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Billet de blog 17 septembre 2024

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Si Ruffin... (deuxième volet). Comment convertir des croyants ?

Dans un premier billet, j'abordais le problème du populisme lorsque les politiciens brossent dans le sens du poil l'électorat pour plaire. J'en arrivais aux moyens et aux stratégies pour lutter contre l'extrême droite. En répondant à une lectrice, j'ai remarqué que je développais ces questions. Je publie donc ici la suite...

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Suite de "Si Ruffin ne représentait pas que Ruffin..."

Je le lirai avec plaisir Ruffin puisqu'il a sorti un livre. Je n'ai rien contre Ruffin. Dans le fond, ce que je dis dans mon billet précédent peut s'appliquer à beaucoup de monde, dans le champ politique. Le gros problème depuis des années ce sont les approches démago, populistes et misérabilistes des politiciens. C'est une glissade vers l'extrême droite. Ruffin me semble trop en roue libre, et mal conseillé. Il ne suffit pas de "plaire" et de "bien passer à la télé", il faut une stratégie pour contrer les systèmes de communication qui brisent toute possibilité de dialoguer avec la "classe ouvrière". Et ça demande des moyens financiers, humains, militants, et même je dirais, "prophétiques", si, si...

Car, c'est ça l'astuce, il faut faire comme si on dialoguait en permanence avec la classe ouvrière. Ce que fait relativement bien Mélenchon (ceci dit sans être un mélenchoniste). Établir un dialogue avec la population, donner envie à la population de dialoguer ou donner au moins l'illusion d'un dialogue permanent avec une personne jusqu'à ce que la personne se lève le matin en se disant "Tiens, si je lui avais dit ça, il aurait pensé quoi...". C'est un peu ça l'astuce.

Mais pour ça, ça demande beaucoup d'effort et ça ne repose pas que sur une personne, mais aussi sur tous les militants. Parce que l'ouvrier qui se lève le matin, il peut s'imaginer discuter avec Ruffin, ou avec son voisin militant pour Ruffin. Il faut des "médiateurs" de la "pensée divine" si je puis dire. Les médiateurs sont les militants, mais ça signifie aussi "créer des événements", des "moments", des "espaces", où l'ouvrier "qui croit que les arabes qu'il n'a jamais rencontré sont vilains" va rencontrer les médiateurs de la parole divine. Avec l'extrême droite, on est face à une pensée quasi-religieuse.

Donc, nous sommes obligés de la combattre avec des représentations "quasi-religieuse" car nous ne parviendrons pas à émanciper cet "ouvrier croyant" du jour au lendemain, car sa croyance est collective, elle le rend honorable au regard de ses proches, de ses amis, elle est inscrite en lui comme "allant de soi", elle fait parti de son habitus. Le football, le sport, les guinguettes, les moments de sociabilités, les espaces conviviaux, la solidarité, l'entraide, les bons conseils au bon moment, les efforts sincères, les relations sincères, regarder sans juger, ne pas moquer, etc. sont les mots clés pour provoquer une "mutation prophétique" chez le croyant qui vote extrême droite.

Donc pour lutter contre l'extrême droite, il faut remplacer sa croyance par une autre, par des visages, par des questionnements, par de nouvelles certitudes. C'est compliqué, mais pas impossible. Ça marchera avec certain, pas avec tous. Mais dès qu'un croyant commence à douter (ce n'est pas forcément un "doute", mais plutôt, une nouvelle croyance intériorisée, ce qui crée un "conflit intérieur"), ou plus exactement à "muter", il crée une rupture dans son espace de vie et il va se confronter aux autres (ceux qu'il côtoie au quotidien), il va rentrer en conflit avec son "en-soi".

Conséquence : soit il a les arguments pour contrer ceux de son "en-soi" ("les gars de du Front Populaire m'ont rendu service et franchement, ils ont été très gentils", "l'autre jour y'a la fille a truc qui milite pour le front populaire elle a gardé mes enfants, c'est gentil", "j'ai passé un bon moment avec eux, et ils m'ont donné des bonnes combines", "ils m'ont pas pris pour un con, et ils m'ont même appris des trucs utiles", "ils m'ont aidé quand j'étais au chômage", "ils m'ont écouté quand j'étais en dépression", "ils m'ont bien aidé quand j'avais des problèmes avec mon patron", "y'a qu'eux qui étaient là quand j'allais mal", "ils m'ont aidé pour payer les loyers en retard", "ils ne m'ont pas tourné le dos, eux", etc.) ou, soit il manque d'arguments et de soutien, et il va se remettre dans les rangs et abandonner sa "conversion", retrouver ses réseaux de solidarité habituels, son entre-soi, et ce sera un échec. L'ouvrier ou l'ouvrière qui se convertit à gauche le fera si elle a vu du concret, pas juste des idées, pas juste des vus de l'esprit.

