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Billet de blog 11 juillet 2023

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Mediapart aux Suds, à Arles, jour 1 - Banalisation des idées d'extrême droite : « Les mots nous habituent à l’indifférence »

Du 10 au 17 juillet, Mediapart est au festival de musiques du monde Les Suds, à Arles. Chaque jour, nous vous faisons vivre nos découvertes musicales ou les moments de partage avec nos lecteurs. Jour 1 : Edwy Plenel ouvre le festival avec un « appel à la vigilance ». Si l'atmosphère politique s'obscurcit, « nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre ».

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Illustration 1
Rencontre Mediapart en ouverture des Suds, à Arles © Jeanne Gasnier

« On s’habitue à certains mots, et ces mots nous habituent à l’indifférence ». Le festival des Suds, à Arles, s’est ouvert sous le signe de l’interpellation. C’est Edwy Plenel qui s’est chargé du lancement, dans l’auditorium de l’École nationale supérieure de la photographie. « Nous sommes ceux qui disent non à l’ombre ». 

Rendant hommage à l’Appel à la vigilance, ce texte publié en 1993, dans lequel un ensemble d’intellectuels s’alarmait déjà de la normalisation des idées d’extrême droite, il a souhaité démontrer combien cette apostrophe était actuelle, alors que l’horizon s'enténèbre et que les langages identitaires s'épanouissent sur tous les canaux.

Il nous faut donc « tenir les digues » qui peuvent encore être tenues. Même si les mécaniques nous dépassent (les « médias de haine » qui prospèrent, la bollorisation accélérée, les porosités entre extrême droite, droite classique et macronisme, la multitude de gestes et d’actes qui passent sous les radars médiatiques, racontés lors de notre soirée publique sur les haines ordinaires… ), il faut savoir être « des grains de sable pouvant gripper même les plus robustes machines ».

Des mots qui tissent la toile de l'indifférence

Et être attentif aux mots, à leurs usages et mésusages, dans la lignée de Viktor Klemperer, auteur de La langue du IIIème Reich (1947), méticuleux analyste des mécanismes langagiers par lesquels la fascisation s’est nichée dans des grammaires les plus quotidiennes, au travers des concepts et des automatismes, en tissant la toile de l’indifférence et de l’habituation. Un exemple récent : le mot « nuisibles », caractéristique du champ lexical fasciste, utilisé dans le communiqué récent d’un syndicat de police puissant, après les révoltes des quartiers populaires.  

[Vidéo de la présentation d’Edwy Plenel à venir]

Il y a deux ans, lors de l’édition 2021 des Suds à Arles, nous avions rencontré Benoit, musicien, et Hélène, archéologue plongeuse, fidèles abonnés arlésiens (voir le blog de Benoit, et ses chansons engagées - celle-ci est pile dans notre sujet), assis au premier rang (« on s’enhardit d’année en année ! »). Dans un contexte déjà difficile en 2021, à l’orée des confinements, ils racontaient leurs sources d'espoir : « trouver des collectifs, prendre part à la vie de quartier, rencontrer des militants, s’intégrer dans le réseau Welcome à Arles qui accueille les gens : il y a des tas d’initiatives ici, dans lesquelles on peut s’inclure, et le fait d’être dans une petite ville permet d’agir à l’échelon local, de créer du commun et du lien. » Deux ans après, ils sont toujours aussi déterminés à assurer des micro-résistances, mais regrettent tous deux, dans les milieux écologistes, la tentation de « laisser la politique aux politiques » ; en d'autres termes, la désaffection de la politique institutionnelle, principal levier de transformation réelle.

« Un plaisir d’aller à la castagne »

Leurs références ont évolué, aussi ; Hélène parle avec passion d’Ecofascismes, le livre du chercheur Antoine Dubiau (voir cet entretien vidéo), qui a le mérite, selon elle, d’aborder des sujets trop souvent mis sous le tapis dans les milieux écolos qu’ils fréquentent, qu’ils trouvent pénétrés par des discours autoritaires. Elle a aussi lu, justement, l’ouvrage de Victor Klemperer sur la langue du troisième Reich abondamment cité par Edwy Plenel dans son discours. Elle y a trouvé la même substance actuelle pour comprendre et penser l’ascension insidieuse, dans nos vocabulaires, des schèmes violemment identitaires.

Illustration 2
@Jeanne Gasnier

Lors du moment d’échange qui a suivi la rencontre, avec autant de passagers que d’habitués (« on se voit chaque année ! » dit une dame), un homme âgé, visiblement ému, raconte brièvement : « Moi, il y a 30 ans, j’étais au SCALP - la Section carrément anti Le Pen » [un collectif antifasciste né à Toulouse en 1984, ndlr]. C’était un plaisir d’aller à la castagne ». Heureusement, le SCALP a des héritiers. 

Autre signe que, d’une façon ou d’une autre, la passation se fait entre les âges : dans le public, un garçon pianote sur son téléphone. Son père le sermonne (« il faut l’écouter ! »). En fait, l’adolescent, consciencieusement, était en train de prendre des notes.