Notre intime conviction et position immuable jusqu’à la démonstration convaincante du contraire réside en ceci que, malgré les apparences théâtralement bien ourdies, Paul Kagamé, alias Joseph Kabila, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, Vital Kamerhe ou autre Moïse Katumbi sont tous intimement de mèche en vue de la balkanisation et de l’implosion du Congo. La connivence et trahison de Tshilombo étant particulièrement motivées, aiguisées et entretenues par les espèces sonnantes et trébuchantes qu’il s’en procure ainsi que par le chaos qui lui permet autant de conserver le pouvoir que d’orchestrer le glissement anticonstitutionnel… Voilà en quoi réside la stratégie et la constance du régime[i] ! Néanmoins, cela ne nous épargne pas de la pertinence d’explorer d’autres pistes d’analyse au gré des évènements et au fil du temps.
Au Global Gateway Forum 2025, tenu à Bruxelles, le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, a surpris la communauté internationale en tendant publiquement la main à son homologue rwandais, Paul Kagamé. Cherchant à marquer un tournant diplomatique majeur dans les relations tumultueuses entre la RDC et le Rwanda, il a renoncé à réclamer des sanctions contre le Rwanda et proposé une « Paix des braves » au chef d’Etat rwandais. Cette initiative, abondamment relayée par les médias, a suscité un flot de réactions aussi diverses que contrastées. Quelques jours après la main tendue de Tshisekedi à Kagamé, il est encore trop tôt pour mesurer pleinement la portée de ce dessein. Toutefois, selon certains, elle a déjà permis de repositionner la RDC comme acteur proactif du dialogue régional. D’autres estiment que ce revirement de Tshilombo illustre son manque de constance et lui enlève beaucoup de crédit auprès de ses homologues régionaux, notamment auprès d’Évariste Ndayishimiye du Burundi et de João Lourenço de l’Angola. À une dizaine de jours de cet acte symbolique, il convient d’analyser ses effets, d’en anticiper les conséquences sur la situation congolaise et d’en tirer les principaux enseignements. Désabusé, Ndayishimiye va-t-il reconsidérer son soutien ?

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Une diplomatie à genoux !
Selon sa propre explication, Tshilombo a été surpris par la présence en personne de Paul Kagamé au forum de Bruxelles. Instantanément, il a eu l’inspiration de l’interpeller directement. Il a alors mis de côté le texte officiel de son discours prévu, appelant à des sanctions contre le Rwanda, pour inviter Kagamé à une « Paix des braves ». D’aucuns estiment que cette main tendue de Tshisekedi a été perçue comme un geste fort d’ouverture et de recherche de dialogue. Elle a contribué, dans l’immédiat, à réduire les tensions perceptibles entre les deux États, envoyant un signal positif à la communauté internationale et aux partenaires régionaux. La forte couverture médiatique de l’événement a mis la pression sur les deux parties pour qu’elles concrétisent ce geste par des actes. Plusieurs chancelleries occidentales ont cherché à soutenir l’élan en exprimant leur soutien à la démarche de Tshisekedi, tout en appelant à la vigilance et à la poursuite des efforts diplomatiques. Parmi les chancelleries occidentales, l’ambassade de France à Kinshasa a salué publiquement la main tendue de Félix Tshisekedi, soulignant l’importance du dialogue pour la stabilité régionale. De même, les États-Unis, par le biais de leur ambassadeur, ont exprimé leur soutien à toute initiative visant à instaurer une paix durable dans la région des Grands Lacs. Enfin, l’Union européenne a appelé l’ensemble des parties à poursuivre sur la voie du dialogue, tout en rappelant la nécessité d’un engagement concret sur le terrain.
Cependant, es réponses, du côté rwandais ont été, dans l'ensemble, négatives et critiques. Kagamé et son ministre des Affaires étrangères ont dénoncé une "comédie politique ridicule", réaffirmant que l'escalade était la faute de la RDC et que la désescalade reposait sur Kinshasa ; notamment par la neutralisation des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et le respect des accords existants (processus de Luanda et de Nairobi/Doha). De même, les réactions ont été sensiblement mitigées au sein de l’opinion publique congolaise. Certains ont salué le courage politique du président, y ont vu un coup de maître diplomatique, désignant l'agresseur tout en offrant la paix, plaçant ainsi la RDC dans une posture de dignité. D'autres ont exprimé des craintes, y voyant une possible posture de faiblesse ou une tentative de contourner la pression pour des sanctions.
Face aux ombrageuses divergences d’interprétation, Tshisekedi a ressenti le besoin de clarification. D’où sa démarche devant la diaspora congolaise de Belgique. Dans la causerie, qu’il lui a accordée, il a insisté sur le fait que sa main tendue à Kagamé n'était pas un signe de faiblesse ; mais une façon de prendre le monde à témoin et de prouver la volonté de paix de la RDC, tout en désignant explicitement le Rwanda comme l'acteur central du conflit.
