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Billet de blog 11 novembre 2021

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[COP 26] L'absence de justice climatique rend furieux les architectes de la COP26

En cette période de COP26 (qui a débuté la semaine dernière à Glasgow), quatrième article d'une petite série quant à ce sujet d'actualité. Que pensent les pays à faible revenu, premiers touchés par le changement climatique, de l’avalanche d’annonces de ces derniers jours ? Comme précédemment, l'article original (en anglais) est à retrouver à la toute fin de ce billet.

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Commençons directement les 2 pieds dans le plat : les scientifiques qui ont travaillé sur la première convention de l'ONU sur le climat doutent que la COP26 soit favorable aux pays à faible revenu. En effet, des chercheurs qui ont participé à la rédaction de certaines parties des premiers accords environnementaux des Nations unies, il y a près de 30 ans, affirment que les pays à faible revenu ont été massivement déçus lors des négociations actuelles sur le climat (COP26).

Illustration 1
La petite Amal est accueillie par des écoliers locaux hier, sur les rives de la Clyde à Glasgow, au Royaume-Uni. La marionnette de 3,5 mètres de haut a voyagé dans le cadre d'un projet de plusieurs mois intitulé "The Walk" (la marche), qui a débuté à la frontière syrienne avec la Turquie, "pour mettre en évidence le potentiel des réfugiés, et pas seulement leur situation désespérée", explique le directeur artistique Amir Nizar Zuabi. © Paul Ellis/AFP/Getty

Le sommet de la Terre organisé par les Nations unies en 1992 à Rio de Janeiro, a réuni à la fois des scientifiques et des décideurs politiques des pays riches ET pauvres. "J'étais tellement plein d'espoir", déclare l'écologue Zakri Abdul Hamid, qui était le conseiller scientifique de la délégation malaisienne, en se souvenant de la façon dont il est passé d'un jeune universitaire au caractère bien trempé à un responsable politique scientifique."J'avais de grands espoirs à Rio", ajoute Saleemul Huq, un climatologue du Bangladesh qui était conseiller des pays vulnérables au climat présents à Rio.

Le sommet a débouché sur des accords des Nations unies visant à lutter contre le changement climatique et la perte de biodiversité, ainsi que sur une nouvelle orientation des Nations unies en faveur du développement durable. Mais Zakri Abdul Hamid pense aujourd'hui qu'il était "naïf" de s'attendre à ce que les nations riches tiennent leurs promesses de protéger les intérêts des pays plus pauvres.

Alors que la deuxième semaine de négociations de la COP26 est en cours à Glasgow, les pays à faible revenu critiquent vivement la lenteur de la décarbonation et affirment que les promesses de financement n'ont pas été honorées.

Un accord historique

Rio fut une réunion importante car les décideurs des pays riches et des pays pauvres se sont mis d'accord sur ce qui semblait être une formule équitable pour protéger l'environnement des pires effets de l'industrialisation. Les idées qui ont conduit à ce sommet provenaient en grande partie des pays à haut revenu. Les pays à faible revenu craignaient qu'un accord sur le changement climatique ou la biodiversité ne les empêche de construire leurs propres industries et infrastructures modernes.

En réponse, les pays riches ont accepté d'assumer la charge de la décarbonation et de la réduction de la perte de biodiversité, tout en donnant aux pays plus pauvres plus de temps pour s'industrialiser. Mais ils ne l'ont pas fait, selon Zakri Abdul Hamid, qui a ensuite présidé la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.

Dans un rapport publié avant la COP26, des chercheurs du Center for Science and Environment (CSE) ont établi qu'entre 1990 et 2019, les pays aux revenus les plus élevés étaient responsables de deux tiers des émissions de gaz à effet de serre. Les nations riches n'ont pas non plus respecté le protocole de Kyoto de 1997, une loi internationale visant à réduire les émissions de 5 % en moyenne par rapport aux niveaux de 1990 entre 2008 et 2012.

À partir du début des années 1990, le concept de "contraction et convergence" a gagné en popularité en tant que moyen de renforcer l'équité entre pays à haut revenu et ceux à bas revenu. L'idée était ces pay se décarboneraient tous, mais à des rythmes différents - les pays les plus riches réduisant leurs émissions plus rapidement ("contraction") - jusqu'à ce que les émissions des deux groupes convergent vers le même niveau par habitant. L'idée n'a pas tardé à séduire des décideurs influents des pays à revenu élevé et à faible revenu, dont la Chine et les États-Unis, ainsi que des agences des Nations unies.

