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Billet de blog 25 septembre 2020

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Charlie Hebdo: une tribune gênante

Hier en lisant Le Monde, j’ai découvert la tribune écrite par Riss de Charlie Hebdo, signée par un collectif de médias : « Ensemble, défendons la liberté » : l’appel inédit d’une centaine de médias français ».

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Hier en lisant Le Monde, j’ai découvert la tribune écrite par Riss de Charlie Hebdo, signée par un collectif de plus de cent médias : « Ensemble, défendons la liberté » : l’appel inédit d’une centaine de médias français ».

J’avoue avoir été un peu gêné en lisant ce texte, et cette gêne s’est accentuée depuis. Non pas que je sois contre la liberté d’expression, bien au contraire. Mais ce texte me parait très limité dans sa portée, et révèle de la part de Charlie Hebdo une posture de plus en plus malsaine.

Je croyais en lisant le titre de l’appel (« défendons la liberté ») que les signataires entendaient défendre toutes les libertés, LA Liberté, celle de notre devise républicaine. Or, première limite, je lis dans le texte que ce n’est que la liberté d’expression qui est évoquée. Dans le contexte actuel, français* et mondial, on aurait pu s’attendre à plus. Seconde limite, c’est la critique et le blasphème qui sont placés au centre de cette liberté. La liberté d’expression ne vaut-elle pas mieux ? N’est-elle pas plus que la critique, dont Charlie Hebdo a d’ailleurs une vision bien étriquée (pour ne pas dire "bête et méchante"). Troisième limite, il s’agit de protéger cette liberté d’expression contre. Contre qui ? Contre ceux qui n’aiment pas le blasphème, la critique de leur religion. C’est une liberté d’expression bien limitée...

Le Monde s’est-il insurgé contre la suppression de millions de contenus sur Facebook, YouTube, etc., par des algorithmes ? Non, au contraire. Au nom de la lutte contre les « fake news », les médias traditionnels collaborent avec les GAFAM pour supprimer les contenus dérangeants. Ainsi, plusieurs médias se félicitaient encore il y a peu de la suppression de millions de contenus sur YouTube depuis le début de la crise du Covid, même si YouTube avait la main lourde (voir mon billet précédent). Comme l’ont documenté de nombreux médias, tel Lundi matin, Mediapart, ou Le Monde, Twitter a supprimé de nombreux comptes, d’anarchistes, anti-fascistes, ou d’ « anti-masques » sous prétexte de lutte contre l’épidémie. En France, la loi Avia sur les contenus haineux est une des lois les plus liberticides d’Europe sur le contrôle des médias en ligne. Charlie Hebdo s’en est-il offusqué ?  Non, Jean-Yves Camus, en mai, trouvait que cette loi n’était pas suffisante, car elle ne s’attaquait qu’à la haine en ligne, pour lui uniquement liée à une « une idéologie qui s’appelle antisémitisme et/ou islamisme ». Il poursuivait : « Les traquer en ligne, pourquoi pas ? Mais alors il faut que la chasse soit totale, qu’elle explore tous les territoires de la haine : les écrits (des librairies existent encore), les prêches, toutes les formes de prosélytisme qui se déroulent dans des lieux physiques ».

En fait, depuis le moment Charlie, la liberté d’expression a reculé en France. Le droit à la critique des autres et au blasphème s’en porte-t-il mieux ? Non.

Ceux qui prônent la liberté d’expression à tout crin sont souvent ceux qui placent la Sécurité comme préalable à La Liberté, la sécurité sous assistance policière (que les signataires évoquent) comme première des valeurs. On l’a vu avec le confinement, les restrictions de mobilité, les drones, les amendes à 10 000 euros au Royaume-Uni, etc., etc., qui ne choquent aucun média...

Forcer à l’unanimité

Il y a enfin un problème plus profond avec cette tribune. Après la publication des médias signataires, la première réaction de certains (voir les commentaires sur le site du Monde) a été de voir qui n’avait pas signé, et de les clouer au pilori. Certains médias, comme Arrêt sur Images ou Mediapart, ont dû tout de suite trouver une explication (« nous n’avons pas été prévenus »), et se sont empressés d’afficher leur soutien au texte de Riss et de le signer.

Le problème avec ce texte, c’est qu’il force à l’unanimité. Riss attend encore une fois que l’on fasse bloc, sans nuance. Il attend encore, plusieurs années après les attentats et à la faveur de leur procès, un message du type « Je suis Charlie ». Si ce message pouvait se comprendre après l’émotion de l’assassinat à Charlie Hebdo, c’est moins compréhensible aujourd’hui.

