale survivante, c’est repérer, aussi, dans les charpentes de nos pensées, les planches pourries sur lesquelles on s’appuie aujourd’hui. Parce que cette histoire monumentale, toute brinquebalante soit-elle, c’est celle qui constitue les coordonnées de nos positions face à nos ennemi·e·s.
Prenons un exemple concret pour travaux pratiques : Les Archives de Toulouse, dont je fais parti, présentent la semaine prochaine, une discussion autour du Rocky Horror Picture Show à la Cinémathèque… et nous y aurons l’occasion, je pense, d’y poser une question fondamentale : mais qu’est-ce que c’est que cette bouse ? Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on attribue à ce sinistre étron cinématographique la précieuse valeur d’un héritage esthétique aussi puissant ? Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on s’imagine célébrer une communauté de personnes persécutées à cause de leurs genres et/ou sexualités, en chantant à pleine plume sur des odes à la culture du viol, des scènes de torture non consenties, des persécutions de personnes handicapées ? Est-ce que le narratif d’une secte envahisseuse, avec à sa tête une femme trans menaçante, narcissique, agresseuse sexuelle, assassine, ce n’est pas pile poil l’histoire que tente de nous faire avaler les terfs aujourd’hui ? Est-ce que l’on peut s’appuyer sur ce « film culte » pour se confronter à l’effroyable essentialisation des hommes cis pédé et, surtout, des femmes trans et personnes transfemmes dans nos milieux ? Est-ce que cette narration, articulée autour de l’empowerment des cishet face à une jarretelle émancipatrice, a été un tremplin à la sexualisation des inversions des codes de genre comme seule proposition de subversion ? Est-ce que les codes visuels camp que nous continuons encore à célébrer viendraient plutôt d’ailleurs alors, et que ce film aurait capitalisé sur leur beauté en les vidant de leur sens ? Ou est-ce qu’il a participé à la perpétuation des call-out abusifs des femmes trans, du racisme sans cesse minimisé, et du validisme délétère dans nos milieux ?
*Vous voulez savoir comment s'est passée la projection à la Cinémathèque? - spoiler... ce fut sidérant.. -. On vous raconte ça ici*
4) L’agrégation des regards
Mais qu’est-ce donc que ce nous ?
*Attention, il ne s’agit pas ici de décontextualiser les différentes oppressions systémiques pour chercher à en faire des équivalences, mais d’identifier les marches-pieds mutuels qui peuvent nous permettre d’avancer, et les outils nous permettant de repérer les mécanisme des différent·e·s oppresseureuses pour mettre en évidence leurs dénominateur commun : l’extrême droite*
Doucement, tout doucement, nous commençons à ouvrir les perspectives d’un ce qui nous rassemble, c’est celleux qui nous ressemblent. Parce que... est-ce que la formation d’un nous (d’un nous politique) ne s’arrêterait pas aux frontières d’un elleux ? Est-ce que, ce qui fait groupe, ce n’est pas simplement, le fait d’avoir un ennemi commun identifié, et chercher à multiplier les armes pour l’atteindre ? De comprendre et faire comprendre que la tentacule qui frappe sa propre communauté, et que celle qui écrase le clan d’à côté font partie d’une seule et même pieuvre ? Comment, le temps d’une lutte, et sans être dupe du risque de reproduction de rapports de pouvoir entre nous, pouvons-nous unir nos forces ? Peut-être en commençant par considérer, à plat, les outils déjà créés par chacun·e…
Parce que l'extrême droite se fout des terrains où elle prospère. Elle peut sillonner le bitume des grands bourgeois en cols blancs ou les terres verdoyantes des anthroposophes aux pieds nus. Mais elle cherche surtout, et de tout temps, à appuyer ses idéologies sur de l’irréfutable. Et ses biais cognitifs, une fois qu’ils sortent de la bouche « d’expert·e·s » autoproclamé·é·s objectifs (scientifiques, philosophes, politiques, médecins, journalistes…), tissent un maillage dangereux. Nous savons à quel point, dans l’Histoire, la caution scientifique a été l’un des tuteurs les plus solides des montées de théories xénophobes. La période actuelle n’en fait pas exception, mais internet change quelques peu la donne. La vulgarisation des moyens d’autodéfenses pour débunker les systèmes de manipulation et vérifier avec méthode les informations peut représenter des outils précieux. Par exemple, le repérage du confusionnisme, particulièrement utilisé par nos ennemi·e·s en ce moment, me paraît par exemple essentiel (je vous invite à jeter un œil sur le site de « l’Observatoire du décolonialisme », cité par la brochure du collectif CARTE, et qui est un cas d’école, et j’informe que la Manif pour Tous vient de se renommer « le Syndicat de la famille »). Alors on va pas se le cacher, le mouvement zététique regorge de cishet blancs bourgeois qui se tirent dans les pattes et se vautrent dans des angles morts, mais les conflits internes qui l’animent en ce moment (entre, pour faire très vite, les rationalistes à droite, et les situationnistes à gauche), nous permettent d’identifier quelques allié·e·s. Les youtubeurs du milieu repérés comme abuseurs tombent comme des mouches, et les Rencontres de l’esprit critiques de Toulouse invitent cette année des personnes concernées pour débunker la transphobie ambiante. Ça bouge. Et pour contrer une progression de l’extrême droite aussi dévastatrice, on ne peut pas compter sur une unité de mouvements. Alors, chaque petit pas compte.
La vulgarisation scientifique compte, le débunkage des rhétoriques fallacieuses compte, les témoignages comptent, les zad comptent , la création de médias indépendants compte, l’investissement des places publiques et des lieux virtuels compte, la collecte et la production d’archives comptent, les tribunes comptent, les fabriques de théories comptent, les asso communautaires comptent, les réseaux de soignant·e·s comptent, les paroles des soigné·e·s comptent, les incroyables alliances en dehors des cadres attendus sachants/apprenants ou soignants/soignés comptent, l’iconoclaste compte, le sacré compte, les temps et espaces en non-mixité comptent, l’action directe compte, les protections spécifiques comptent (je pense aux personnes handi.es et aux personnes racisées face aux autorités), la fête compte, les blackblocs comptent, l’art compte, l’autogestion compte, la transmission intergénérationnelle des savoirs compte, les zines shlagos et les films trop ambitieux comptent, compléter collectivement cette liste compte, cet événement compte, les discussions qui vont suivre comptent. Merci."