C'est un dimanche banal de la "médiasphère" française, au gré des émissions dominicales où femmes et hommes politiques se promènent chaque semaine dans les émissions dédiées en radio ou en télé, délivrant à qui le veut ou le supporte encore leurs rhétoriques propres, portées par une éthique de conviction louable dans certains cas et dans d'autres, une virtuosité démagogique.
Aujourd'hui, Nadine Morano était l'invitée du "Supplément" de Canal Plus, quelques mois après l'inoubliable et fondamentale controverse dont elle avait été la splendide héroïne sur France 2 dans "On n'est pas couché", soutenant sa définition ethnique de la France ("La France est un pays de race blanche"), et après s'être fait retirer son investiture aux élections régionales par son propre parti. Si vous avez manqué l'épisode, rapportez-vous à sa chronique nourrie, çà et là. Aujourd'hui, dans un échange avec quelques-uns de ses supporters, filmée dans le cadre du reportage d'ouverture de l'émission, on entend ceci :
"Dans le quartier où j'ai grandi, il y avait quatre familles africaines. Quatre. Dont une est restée ma meilleure amie. Après, quand vous retournez dans ce quartier... regardez la Gare du Nord : on n'a plus l'impression d'être en France, on a l'impression d'être en Afrique... Non mais : vous arrivez Gare du Nord, c'est l'Afrique ! C'est plus la France ! Et on n'a pas le droit de le dire ? Mais je le dis parce que c'est vrai !"
S'ensuit la gêne qu'on peut imaginer sur le plateau. Non qu'on ne perçoive la typique et si caractéristique volonté du maître de cérémonie, Ali Baddou, de passer à la suite de l'entretien, fiches à la main, floquées au logo de l'émission - percevant le "buzz" potentiel certes, mais quelque peu désarmé et à court de répondant, selon son habitude. Mais les chroniqueurs eux, n'ont pas envie d'en rester là, et interrogent encore la députée européenne, qui confirme son propos, précisant qu'elle a eu elle-même l'occasion de mener son enquête aux abords de la Gare du Nord, pour s'assurer que oui, pour de bon "C'est plus la France", mais l'Afrique :
Alors oui, après de telles manifestations médiatisées du racisme ordinaire dans la France de 2016 on hésite, certes, à donner un écho qui pourrait, dit-on, être contre-productif. Et puis non, on se ravise, et on se dit qu'après tout, comme il y a quelques mois, le porte-voix étant déjà donné par les médias, mieux vaut saisir l'opportunité qui se présente encore, d'attirer l'attention des uns et des autres sur la capacité aujourd'hui dans ce pays, pour un personnage public, à déverser sur une partie de la population toute la xénophobie à disposition.
"C'est plus la France !", et le chœur populaire du Front national répondra "On est chez nous !" Les analyses politiques diverses se feront jour, la mention de l'opportunisme d'une femme marginalisée (paraît-il) dans son propre parti, la démonstration n'étant plus à faire des ressorts de son discours infect. Et pourtant, la machine à banaliser le racisme dans l'opinion publique fonctionne bel et bien, à plein régime, via la phraséologie portée par Madame Morano qui relève, ni plus ni moins, de l'incitation à la haine raciale.
Éprise d'identification phénotypique, ivre de classification pigmentaire, Madame Morano poursuit bon an mal an, au gré des borborygmes qui lui tiennent lieu de pensée, de répandre dans les médias la virulence de son racisme viscéral. Régulièrement, nous avons droit aux délicats effluves de sa flatulence verbale et après tout "on s'y fait", parce que c'est comme ça, qu'on ne peut rien éviter - c'est ce qui se dit. Il n'est pas forcément mauvais que les médias aient pu mettre au grand jour tout au long de ces dernières années la vision de la société dont est porteuse cette femme, et Internet regorge des meilleurs moments de sa carrière déjà longue en la matière - l'un des plus marquants étant ce jour où, en campagne électorale sur un marché, elle interpelait un homme en lui rappelant qu'il n'était pas chez lui en France et que la France, bonne fille, le tolérait tout juste en lui versant généreusement des allocations de tous ordres. À force d'assister à tout ce déversement, on a appris à vivre avec ces délires racistes de Nadine Morano, les consommant via les médias, selon les saisons.
Mais où en est la réplique ? Quand donc dira-t-on son fait à un racisme aussi ouvertement clamé ? Que veut dire ce pays si aucune parole n'est opposée à une telle banalité du mal, dans la torpeur dominicale et la régularité métronomique de l'ignominie ? Que signifie alors le moindre désaveu porté à l'endroit des délires racistes d'un Donald Trump si, ici même, on laisse passer tout cela ?