En somme, cette improvisation a tourné court ; parce que, in fine, son discours a pris les allures d’une supplique diplomatique. Loin d’un appel à la paix, ce fut une véritable proclamation de reddition sans combat en règle. La dégaine ayant déconcerté certains alliés, aussi bien internes qu’internationaux et régionaux, à l’instar du Burundi, seule une démarche politique inclusive et holistique pourra désormais permettre de sortir de l’impasse. Car, nombreux Congolais, y ont vu une forme de capitulation ou d’abandon des intérêts nationaux ; surtout, au regard des exactions si graves attribuées au Rwanda sur le territoire congolais depuis plus de trois décennies, sans le moindre répit...
L’échec stratégique et militaire
Pendant que Tshilombo parlait, l’AFC/M23 progressait sur le terrain militaire. Plusieurs nouvelles localités ne cessent de tomber dans son escarcelle à l’Est du Congo. Mal équipée, mal préparée, mal dirigée, l’armée congolaise recule constamment face à la démonstration de puissance affichée par l’AFC/M23. Jadis, Tshisekedi promettait de toucher Kigali à la moindre escarmouche. Mais il n’a jamais rien touché sur le sol rwandais ; même pas un moindre carré vide. Il a donc été inévitable, et cela va de soi, que sa sortie diplomatique contradictoire de Bruxelles déclenche l’ire et le rire au Congo. Elle a sorti l’opposition politique de son hibernation et risque d’avoir un vif et durable impact sur l'évolution de la situation au Congo ainsi que sur les processus régionaux de restauration de la paix. Face aux enjeux de politique intérieure, une partie de la classe politique et de la société civile a saisi la balle au bond pour accuser Tshisekedi de faiblesse et de compromission face à Kagamé.
De même, l'absence de réponse positive immédiate de Kigali et la passe d'armes verbale qui a suivi l’interpellation confirment la profondeur et la vitalité de la suspicion entre les deux capitales et, réciproquement, le blocage induit des processus régionaux de paix existants. Le retrait du M23, exigence fondamentale de Kinshasa, semble inimaginable dans la conjoncture actuelle. La persistance de l'impasse diplomatique et le durcissement d’une rhétorique de tension confortent, en l'absence d’avancée significative, les positions maximalistes et augmenter le risque d'une nouvelle escalade militaire au front. Le risque de marginaliser ou de complexifier la poursuite des mécanismes de paix déjà en place, celui de Washington, de Doha ou de Luanda, s’est considérablement accru. Alors que l'absence de plaidoyer direct pour des sanctions s’apparentait à un geste d'apaisement et qu’en désignant nommément le Rwanda et en lui demandant publiquement d'ordonner le retrait du M23, Tshisekedi espérait intimider avec l’appui de la communauté internationale, il semble désormais orienté vers un durcissement de positions.
Le Congo comme butin régional
Aux yeux de plusieurs analystes, l’audace diplomatique de Tshisekedi a été apprécié comme un geste fort sur le plan moral et politique, en termes de dignité et de volonté de paix. Cependant, son efficacité stratégique tarde à se confirmer. La suite dépendra de la traduction de ce geste en actions concrètes à même de pousser les partenaires internationaux à faire pression sur les parties impliquées pour sortir de la crise. Or, les Occidentaux, que Tshisekedi cherche naïvement à mobiliser contre Kagamé, sont ceux qui s’en servent délibérément pour accéder aux minerais du Congo selon des raisons qu’ils gardent secrètes. L'approche de Tshisekedi, qualifiée de diplomatie de la vérité ou de franchise assumée, visant à nommer clairement l'agresseur devant le monde, se résume à la mise en scène d’un duel personnel entre lui et Kagamé, qu’il escompte gagner, sans s’apercevoir qu’il accuse plusieurs longueurs de retard sur ce dernier au niveau diplomatique. L'équation devient d’autant plus ardue à résoudre pour lui qu’il occulte la complexité des autres acteurs, facteurs et enjeux (groupes armés, réseaux miniers, etc.) impliqués.
Le Rwanda, l’Ouganda et le Kenya avancent leur projet de confédération. Ils ne veulent pas le Congo entier. Ils veulent ses minerais, ses routes, son accès au port. Et Kinshasa, au lieu de défendre sa souveraineté, se vend au plus offrant. La diplomatie dispendieuse devient une diplomatie de liquidation.
