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Billet de blog 25 février 2025

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« Expérimentations » d’expulsions des centres d'hébergement

L'État a annoncé la mise en place d'une « expérimentation » visant à expulser un grand nombre de familles de leurs centres d’hébergement (dits « foyers ») dans deux départements. Un nouveau pas franchi dans la mise en concurrence des familles pour accéder à l'hébergement d'urgence. Mais il est encore temps d'agir.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis le début du mois de février, les habitants de plusieurs centres d’hébergement (dits « foyers ») ont été informés que sur décision de l'État, s'ils n'avaient pas (ou plus) d’enfant de moins de 3 ans, et n'avaient pas de problèmes de santé importants, ils seraient prochainement expulsés de leur hébergement.

Une annonce qui a sidéré les familles, les travailleurs sociaux, et l’ensemble des associations.

Une expérimentation proposée dans deux départements

La décision vient de directives étatiques, plus précisément de directives de la DIHAL (Délégation interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement). Lors d’une réunion organisée le 5 décembre par la DDETS (Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités), il a été annoncé que cette « expérimentation » serait menée sur quelques sites, dans les deux préfectures retenues par la DIHAL : celle du Rhône et celle de Haute-Garonne. 

L'idée est d'expulser des centres d'hébergement toutes les familles qui ne seraient plus assez « vulnérables ».

Cela s'inscrit dans le contexte d'une réévaluation permanente des « critères de vulnérabilité », qui permettent aux familles d'être « prioritaires », ou non, pour accéder à un hébergement d'urgence, à cause d’un manque global de places (un manque qui s'explique par un manque de budget et une limite imposée du nombre de places).

C'était déjà le cas pour l'hébergement d'urgence que l'on appelle « mise à l’abri » temporaire (nuitées d'hôtel notamment). Ces dernières années et ces derniers mois, ces critères s'étaient durcis pour l'accès à cette « mise à l’abri » d'urgence. Par exemple, les enfants de plus de 3 ans n'étaient plus considérés comme prioritaires, et de même ces derniers mois, certains enfants plus jeunes, s'ils n'étaient pas considérés comme fragiles, n'étaient pas non plus considérés comme vulnérables, n'étaient plus prioritaires et restaient donc sans solution, à la rue. Et évidemment, pour les adultes sans enfants (particulièrement des hommes), des chances très très minces d'accéder à la mise à l'abri.

Chaque fois que les critères sont revus, ils se durcissent.

Mais l’extension de cette « réévaluation » des critères de vulnérabilité aux centres d’hébergement d’urgence (CHU, souvent appelés « foyers » dans le langage courant) qui sont, de fait, des centres d’hébergement pérennes et de long terme pour les familles, est inédite et brutale. 

La DIHAL a donc choisi deux départements pour expérimenter ces « fins de prise en charge ». Il s'agirait, d'après les termes employés, de « mener l'expérimentation sur un périmètre restreint, pour démarrer et à petite échelle pour regarder ce que cela produit » (!) - donc en d'autres termes pour voir si ce procédé peut prochainement être étendu, ou non, au niveau national. Pourquoi ces deux préfectures en particulier ? Comment les sites ont-ils été choisis ? Ces questions semblent, pour le moment, sans réponse. 

Illustration 1

Des familles prises dans l'absurde juridique et administratif

Dans les quelques sites « test » choisis dans le Rhône (a priori, plusieurs foyers gérés par Adoma, dont des foyers - CHU/CADA/HUAS - à Oullins et Vaulx-en-Velin, mais aussi à Meyzieu et Villefranche-sur-Saône), il s’agirait de dizaines de ménages qui seraient expulsés, dont de nombreuses mères seules (un public très représenté dans les centres d’hébergement d'urgence), avec de nombreux enfants et adolescents.

Or, la majorité de ces familles sont de nationalité étrangère et résident dans ces foyers depuis plusieurs mois voire années, leurs enfants sont nés en France ou arrivés très jeunes, et scolarisés depuis toujours dans ces communes. La plupart de ces familles sont en attente d'une régularisation qui leur est refusée, alors qu'elles sont en France depuis 6 ans, 8 ans, parfois 10 ans. Elles étaient hébergés là pour une durée indéterminée, après avoir patienté environ 2 ans sans solution pour la plupart d'entre eux avant de pouvoir avoir cette place en dispositif d'hébergement.

Il est donc extrêmement brutal et violent, du jour au lendemain, d'annoncer une expulsion à ces familles, en particulier quelques semaines après l’annonce de la circulaire Retailleau qui prive de fait un certain nombre d’entre eux de leurs possibilités de régularisation et donc de logement dans les prochaines années.

