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Billet de blog 2 novembre 2021

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[COP26] La promesse non-tenue des 100 milliards de dollars de financement du climat

En cette période de COP26 (qui débute cette semaine à Glasgow), premier article d'une petite série quant à ce sujet d'actualité. Aujourd'hui, quelques nouvelles de nos collaborateurs américains du groupe Nature, qui vont nous parler climat, et gros sous... L’article original (en anglais) est à retrouver à la toute fin de ce billet.

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Il y a douze ans, lors du sommet des Nations unies sur le climat à Copenhague (COP15 déjà...), les nations auto-considérées comme "riches" ont promis de verser 100 milliards de dollars par an aux nations moins riches d'ici à 2020, afin de les aider à s'adapter au changement climatique et à atténuer la hausse des températures.

C’est sans la moindre surprise de constater que cette promesse n'a pas été tenue... Les chiffres pour 2020 ne sont pas encore connus, et ceux qui ont négocié l'engagement ne sont pas d'accord sur les méthodes de comptabilisation (histoire de faire simple), mais un rapport publié l'année dernière pour l'ONU concluait parmi "les seuls scénarios réalistes" proposés, l'objectif de 100 milliards de dollars était quoi qu'il en soit hors de portée. "D'ici à ce que nous arrivions à Glasgow, s'ils ne nous ont pas donné 100 milliards de dollars supplémentaires [pour 2021], alors ils sont totalement incapables de remplir leurs obligations", déclare Saleemul Huq, directeur du Centre international pour le changement climatique et le développement à Dhaka (Bangladesh).

En comparaison à l'investissement nécessaire pour limiter au mieux le changement climatique, l'engagement de 100 milliards de dollars apparaît bien insignifiant... En effet, des milliards de dollars seront nécessaires chaque année pour se rapprocher de l'objectif fixé par l'accord de Paris de 2015 (je ne parle même pas de l'atteindre...), à savoir limiter le réchauffement de la planète à un niveau "bien inférieur" à 2 °C, voire à 1,5 °C, par rapport aux températures préindustrielles. Quant aux nations en développement (désignées ainsi dans les engagements de Copenhague), elles auront besoin de centaines de milliards de dollars par an pour s'adapter au réchauffement déjà inévitable. "Mais ces 100 milliards de dollars sont emblématiques de la bonne foi des pays qui les ont promis", souligne Saleemul Huq.

Comment la promesse de 100 milliards de dollars a-t-elle échoué ? Quels sont les pays à blâmer ? Comment transformer le financement de la protection du climat à l’avenir ?

Dans quelle mesure les pays "riches" ont-ils échoué ?

Les négociateurs ne se sont jamais mis d'accord sur la manière précise de mesurer les engagements des pays. D'après une évaluation de l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique, dont les membres sont essentiellement des pays riches), basée elle-même sur les rapports des nations riches (sic), il s'avère que 80 milliards de dollars ont été versés aux pays en développement en 2019, contre 78 seulement en 20182. On remarquera que la majeure partie de cet argent provient de dons ou de prêts publics, transférés soit directement d'un pays à l'autre, soit par le biais de fonds de banques multilatérales de développement (en gros, des banques dont les actionnaires sont des États souverains...).

Concernant 2020, il est malheureusement bien peu probable que les chiffres aient beaucoup augmenté... En effet, un rapport publié en Juin 2021 par ces banques multilatérales de développement suggère que les financements climatiques qu'elles ont accordés aux pays en développement ont diminué l'année dernière3... Ce qui n'est guère bon signe soyons honnêtes ! Une diminution qui peut en partie s'expliquer par la pandémie mondiale causée par ce cher Covid-19.

Cependant, certains analystes affirment que les chiffres de l'OCDE sont quelque peu... "gonflés" ! Dans un rapport de 20204, l'organisation Oxfam a estimé que le financement public du climat n'était que de 19 à 22,5 milliards de dollars en 2017-18, soit environ un tiers, un simple tiers, de l'estimation de l'OCDE...

