L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

379 Billets

2 Éditions

Billet de blog 11 août 2024

L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

Les paysannes et Anne Sylvestre

Il est où le patron ? Quelle drôle de question !

L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

« Il est pas là le patron ? », entendait-on dans le film Le Grand restaurant. De Funès, odieux patron, testait, en client déguisé, ses employés. 
- Non, Monsieur Septime est sorti, lui répondait le serveur.
Ah ben, vous devez être content, répliquait De Funès, pervers.

Patron, un mot à interroger, assurément.

Il est où le patron ? Chroniques de paysannes, le titre de cette BD dit déjà beaucoup de son contenu. 

Chroniques de paysannes. Ces paysannes parlent en leur nom propre, aidés en cela par la dessinatrice Maud Bénézit.

Il est où le patron ? Et lorsqu’il n’y a pas de patron ? Ou que le patron est une patronne (plus exactement une cheffe d’exploitation), voire deux patronnes, deux associés ou un collectif ? Alors la question-réflexe « il est où le patron ? » ne veut plus rien dire et témoigne de l’urgence d’une mise à jour des schémas sociaux.

Même si le patron, cela reste finalement la banque, au moins il y a encore le moyen de choisir son oppresseur, comme le disent, avec une énergie amère, ces femmes paysannes. Pas de patron mais cheffe, mot qui en fait finalement des femmes de tête (bon, "cheffe d'exploitation", ça fait pas rêver).

Cette BD décrit un monde paysan du point de vue de cinq paysannes.

Le livre est découpé en saisons. Il est documenté, vivant, politique, drôle, très plaisant graphiquement. Une œuvre écrite ensemble.
Par la dessinatrice Maud Bénézit et ses scénaristes-paysannes que sont Marion Boissier (maréchage et apiculture), Fanny Demarque (éleveuse de brebis), Florie Salanié (apicultrice), Guilaine Trossat (éleveuse de brebis) et Céline Berthier (éleveuse de chèvres).

Il est question de normes physiques, sociales, de rapports de pouvoir, de patriarcat. Paysannes en colère, elles témoignent d’un festival de remarques sexistes, dans le métier, sur les marchés. La question du corps s’impose aussi dans un monde physique. Elles parlent d’une façon de faire autrement qui est tout aussi valable : aller moins vite, utiliser des outils adaptés, ne pas se faire mal pour montrer sa virilité… Le livre est rempli de situations vécues qui parlent d’elles-mêmes : bricolage, dressage de chien, utilisation du tracteur, utilisation d’une tronçonneuse (ce qui rappelle cet autre livre, Copeaux de bois).

Mes amies, mes amours, mais sans mecs. Ou bien choisis, qui échappent aux clichés. Loin des discours, des regards aussi toxiques que des armées de pesticides. 

Illustration 2

Et au milieu de cet album, Anne Sylvestre (salut au spécialiste du Club, Denys Laboutiere). Dont les chansons, la présence planent sur le livre. Normal, plusieurs des paysannes sont fans.
Dès les premières pages apparaît la cassette audio de l’album « Une sorcière comme les autres ». C’est ce qu’écoute en voiture la paysanne dont on va suivre l’installation. Elle fredonne notamment « Bergère », track 5 de l’album.

Ah dis-moi donc bergère
À qui sont ces moutons?
Monsieur, à la bergère
Qui se les achetions
Et mon pied au derrière
Devinez qui l’auront?

Ah dis-moi donc bergère
Comment me parle-t-on?
Monsieur faut vous y faire
On a changé de ton
Et mon pied au derrière
N'est pas pour mes moutons

La chanson date de 1975. Le livre est sorti en 2021. Le chemin est long, alors autant écouter du Anne Sylvestre en voiture. 
Cette BD est effectivement un coup de pied au derrière. Et le changement de ton est là. 

Plus loin dans la BD, on trouve un extrait de « Clémence en vacances » (1978). Autre sujet. Idée de partage, d'égalité.

Honoré, c'est bien dommage
Doit tout faire à la maison
La cuisine et le ménage
Le linge et les commissions
Quand il essaie de lui dire
De coudre un bouton perdu
Elle répond dans un sourire
Va, j'ai bien assez cousu
Clémence, Clémence
A pris des vacances
Clémence ne fait plus rien
Clémence, Clémence
Est comme en enfance
Clémence va bien

C’est à Anne Sylvestre qu’aurait dû revenir d’écrire la préface de ce livre. Hélas, elle est partie avant. 

Les paysannes ont cette heureuse formule dans l’épilogue du livre :
« Tu déplorais que le public retienne de tes textes surtout « les petites fleurs et les ruisseaux » au détriment de tes idées. C’est parfois l’impression que nous avons nous aussi, paysannes assorties dans nos jolis décors. »

La dessinatrice Maud Bénézit a fait un joli portrait d’Anne Sylvestre, chevelure rouge, en bergère à guitare devant des moutons. Je vous laisse découvrir.

En somme, un livre pour lutter contre ceux qui sont restés bloqués 40 ans en arrière et pour donner, aujourd'hui, des modèles féminins de paysannes bien dans leurs têtes et leurs terres.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.