Rappelons que ces familles, présentes depuis plusieurs années mais sans droit à la régularisation (voir mon article ici sur la circulaire Retailleau, janvier 2025), ne peuvent, sans titres de séjour, ni accéder à la location (les propriétaires et les agences refusent la location aux personnes sans titres de séjour) ni accéder aux logements sociaux (même chose). Elles n’ont pas de droit aux allocations ni à aucune aide de ce type, et elles n’ont pas de droit de travail (voir aussi ici, la situation des mères sans papiers - celles qui prennent la parole dans cet article étaient toutes hébergées dans ce type de centre et donc directement concernées). Il est donc impossible pour elles de se loger autrement que par ces dispositifs d'hébergement d'urgence.

Que vont donc faire l’ensemble de ces familles ?

De nombreuses questions se posent juridiquement sur la question même de la « réévaluation des critères de vulnérabilité » mais aussi de la faisabilité de telles expulsions, qui pourraient être massives.

Ces décisions d'expulsions seraient d'ailleurs en contradiction claire avec les textes actuels de définition des missions des centres d'hébergement d'urgence; en effet, ces centres ont été définis par deux principes : le principe d'accueil inconditionnel, et le principe de continuité (prise en charge indéterminée). Cela implique théoriquement le droit des personnes à être maintenues en hébergement d’urgence, à défaut de proposition ou jusqu’à une orientation proposée. 

Cela pourrait aussi mener rapidement les associations à se saisir du droit : quelle institution se chargerait de l’évaluation ou réévaluation de la vulnérabilité ? Qui transmettrait les données et par qui ces données, notamment celles portant sur l'état de santé, et donc relevant du secret médical, seraient-elles consultables ? Est-ce que les structures et les travailleurs sociaux accepteraient réellement de mettre physiquement à la rue des familles qu’ils connaissent depuis plusieurs mois ou années ?

De plus, il pourrait y avoir des bras de fer importants, aux enjeux aussi politiques, entre les différents acteurs impliqués : préfecture, Etat, métropole, organismes d'hébergement, associations... 

La mise en concurrence des vulnérabilités 

D'après l'État, il s'agirait de « fluidifier le parc d’hébergement ». En effet, puisque l’État impose un nombre fixe dédié aux places d’hébergement d'urgence, et de nombreuses personnes et familles n’ayant pas de place, il s’agit de demander aux familles « non prioritaires » de sortir (dans la rue), pour faire rentrer des familles devenues « davantage prioritaires » à leur place. C’est-à-dire créer de la concurrence de la vulnérabilité, plutôt que de chercher une solution globale aux problématiques d'une part de la gestion de l'hébergement (gel des ouvertures de places au niveau national) et d'autre part des problématiques rencontrées par ces familles (durcissement du droit au séjour, blocages et lenteurs administratives dans le renouvellement des titres, mais aussi absence de droits de travail et de revenus, d'où découle l'impossibilité de se loger).

Créer les critères du « pire », ne donner des droits que quand vraiment il y a risque de décès à la rue, ne donner que le minimum, et créer une logique dégradante et absurde pour les familles. Une mère dans un de ces centres, suite à l'annonce, disait : « mon fils va avoir 3 ans bientôt, si l’âge devient un critère, qu’est-ce qu’ils veulent ? Que je tombe enceinte de nouveau pour pouvoir garder ma place ? ». Cela plonge dans un engrenage où les enfants deviennent coupables d'avoir grandi, coupables d'aller bien, coupables d'aller mieux.

Que signifie donc « fluidifier », si ce n'est, expulser ? Que signifie « réévaluer », si ce n'est, mettre en concurrence ? 

Il s’agirait pour les structures d’hébergement de cette « expérimentation » d’une part de retirer les contrats actuels pour les remplacer par des contrats de 3 mois renouvelables (pour pouvoir y mettre fin plus facilement) et de distribuer des courriers de fin de prise en charge aux familles devenues « inéligibles » . Dans plusieurs centres d’hébergement, des consignes de modification des contrats et d’avenants auraient été transmis dès le mois de décembre dans le but de préparer ces potentielles expulsions au printemps 2025, sans bien sûr que les habitants aient été informés des objectifs et des portées de ces documents. 

Selon plusieurs acteurs associatifs, cette expérimentation aurait été proposée à d'autres directions d’organismes d’hébergement, qui auraient refusé de la mettre en place. Seuls certains organismes auraient accepté (notamment, Adoma) et les travailleurs sociaux et les équipes locales de ces organismes n’en auraient été informés que très récemment.

Plusieurs associations et groupes de juristes au niveau local et national seraient déjà en train de se saisir de ce sujet. Il semblerait qu'empêcher cette expérimentation permettrait d’empêcher par la suite son extension, et donc l’expulsion de centaines de familles de leurs centres d’hébergement partout en France, qui serait une gigantesque catastrophe sociale et humanitaire, dont les conséquences, physiques et psychiques sur les familles et les enfants, seraient si grandes qu'elles sont difficiles à mesurer.

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