Illustration 1
Des chiffres gonflés ? L'organisme indépendant Oxfam estime que les aides réelles des Etats face au changement climatiques sont bien en deça des chiffres annoncés par les Etats eux-même (OCDE)... © Nature

L'organisation affirme par exemple que certains pays comptabilisent à tort l'aide au développement comme étant destinée à des projets climatiques. Une illustration avec le Japon, qui considère la valeur totale de certains projets d'aide comme "pertinents pour le climat", même s'ils ne sont pas exclusivement axés sur l'action climatique4. Un autre exemple ? Certains projets de construction de routes (sic) sont présentés comme une aide climatique (oui oui...), et la plupart ou la totalité de leurs coûts sont inclus dans les estimations de l'OCDE4. De nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire sont d'accord avec Oxfam, et certains vont même plus loin encore... En 2015, le ministère des Finances de l'Inde a contesté l'estimation de l'OCDE de 62 milliards de dollars de financement climatique en 2014, affirmant que le chiffre réel était plus proche de 1 milliard de dollars. Diann Black-Layne, ambassadrice d'Antigua-et-Barbuda pour le changement climatique et ancienne négociatrice principale sur le climat pour un groupe de nations côtières et insulaires de faible altitude (appelé l'Alliance des petits États insulaires, ou AOSIS), affirme que les nations riches ont intentionnellement gonflé leur aide climatique.

Qui ne paie pas assez ?

Bien que les nations riches aient collectivement accepté l'objectif de 100 milliards de dollars, elles n'ont pas conclu d'accord officiel sur le montant que chacune d'entre elles devrait payer. Au lieu de cela, les pays annoncent leurs promesses dans l'espoir que d'autres suivront. 

A titre d'exemple, selon un rapport publié en octobre dernier par le World Ressources Institute (ou WRI), les États-Unis devraient contribuer à hauteur de 40 à 47 % des 100 milliards de dollars, selon si le calcul tient compte de la richesse, des émissions passées ou de la population5. Mais leur contribution annuelle moyenne de 2016 à 2018 n'a été que d'environ 7,6 milliards de dollars...L'Australie, le Canada et la Grèce ont également été loin de ce qu'ils auraient dû contribuer.

Illustration 2
Les Etats-Unis sont encore loins du compte quant au financement de la lutte face au changement climatique (en considérant sa taille, sa population et son économie). Si on prend l'exemple de la France ou du Japon, ils ont payé plus que leur juste part, mais essentiellement sous forme de prêts ! Et non de subvention... © Nature

Le Japon et la France, en revanche, ont transféré plus que leur juste part - bien que la quasi-totalité de leur financement ait pris la forme de prêts remboursables, et non de subventions5...

Où est allé l'argent ?

La plupart des fonds alloués à la lutte contre le changement climatique a été consacrée à des projets visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. L'accord de Paris visait un équilibre entre ces projets d'"atténuation" et ceux qui aident les populations à s'adapter aux effets du changement climatique. Or, selon l'OCDE, 20 milliards de dollars seulement ont été consacrés à des projets d'adaptation en 2019, soit moins de la moitié des fonds alloués aux projets d'atténuation2. L'ONU estime même que les pays en développement ont d'ores et déjà besoin de 70 milliards de dollars par an pour couvrir les coûts d'adaptation, des besoins estimés entre 140 et 300 milliards de dollars en 20306.

Une autre raison du déséquilibre entre l'atténuation et l'adaptation est que l'argent est de plus en plus fourni sous forme de prêts plutôt que de subventions. "L'adaptation n'est presque jamais une situation de prêt-don", selon Saleemul Huq. "Si vous donnez de l'argent aux pauvres pour les aider à faire face aux impacts du changement climatique, cela ne génère pas d'argent." Le financement privé, en particulier, semble presque toujours aller à des projets d'atténuation qui peuvent générer des retours sur investissement, comme les fermes solaires et les voitures électriques.