Il y a dans tout chamboulement des croyances d'un croyant , un moment où la personne est déboussolée puisque la valeur sociale de ses croyances au regard des autres est essentielle et "va de soi". Il lui faut donc un "refuge" et des soutiens, donc un espace où il peut se rendre et trouver des gens qui le soutiennent et surtout l'écoutent, un espace de solidarité et d'empathie.

Je grossis les traits volontairement, mais nous sommes très  proches, dans le schéma que je viens de dessiner de ce que signifie "lutter contre l'extrême droite" pacifiquement en opérant des "contre-conversions" si je puis dire. Ses contre-conversions sont assez "irrationnelles", elles sont le préalable nécessaire avant de pouvoir éduquer les gens à une pensée plus rationnelle. C'est pour ça qu'il est parfois bien d'avoir des sortes de "curés rouges" comme on les appelait à une certaine époque, des médiateurs d'une parole divine révolutionnaire (à une certaine époque, c'était les anti-cléricaux, aujourd'hui, ce sont les anti-fascistes).

C'est ça l'éducation populaire efficace, c'est lorsque les "gens" se demandent ce qu'aurait pensé leur maître à leur place, puis au bout du chemin, s'émancipent de toute pensée prophétique et accède aux "outils" pour "penser par eux-mêmes". C'est l'aboutissement d'un processus d'éducation populaire réussi.

Pour y parvenir pas, il est inévitable de militer sans compter, de trouver des moyens pour que de véritables "jésuites de gauche" (je sais, ça peut faire rire ou choquer, mais c'est une véritable vocation prophétique qu'il faut avoir pour être efficace contre des croyances d'extrême droite, ça demande beaucoup d'énergie et de temps, mais quand on aime les relations humaines, ce sont des aventures formidables) de créer des espaces permanents, ouverts quasiment chaque jour et surtout aux heures de temps libre, le soir, à midi, le week-end, toute la journée quasi tous les jours, de chaleur humaine, de conseils, d'éducation populaire, de "recueillement", d'écoute, de belotes et de tarots, d'entraide, de solidarité, d'empathie, de conseils, d'accompagnement, de lutte, "mieux que la télé". Ce sont des lieux où l'on doit aussi combattre nos "propres démons" comme "fumer des pétards" par exemple, un truc bien de gauchiste (et c'est l'hôpital qui se moque de la charité). Il faut que ce soit des lieux honorablement reconnus par les populations locales comme des espaces sérieux, des sortes d'université populaire de lutte et de solidarité, éducatif et émancipateur. Ce qui demande une certaine discipline. Et je sais que ce n'est pas facile avec les camarades, mais le "concert punk" avec "tout le monde bourré" et les "calumets de la paix", ce n'est pas émancipateur... n'est-ce pas ? Même si évidemment je comprends que parfois ça fait du bien.

Il faut que ce soit des espaces où les gens ont envi d'aller quand ils ne travaillent pas, il faut que les gens deviennent "accrocs" à ces espaces, il faut créer une quasi-dépendance. Ce n'est pas sans rappeler bien entendu l'histoire des bourses du travail ou des maisons du peuple lorsqu'elles étaient des lieux où les gens se rendaient massivement quotidiennement simplement parce qu'ils avaient besoin se réunir (ce qui n'empêchait pas de boire un "coup de rouge", quoiqu'ils aient fini aussi par l'interdire tellement c'était une catastrophe...), de se rassembler, d'être ensemble. C'est mieux qu'une église (ou qu'une cabane de chasseurs, ou que le comité des fêtes du maire RN...).

J'adopte volontairement le vocabulaire religieux, parce que nous sommes face à des "croyants" (ou de gens pris dans un espace de croyants racistes au travail, chez les parents, à la chasse, au club de tarots, etc.) que nous devons entrainer vers un processus de conversion, tout d'abord, puis d'émancipation, enfin. Voilà... Tout ça est discutable, mais la réalité, elle est ce qu'elle est. Ce n'est pas simple.

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