La liberté de s’aligner sur Charlie

Au début du mois, Charlie Hebdo a republié en Une les caricatures de Mahomet, avec une injonction : il fallait que tous les médias republient cette Une à l’identique, en Une de leur propre journal. Le 4 septembre, Charlie Hebdo faisait les comptes : « La livraison du jour est donc entièrement consacrée à la manière dont la presse a parlé de Charlie cette semaine. Avec une mention spéciale faux cul à une photo AFP qui, tout en montrant notre Une, cache opportunément les caricatures ». En plein procès des attentats et cinq ans après l'assassinat d'une partie de la rédaction, la question qui compte pour Charlie est : « comment la presse allait-elle s’emparer de cette Une ? » Après avoir distribué bons et mauvais points, l’hebdomadaire se fait juge du New-york Times, qui s’est fendu d’un article critique (crime de lèse-majesté !) sur la republication des caricatures. La critique est-elle autorisée par Charlie Hebdo ? Non : l’hebdo satirique qualifie l’article du NYT de « fielleux » (un comble !), et termine par ce jugement lapidaire : « On a compris, il ne faut pas compter sur le New York Times pour défendre la liberté de la presse ».

Si Charlie Hebdo ne s’attaquait qu’aux médias en tant qu’institutions, cela resterait acceptable. Le problème, c’est que Charlie Hebdo multiplie les attaques ad nominem contre ses ennemis, une méthode très proche de Valeurs actuelles et autres médias d’extrême droite. Dans un « article » particulièrement nauséabond, Charlie dresse une liste des « charognards du 7 janvier », qui va de Despentes à Plenel en passant par Abd Al Malik, Emmanuel Todd, et même Delfeil de Ton (Henri Roussel), un des premiers rédacteurs d’Hara Kiri. Pourquoi sont-ils devenus des ennemis ? Parce que, même si pour la grande majorité, ils soutiennent Charlie Hebdo et condamnent les attentats (hormis sans doute Dieudonné), ils le font avec de la nuance. Et ça le Charlie d’aujourd’hui n’aime pas. Ses rédacteurs voudraient que tous « s’associent sans réserve à [leur] démarche ».

Dans un beau renversement de situation, la nouvelle rédaction de Charlie Hebdo est persuadée que c’est la gauche qui est responsable de l’assassinat (terme plus proche de la réalité que celui d'attentat) de la rédaction, assassinat qui ne serait pas la conséquence des caricatures. C’est ce qu’ils expriment régulièrement, soutenus en cela par un journal comme Le Point (qui il est vrai n’est pas de gauche) : « Dans une interview au Point il y a quelques semaines, l'avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, évoquait à propos des attentats de janvier 2015 les « complicités intellectuelles » et ajoutait ceci, après avoir cité Virginie Despentes : « Pour moi, ce courant intellectuel a du sang sur les mains et sur les lèvres. C'est lui qui arme les terroristes. » » (Le Point, 02/09/2020)

Le 7 janvier 2015 a bien été un 11 septembre 2001 pour la rédaction, et notamment pour Riss ; ils se sont forgé une vision à la George Bush : « vous êtes avec nous ou contre nous ». La liberté d’expression aujourd’hui défendue par eux, c’est celle de se ranger de leur côté, sans nuance et sans réserve. Tant pis à ceux qui n’abdiquent pas, ils sont associés aux « idéologies mortifères », ils font le jeu des terroristes, ils sont des ennemis de la France. En témoignent les caricatures immondes d’Edwy Plenel, Emmanuel Todd, ou Virginie Despentes, à côté desquelles celle de Danièle Obono dans Valeurs actuelles, toute condamnable et odieuse qu’elle soit, parait gentille.

Le Charlie Hebdo d’aujourd’hui serait-il devenu le petit tyran du paysage médiatique français ?

* La veille, mardi 22 septembre, Olivier Véran déclarait devant le Parlement : "Nous devons accepter de restreindre certaines de nos libertés auxquelles nous sommes attachés ». Il présentait le quatrième projet de loi en six mois « prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire ».

Références :

Articles de Charlie Hebdo :

Divers :

Les caricatures des ennemis de Charlie parues pour illustrer les "charognards du 7 janvier", Plenel, Despentes, et Todd:

Illustration 1
Caricature Edwy Plenel par Biche dans le Charlie Hebdo n° 1467 du 02/09/2020
Illustration 2
Caricature Virginie Despentes par Biche dans le Charlie Hebdo n° 1467 du 02/09/2020
Illustration 3
Caricature Emmanuel Todd par Coco dans le Charlie Hebdo n° 1467 du 02/09/2020

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