Illustration 3
La grande majorité des financements publiques aux Nations en développement est allée vers des projets visant à réduire les émission de CO2, plutôt que vers des projets aidant les gens à s'adapter au changement climatique. © Nature

La plupart des financements climatiques vont également aux pays à revenu intermédiaire, et non aux pays les plus pauvres et les plus vulnérables. "De très nombreux pays africains se lamentent de ne pas pouvoir franchir les obstacles [pour accéder au financement climatique] en raison de la complexité et de la technicité", explique Chukwumerije Okereke, économiste à l'université fédérale Alex-Ekwueme Ndufu-Alike à Ikwo, au Nigeria. "Et ils ne reçoivent pas suffisamment d'exercices de renforcement des capacités et de formation dans ce domaine."

Même l'argent qui va aux pays les plus nécessiteux pourrait ne pas atteindre sa cible !  En juillet, l'Institut International pour l'Environnement et le Développement de Londres (IIED) a indiqué qu'il avait essayé de suivre le financement des projets d'adaptation dans les 46 "pays les moins avancés" de l'ONU, et qu'il n'avait pu comptabiliser que 5,9 milliards de dollars entre 2014 et 2018, soit moins de 20 % du montant que les pays développés ont déclaré avoir donné...

Que veulent les pays en développement maintenant ?

La promesse de 100 milliards de dollars a longtemps été considérée comme un minimum, à augmenter au fil du temps. Mais certains pays bénéficiaires ont déclaré qu'ils étaient prêts à accepter un objectif statique pour l'instant, si les pays riches indiquaient clairement comment l'atteindre.

"La demande actuelle est la suivante : puisque vous n'avez pas réussi à fournir les 100 milliards de dollars en 2020, donnez-nous un plan de 500 milliards de dollars sur cinq ans", explique Saleemul Huq. En juillet, le "V20", un groupe de ministres des finances de 48 pays vulnérables au changement climatique, a demandé ce plan, y compris davantage de financements sous forme de subventions, et qu'au moins 50 % des fonds soient consacrés à l'adaptation. Saleemul Huq note que les pays allouent également leurs propres budgets au changement climatique. Le gouvernement du Bangladesh, par exemple, affirme que ses dépenses liées au climat s'élèvent à environ 3 milliards de dollars, soit quelque 7 % du budget global du gouvernement ou 0,73 % du PIB du pays. Et les familles pauvres des zones rurales du Bangladesh dépensent elles-mêmes 2 milliards de dollars par an pour prévenir les catastrophes liées au climat ou réparer les dommages qu'elles causent, selon une analyse d'Oxfam.

De nouvelles promesses de dons ont afflué : Le Canada, le Japon et l'Allemagne ont annoncé les leurs lors d'une réunion du groupe des nations riches du G7 en juin, au cours de laquelle les pays ont également réaffirmé leur engagement à contribuer à hauteur de 100 milliards de dollars par an jusqu'en 2025. En septembre dernier, l'Union européenne s'est engagée à verser 5 milliards de dollars supplémentaires d'ici à 2027, et le président américain Joe Biden a promis que les États-Unis fourniraient 11,4 milliards de dollars de financement annuel d'ici à 2024, ce qui en ferait le plus grand contributeur au financement de la lutte contre le changement climatique. Mais une grande partie de ce financement nécessite l'approbation du Congrès américain, et de nombreux autres pays contribueront beaucoup plus en proportion de leur économie. "L'Union européenne et ses États membres fournissent déjà environ le double du montant promis par les États-Unis, alors que leur économie combinée ne représente que les trois quarts de celle des États-Unis", explique Joe Thwaites, spécialiste du financement climatique au WRI. Reste à savoir si les pays riches peuvent convaincre les pays moins riches qu'ils sont sérieux dans leur engagement... 

Certains gouvernements répondent à l'appel en faveur d'un financement accru de l'adaptation. En août, le Danemark a déclaré qu'il allouerait 60 % de son financement climatique à l'adaptation, et d'autres pays, dont les Pays-Bas et le Royaume-Uni, se sont engagés à augmenter le financement de l'adaptation. Lors de la COP26, des négociations officielles débuteront également sur un objectif pour l'après-2025. Il est peu probable qu'un objectif spécifique en matière de financement climatique soit fixé cette année, bien qu'en juillet, la ministre sud-africaine de l'environnement, Barbara Creecy, ait suggéré un chiffre de 750 milliards de dollars par an d'ici à 2030. De nombreux pays souhaitent également un financement supplémentaire pour les "pertes et dommages", afin d'aider les personnes subissant des pertes irréversibles liées au climat et auxquelles il est impossible de s'adapter.

