Tribune initialement publiée le 23 février 2023 sur le site de Libération.fr

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L’encre de la future loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables à peine sèche, on peut d’ores et déjà émettre les plus grandes réserves sur la pertinence des dispositions afférentes aux aires marines protégées dans ce texte qui n’est pas à la hauteur des enjeux de protection de l’environnement marin.
Si l’objectif du législateur est très clairement de favoriser le développement des énergies marines dans les eaux françaises, la question de la conciliation des nombreux parcs éoliens offshore envisagés (une cinquantaine à l’horizon 2050) avec le respect des aires marines protégées et la sauvegarde la biodiversité a été négligée dans le projet de loi.
L’outil de planification retenu n’est pas ici en cause : en métropole, il revient bien aux quatre documents stratégiques de façade (Méditerranée, Sud Atlantique, Nord Atlantique-Manche Ouest et Manche Est-mer du Nord) de référencer les zones propices à l’éolien marin, sous la responsabilité de l’État et en concertation avec les acteurs locaux. Cette planification doit répondre aux objectifs européens de gestion intégrée de l’espace maritime, en fixant les conditions de la compatibilité entre les différents usages et intérêts en présence, dont la protection de la faune et de la flore.
Déficiences de la loi au regard des enjeux de biodiversité
C’est bien sur ce point que la loi sur l'accélération des énergies renouvelables (art. 56) est particulièrement déficiente, se contentant d’une simple prise en compte des enjeux de préservation de la biodiversité : les zones prioritaires pour l’implantation d’éoliennes en mer sont « définies de manière à atteindre les objectifs de développement des énergies renouvelables mentionnés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (…), en prenant en compte l’objectif de préservation et de reconquête de la biodiversité, en particulier des aires marines protégées ».
Rappelons que le Code de l’environnement recense notamment, au titre de ces aires naturelles, les parties marines des parcs nationaux, des réserves naturelles, des zones « Natura 2000 » et les parcs naturels marins (article L. 334-1). Or, seuls les parcs nationaux font l’objet d’une attention un peu plus soutenue, puisque le texte voté précise que pour l’élaboration de la cartographie à venir dans les documents stratégiques de façade, « sont ciblées en priorité des zones (…) situées dans la zone économique exclusive [ZEE] et en dehors des parcs nationaux ayant une partie maritime ».
Cette disposition prend acte d’une demande sociale d’éloignement des parcs éoliens offshore des côtes, notamment pour des raisons liées à la préservation des paysages. Mais elle ne convainc pas sur le plan environnemental, tant elle apparaît restrictive, voire fictive… D’abord et de manière générale, il existe peu de parcs nationaux présentant un caractère marin… Ensuite, si l’on croise (ironiquement) les deux critères de priorité d’implantation retenus, combien existe-t-il de parcs nationaux ayant une partie marine en Zone Economique Exclusive française (c’est-à-dire au-delà des 12 milles nautiques de la mer territoriale) ? Même sans tenir compte, dans la géographie des éoliennes offshore, du critère de la localisation prioritaire en ZEE, pourrait-on sincèrement se contenter -par exemple- « d’épargner » les parcs nationaux des Calanques et de Port-Cros ?
La future loi sur les énergies renouvelables est ici manifestement insuffisante : on ne saurait simplement « prendre en compte » les aires marines protégées pour satisfaire aux impératifs de protection de la biodiversité en mer (par ailleurs mis en avant par la France dans les congrès internationaux…). Comment traduire cette formulation si peu contraignante ? Que ces aires ne peuvent être délibérément ignorées ?
Priorité à l’évitement des aires marines protégées
Certes, mais en la matière, les législations française et européenne existantes vont bien au-delà : la séquence « Eviter, Réduire, Compenser » (ERC), qui irrigue l’ensemble du droit des évaluations environnementales, donne fort logiquement la priorité à l’évitement. Quant aux directives européennes « Natura 2000 » sur la conservation des oiseaux et des habitats naturels (imposant la prise de mesures protectrices appropriées), elles impliquent que lorsqu’un projet est susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur le site en cause, il ne saurait être autorisé, sauf en l’absence de « solutions alternatives » et pour « raison impérative d’intérêt public majeur » [1].
Si l’Union européenne et la France ont fait le choix de présumer cette dernière condition, au nom de la transition énergétique, les activités industrielles (quelles qu’elles soient) dans ces zones naturelles de protection ne peuvent être implantées sans que soit apportée la démonstration de l’absence de solutions alternatives ! Faudra-t-il une procédure d’infraction au droit européen de l’environnement contre un Etat-membre ou un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne pour le comprendre ?
Pour accélérer l’éolien en mer, le gouvernement a-t-il décidé de révoquer sa doctrine publiée en 2012 relative à la séquence « ERC » ? On lit dans ce document que « Les atteintes aux enjeux majeurs doivent être, en premier lieu, évitées. L'évitement est la seule solution qui permet de s'assurer de la non-dégradation du milieu par le projet. En matière de milieux naturels, on entend par enjeux majeurs ceux relatifs à la biodiversité remarquable (espèces menacées, sites Natura 2000…) »[2].
En optant pour une appréhension a minima de la problématique des aires marines protégées, la France, qui a déjà validé plusieurs projets éoliens offshore très contestés en zone « Natura 2000 » de protection des oiseaux (notamment au large de Dunkerque et d’Oléron)[3], prend délibérément le risque d’une confrontation dommageable entre deux grandes politiques publiques, fragilisant à la fois l’une et l’autre...
[1] Art. L. 414-4 VII du Code de l'environnement ; CJUE, 11 avril 2013, Sweetman, aff. C-258/11.
[2] https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Doctrine%20ERC.pdf
[3] https://blogs.mediapart.fr/laurent-bordereaux/blog/151222/parc-eolien-marin-d-oleron-l-interet-general-des-recours-associatifs