Vers une marginalisation totale du Congo au niveau régional…
Bien qu’il soit un geste fort, qui repositionne la RDC sur la scène internationale comme la partie désireuse de la paix, l'offre de Paix des braves n’a pas marqué un tournant diplomatique majeur escompté dans les turbulences entre la RDC et le Rwanda. Dans l'immédiat, elle n'a pas débloqué la situation ; le Rwanda a maintenu une position de confrontation et de contre-accusation contre laquelle Kinshasa, démunie de pertinente réplique, s’essouffle politiquement. Ce n’est pas seulement Tshisekedi qui s’est prosterné ; c’est toute une nation qu’il a exposée à l’humiliation et des alliés qu’il déconcertés. Impliqué directement dans l’action militaire et sur une ligne de crête entre l'accord de paix avec le Rwanda et l’alliance avec le Congo, le Burundi risque fort bien de réévaluer sa position. Une marginalisation régionale totale de la RDC est à redouter. Cependant, tout le peuple congolais n’est pas à genoux. Un peu partout dans le pays, des voix s’élèvent pour protester et organiser la résistance. Car, la dignité d’un peuple ne se négocie pas ; elle se défend. Et le peuple congolais a conscience du devoir.
Certes, sous l’impulsion de la communauté internationale, on peut espérer que les deux Etats, le Congo et le Rwanda, posent des actes concrets dans le sens de Paix des braves autant dans l’intérêt de leurs populations réciproques que de la stabilité régionale. Toutefois, la paix n’est pas tout ! Rappelons, comme le dit l’adage français, qu’« il n’y a pas de paix sans justice, ni de réconciliation sans vérité ». Ce rappel, qui n’est jamais paru dans des préoccupations du régime, est néanmoins fondamental pour la suite du processus. C’est pourquoi, pour soutenir ce peuple martyr du Congo, il est plutôt impérieux que ceux qui ont l’« auto-reconnaissance d’élites[ii] »[iii] dans la communauté congolaise se soucient enfin de leur devoir et de leur responsabilité pour jouer, enfin, le rôle qui leur incombe : celui d’opérer le dégagisme des incompétents, des prévaricateurs, des ethnocrates et des corrompus de la tête du pays…
Eclairage,
Chronique de Lwakale Mubengay Bafwa
- “À Bruxelles, il a tendu la main. À Goma, on a perdu le pays.”
- “Le Congo ne se négocie pas à genoux.”
- “Quand le président supplie, le peuple saigne.”
- “Pas de paix sans puissance. Pas de puissance sans vision.”
- “Ils veulent nos minerais. Nous, on veut notre dignité.”
- “Le M23 avance. Tshisekedi improvise.”
- “La diplomatie dispendieuse, c’est l’art de payer pour être humilié.”
- “Le Congo n’est pas un corridor. C’est une nation.”
- “Bruxelles 2025 : le jour où le Congo a fléchi.”
- “Le peuple n’a pas fléchi. Le peuple se relève.”
[i]. Gouverner par le chaos, une stratégie sécuritaire aux relents politiques, dans Le Club de Mediapart, Billet de blog 11 septembre 2025. Avec une série de tribunes sur ce thème, nous explorons comment l’instabilité dans l’Est de la RDC ne serait pas une fatalité, mais une stratégie politique de conservation de pouvoir. Notre hypothèse : Derrière les discours de pacification, Tshilombo orchestre un chaos aux relents politiques. Nominations controversées, silences tactiques, alliances militaires opaques… Tout concourt à une mise en scène de la crise, utilisée comme levier pour étouffer le débat démocratique et préparer un glissement institutionnel…
[ii]. Dans une communauté donnée, l’élite est ce qu'il y a de meilleur. Donc, ses membres les plus brillants, les plus talentueux, les plus vertueux qui, par ces qualités, sont destinés à prendre conscience que c’est à eux qu’il revient l’assignation de guider, de gouverner l'ensemble de la communauté. (L-M Bafwa, « Au faîte de l’infamie, Tshilombo doit dégager ; promouvoir Kanambe est une vilénie », Le Club de Mediapart, 21 mai 2025.
[iii]. Par l'auto-reconnaissance, nous entendons la conscience de soi-même, l’aptitude à identifier et comprendre ses propres capacités, qualités, compétences, ses propres forces ; à les de reconnaître soi-même, sans dépendre d’une quelconque validation externe, pour les valoriser, développer, appliquer et mobiliser au profit des causes sociales.
Et, pour l’« auto-reconnaissance d’élites », l’accent est à mettre sur un processus individuel d’acceptation et légitimation de son rôle d'élite. Ce qui implique la prise en compte du temps, énergie et émotions mobilisés pour s'acquitter bénévolement de cette mission. In fine, cela permet aux élites ainsi mobilisés, de mieux prendre soin d'eux-mêmes et de comprendre qu'ils ont également besoin de soutien, même s'ils n'en ont pas le statut juridique, de solliciter cette reconnaissance socialement. Des initiatives d’« auto-reconnaissance d’élites » et de leur mobilisation corrélative sont déjà parlantes dans le domaine du journalisme : « journalistes engagés ». A l’instar du Docteur Dennis Mukwege, Kerwin Mayizo, Patrick Mbeko, Timothée Tshaomba Shutsha ou Fabien Kusuanika, les modèles d’élites conscientes et mobilisées dans la cause congolaise sont déjà et désormais légion !