Quelle quantité de financement est suffisante ?

De plus en plus, le concept de financement climatique devient redondant selon Saleemul Huq. "Chaque dollar dépensé est de l'argent climatique dépensé", dit-il. "Soit vous le dépensez de manière judicieuse, soit vous le dépensez de manière imprudente".

Cependant, la Climate Policy Initiative (CPI), un groupe de recherche à but non lucratif basé à San Francisco, en Californie, estime que les flux de financement liés au climat dans et entre les pays s'élevaient à 632 milliards de dollars par an en 2019-20, soit environ 0,7 % du PIB mondial. Environ la moitié de ce montant est constituée de financements privés, dont une grande partie est destinée à la production d'énergies renouvelables.

Illustration 4
Le "financement climat" dépasse déjà 600 milliards de dollars, mais une augmentation forte et rapide est nécessaire pour éviter un réchauffement global de plus de 1,5°C (partie supérieure de la figure). Environ la moitié de ces financements est de nature privée, la grande majorité est destinée à des projets atténuant le changement climatique (notamment via le financement de systèmes d'énergie propres (partie inférieure de la figure). © Nature

Ce chiffre est bien inférieur aux estimations du GIEC, selon lesquelles il faudrait entre 1 600 et 3 800 milliards de dollars par an pour éviter un réchauffement supérieur à 1,5 °C. Fait frustrant (et le mot est léger), les combustibles fossiles continuent d'être subventionnés, recevant quelque 554 milliards de dollars par an entre 2017 et 2019, selon une estimation. A titre de comparaison, en 2020, les dépenses militaires mondiales annuelles ont atteint 2 000 milliards de dollars... A chacun son combat...

Le CPI prévient que la pandémie et ses effets économiques ont mis l'accent sur les dépenses dans des domaines tels que la santé publique (les nations développées ont dépensé des milliers de milliards l'année dernière pour faire face à la pandémie de COVID-19), rendant les perspectives à moyen et long terme du financement climatique incertaines.

Selon Sarah Colenbrander, directrice du programme sur le climat et la durabilité de l'Overseas Development Institute, le véritable défi consiste désormais à faire en sorte que l'univers plus large du financement privé soit consacré à des projets qui s'attaquent aux problèmes du changement climatique. "Si nous ne le faisons pas, nous allons échouer sur le plan climatique de manière encore plus catastrophique que nous ne l'avons déjà fait".

La version originale de cet article est disponible en anglais ici.

Pour les autres articles concernant la COP26 :
[COP26] Pourquoi les aides aux énergies fossiles sont si difficiles à supprimer ?
[COP26] Engagements climatiques : qu'en pensent les scientifiques présents ?
[COP26] L'absence de justice climatique rend furieux les architectes de la COP26

Références bibliographiques :

  1. Averchenkova, A. et al. Delivering on the 100 billion climate finance commitment and transforming climate finance. The Independent Expert Group on Climate Finance (2020).
  2. OCDE. Climate Finance Provided and Mobilised by Developed Countries: Aggregate Trends Updated with 2019 Data. (2021).
  3. Banks, M. D. 2020 Joint Report on Multilateral Development Banks’ Climate Finance. (IADB New York, NY, USA, 2021).
  4. Carty, T., Kowalzig, J. & Zagema, B. Climate Finance Shadow Report 2020: Assessing progress towards the $100 billion commitment. (2020).
  5. Thwaites, J. & Bos, J. A Breakdown of Developed Countries’ Public Climate Finance Contributions Towards the $100 Billion Goal. (2021).
  6. Neufeldt, H., Christiansen, L. & Dale, T. W. Adaptation Gap Report 2020. (2021).

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