Cinéma alimentaire #6 "C'était mon steak, Valance."

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En 1962 sort L'Homme qui tua Liberty Valance (The Man who shot Liberty Valance). À la réalisation, John Ford. Les acteurs principaux sont James Stewart (inoubliable dans La Vie est belle) et John Wayne. Et Liberty Valance, c’est Lee Marvin (salutations à Baloz).
La scène se déroule dans la ville de Shinbone. Le restau, Peter’s place, est plein quand Valance et ses hommes entrent. Scène du classique du Western, tout le monde se tait. Le loup rôde, un ange passe.
Valance et ses acolytes (dont Lee Van Cleef) chassent rapidement les clients de leur table et s’y installent. Ransom Stoddard (James Stewart) s’apprête à entrer en salle pour servir Tom Doniphon (John Wayne). Il a, pour ce client apprécié, un steak et une tarte qu’ajoute au dernier moment le patron (et on sent qu’il le fait avec plaisir).
Ransom Stoddard (James Stewart) est le serveur-plongeur du restaurant histoire de payer sa chambre. Il entre de dos dans la salle en poussant la porte avec les fesses. Lorsqu’il se tourne, il repère aussitôt le fouet de Liberty Valance posé sur la table à côté de son assiette. Gros plan sur l’objet, sur l’attribut. Cela fait renaître chez lui un traumatisme.
Vise la dégaine, quelle rigolade ! Valance se moque de la « nouvelle serveuse ». Lui, avec son fouet, il incarne la brutalité virile, quant à Ransom Stoddard il ne représenterait, avec son tablier, qu’un Ouest soi-disant efféminé. Quand ce dernier s’apprête à servir Tom Doniphon (John Wayne), Valance le fait trébucher. Il tombe et renverse son plateau et l’assiette.
Quel gâchis. Tom Doniphon se lève et dit : « That was my steak Valence. » (S’il avait dit, c’est ma tarte, ou mon apple pie, cela aurait été moins frappant, moins casus belli).
Les deux hommes, joués par Marvin et Wayne, se font face. C’est un duel revisité, déclenché par une formule dérisoire.
Aucune mouche ne vole, aucune balle ne fuse, le steak a fini de voler. Pas besoin des gros plans de Sergio Leone pour sentir l’extrême tension. Et puis Ransom Stoddard intervient, de rage, éprouvant le pathétique de la scène.
À ma gauche, Ransom Stoddard, homme de loi, avocat. À ma droite, Liberty Valance (la liberté du renard dans le poulailler), homme d’arme à feu et de fouet et de peu de foi. L’un est droit sans ses droits, l’autre droit dans ses bottes.
Steak America Great Again ? Non.
À travers ce steak, cette viande qui jonche le sol, c’est un modus vivendi démocratique qui est en train d’émerger (le mot viande vient justement du latin vivere, vivre).
Dans le crépuscule du western, le film aborde la question de la justice personnelle et de la liberté de droit. La fin du wild steak. Le fouet, le flingue-je m'en bats les steaks vs le tablier, la démocratie-on n’est pas chez les sauvages ! Avec pour témoin, pour arbitre des élégances et du steak : Tom Doniphon, un homme droit (un peu chaloupé à la John Wayne quand même).