C’est l’été. Le temps des séries. Cette année, revenons sur un conflit qui a fait des dommages collatéraux et culturels : la guerre du Golfe (1990-1991). À la BBC ou à la radio française, des chansons furent alors privées d’antennes. Une censure qui en disait long. Des chansons interdites pour une raison impérative ou pour deux cent mille raisons confuses. Voici quelques chroniques d’une censure, le long de la guerre du Golfe pas très claire (avec ses reflets d’argent). Pour chanter, pas pour faire la guerre.

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1913-2023. Charles, le nouveau-né de 1913, serait aujourd’hui, en 2023 très né.
Le fou chantant s’arrêta avant cent ans.
En 1991, il avait 78 ans. Cette ridicule circulaire listant les chansons censurées pour cause de guerre en cours ne le tua pas.
Elle lui offrit un inattendu papy-boom. Tout ça parce que sa chanson « Boum » clochait.
Faut dire que le mot a des sonorités universelles. Pas besoin de traduire Charles Trenet. L’onomatopée fait « Boom ! » à l’international, depuis longtemps.
De même qu’on ne parle pas de corde avec un pendu (« ficelle, soyez bénie ! »), on ne parle pas de Boom ! à un pays qui fait la guerre.
« Boum » au rapport ! Quand on connaît la chanson, il y a de quoi s’étonner. Ce bond, ce son d’émotion, cet élan du cœur est donc pris pour un acte guerrier. Faites taire ce Boom ! qu’on ne saurait ouïr.
Dans le déroulement tortueux des opérations, cet éclat de poésie pouvait-il trahir quelques intentions bellicistes, pacifistes ?
Une chanson sinon engagée, du moins embarquée dans une Tempête du désert.
Cette déflagration de sens, on ne la prête qu’aux riches. À ceux qui dépoussièrent, qui explosent, qui fragmentent. Aux poètes de la rue qui ruent. À Trenet.
Certes, ce n’était pas la première fois que ce « Boum » produisait des échos politiques. La chanson de Trenet était en effet sortie en 1938. Pierre Dac l’avait alors pastichée : « Mais Boum ! C’est en Allemagne que, Boum ! / Hambourg, Berlin font Boum ! / C’est la RAF qui passe ! / Boum ! Jour et nuit badaboum ! / Au rythme de ces Boum ! / Dans la Ruhr, il y a d’la casse. »
Même en 1991, ces lyrics furent transformées en un flow dangereux à heure de grande écoute « Le monde entier fait boum / Tout avec lui dit boum / Quand notre cœur fait boum-boum / Boum, je n'entends que boum-boum / Ça fait toujours boum-boum, boum, brrr, boum ».
Trenet, on l’avait connu plus léger. En temps de guerre, sa colombe semblait avoir de gros sabots que la censure de 1991 ne voulut plus entendre. On aurait pourtant pu faire de ce « Boum ! » de Charles Trenet une onomatopaix. On n'y vit que Trenet de poudre.
Le cœur fait « Boum » et tout avec lui dit « Boum » ?
Le Golfe, Bagdad, les tanks, les troupes… Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des Tanks. Et au temps des scuds, de quoi « Boum » est-il le nom ? La censure nous prouve sa façon de voir le mal partout et de tout prendre au pied de la lettre.
Trenet avait été un trait d’union, avec son « Douce France », message de fraternité repris et complété par le groupe Carte de séjour avec la voix un peu grinçante de Rachid Taha.
Qu’a-t-il pensé lorsque sa chanson « Boum » fut interdite d’antenne pour cause de participation de la France à la Guerre du Golfe ?
S’en amusa-t-il en roulant des yeux ?
Boom ! Comme une Bagdad bombardée le long du Golfe pas très clair.
En 1991, la légèreté aérienne de ses chansons faisait trop penser à celle des Mirages parcourant un ciel au-dessus du désert.
#1 Chanson de Jean-Patrick Capdevielle : "Quand t'es dans le désert"