"Elle n'a offensé personne ; elle a uni tout le monde. Elle est équitable. Elle est inclusive", déclare le principal architecte de l'idée, Aubrey Meyer, fondateur du Global Commons Institute. Mais ce soutien au concept ne s'est pas traduit par des actions significatives.

"Aujourd'hui, 30 ans après le Protocole de Kyoto, la plupart des problèmes environnementaux se sont aggravés", constate Zakri Abdul Hamid, et les nations riches n'ont pas été tenues responsables.

Sunita Narain est directrice générale du CSE et a co-écrit son rapport avec la spécialiste de la politique climatique Avantika Goswami. Selon Sunita Narain l'accord de Paris de 2015 sur le climat - qui vise à limiter le réchauffement de la planète à moins de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels - a fini par affaiblir les engagements en matière d'équité. Depuis la signature de l'accord, les pays à faible revenu sont également censés commencer à réduire leurs émissions. Pourtant, ces pays produisent une fraction des gaz à effet de serre des grands émetteurs, dit-elle.

"La réalité est que Paris ne nous a pas donné l'espace nécessaire pour nous développer", déclare Sunita Narain, qui représentait le CSE au sommet de Rio. Elle craint que les engagements des grands émetteurs à atteindre des émissions nettes nulles d'ici ou après 2050 ne permettent aux pays riches de "continuer à s'accaparer une plus grande part du budget carbone", à moins que des objectifs intermédiaires stricts ne soient appliqués.

Échec du financement

Les "vétérans" de Rio sont également furieux des promesses non tenues en matière de financement du climat. L'accord de 1992 stipulait que les pays riches fourniraient des fonds pour protéger les pays vulnérables aux effets du réchauffement climatique et pour les aider à développer de nouvelles technologies.

Un fonds d'un milliard de dollars, appelé Fonds pour l'Environnement Mondial, a été créé, suivi d'autres fonds modestes pour le climat. Lors de la COP15 à Copenhague en 2009, les nations les plus riches se sont mises d'accord sur un chiffre plus réaliste qui correspondrait aux besoins des pays à revenus faibles et moyens : elles ont promis de fournir 100 milliards de dollars par an de 2020 à 2025. L'objectif de 2020 n'a pas été atteint et plus des deux tiers des fonds accordés l'ont été sous forme de prêts, et non sous forme de "financements nouveaux et supplémentaires", comme cela était prévu après Rio, selon Tariq Banuri, ancien directeur du développement durable aux Nations unies à New York, qui représentait le Pakistan lors du sommet de la Terre de 1992.

Selon Tariq Banuri, le processus de négociation de la COP que lui, Saleemul Huq, Zakri Abdul Hamid, Sunita Narain et d'autres ont contribué à créer n'est plus qu'une "thérapie institutionnelle" pour les pays riches. "Ils s'engagent dans un processus raté pour se rassurer et se dire qu'ils font quelque chose. Je suis très pessimiste quant à la COP", dit-il.

En même temps, il y a un consensus sur le fait que l'espoir ne doit pas mourir. Un grand nombre de scientifiques et de jeunes gens issus de la science, de l'activisme et de la politique sont présents pour la COP à Glasgow. "Ils doivent continuer à dire la vérité au pouvoir", dit Sunita Narain.

Saleemul Huq, qui a fondé le  Centre international pour le changement climatique et le développement au Bangladesh, estime que les pays doivent continuer à travailler en collaboration avec les Nations unies pour obtenir justice. "Les Nations unies sont ce qui se rapproche le plus d'un organe de gouvernance mondiale", dit-il. "Nous devons persévérer avec elle, même si elle ne tient pas vraiment ses promesses".

La version originale de cet article est disponible en anglais ici.

Pour les autres articles concernant la COP26 :
[COP26] La promesse non-tenue des 100 milliards de dollars de financement du climat
[COP26] Pourquoi les aides aux énergies fossiles sont si difficiles à supprimer ?
[COP26] Engagements climatiques : qu'en pensent les scientifiques présents ?

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