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Лентяй (fainéant), бывший неудачник (ex- loser), негодяй (vaurien), самозванец (imposteur), лицемер (hypocrite), категоричный (péremptoire), retraité sans gloire, probable escroc, possible usurpateur, politiquement suspect, traducteur très amateur de littérature russe.

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Billet de blog 1 juin 2024

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Лентяй (fainéant), бывший неудачник (ex- loser), негодяй (vaurien), самозванец (imposteur), лицемер (hypocrite), категоричный (péremptoire), retraité sans gloire, probable escroc, possible usurpateur, politiquement suspect, traducteur très amateur de littérature russe.

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Le Rire rouge (Leonid Andreïev) 3

La suite de la nouvelle de Leonid Andreïev...

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Лентяй (fainéant), бывший неудачник (ex- loser), негодяй (vaurien), самозванец (imposteur), лицемер (hypocrite), категоричный (péremptoire), retraité sans gloire, probable escroc, possible usurpateur, politiquement suspect, traducteur très amateur de littérature russe.

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Cinquième fragment

     … je dormais déjà lorsque le docteur vint me réveiller à petits coups prudents. Je poussai un cri en me réveillant, comme nous le faisions tous alors, et, sautant à bas du lit, je me précipitai pour sortir de la tente. Mais le docteur me retint fermement par le bras et s’excusa :
     — Pardonnez-moi, je vous ai fait peur. Je sais que vous voulez dormir…
     — Cela fait cinq jours… marmonnai-je en me rendormant ; j’avais dormi longtemps, me sembla-t-il, quand le docteur se remit à me parler, en me donnant de petits coups prudents dans les jambes et sur les flancs :
     — C’est très urgent. S’il vous plaît, mon ami, c’est vraiment très urgent. Il me semble toujours… Je ne peux pas. Il me semble toujours que d’autres blessés sont restés là-bas…
     — Quels blessés ? Vous les avez convoyés toute la journée. Fichez-moi la paix ! C’est malhonnête, ça fait cinq jours que je n’ai pas dormi !
     — Ne vous fâchez pas, mon ami, marmonnait le docteur en mettant maladroitement ma casquette sur ma tête. Ils dorment tous, pas moyen de les réveiller. Je me suis procuré une locomotive et sept wagons, mais il nous faut du monde. Bien sûr, je comprends… Mon ami, je vous en supplie. Ils dorment tous, ils refusent tous. Je crains de m’assoupir moi-même. Je ne me rappelle pas la dernière fois que j’ai dormi. Je crois que je commence à avoir des hallucinations. Posez vos pieds par terre, mon ami, voilà, un pied, oui, comme ça…
     Le docteur était tout pâle et vacillait, on voyait bien que s’il s’allongeait, il s’endormirait, et dormirait plusieurs jours d’affilée. J’avais les jambes qui fléchissaient, je suis sûr de m’être endormi en marchant – mais brusquement, de façon très inattendue, une file de silhouettes noires surgit devant nous, sorties on ne savait d’où : la locomotive et les wagons. Des gens qu’on distinguait à peine dans l’obscurité erraient lentement le long des wagons, en se taisant. Pas sur une seule lanterne visible sur la locomotive, pas davantage de lumière dans les wagons ; seul le cendrier fermé laissait échapper une raie rouge vif tombant sur la voie.
     — Qu’est-ce que c’est ? demandai-je en reculant.
     — Mais nous partons ! Vous avez oublié ? Nous partons… marmonna le docteur.
     La nuit était fraîche, il tremblait de froid et, en le voyant, je sentais tout mon corps parcouru du même frisson rapide.
     — Allez au diable ! criai-je. Vous ne pouviez pas prendre quelqu’un d’autre…
     — Taisez-vous, s’il vous plaît, taisez-vous ! dit le docteur en m’attrapant le bras.
     Dans l’obscurité, quelqu’un dit :
     — À présent, on peut tirer une salve avec toutes les pièces, personne ne bronchera. Ils dorment aussi. on pourrait s’approcher des dormeurs et les ligoter tous. Je suis même passé devant la sentinelle. Elle m’a regardé sans rien dire, sans bouger le petit doigt. Devait dormir aussi, faut croire, à se demander comment elle ne tombe pas.
     Celui qui parlait bâilla, et ses vêtements firent un peu de bruit : il devait s’étirer. Je m’appuyai de la poitrine contre le wagon, pour me hisser à l’intérieur, et le sommeil s’empara aussitôt de moi. Quelqu’un m’installa en me relevant les jambes, et je lui décochai des coups de pied, allez savoir pourquoi, avant de me rendormir et d’entendre comme en rêve des bribes de conversation :
     — À la septième verste1
     — Et vous avez oublié les lanternes ?
     — Non, il ne viendra pas.
     — Par ici, donne voir. Recule un peu. Voilà.
     Les wagons bougeaient sur place, quelque chose cognait. Peu à peu, à cause de tous ces bruits et du fait que j’étais confortablement et tranquillement couché, le sommeil me quitta. Le docteur, lui, s’endormit, et lorsque je lui pris la main, elle était comme celle d’un mort : lourde et molle. Le train avançait déjà lentement et prudemment, ayant des sortes de tressaillements et semblant chercher son chemin. Un élève infirmier alluma la bougie d’une lanterne, éclairant les parois et le trou noir de la portière, et dit avec irritation :
     — En voilà une blague ! Nous leur sommes bien utiles, à présent. Et lui, réveillez-le, ne le laissez pas dormir trop longtemps. Sinon, on ne pourra rien faire, je le sais par expérience.
     Nous secouâmes le docteur et il s’assit en roulant des yeux perplexes. Il voulut s’étendre à nouveau, mais nous l’en empêchâmes.
     — Un coup de vodka ne serait pas de trop, dit l’élève infirmier.
     Nous avalâmes chacun une gorgée de cognac, et le sommeil s’en alla pour de bon. Le grand rectangle noir de la portière devint rose , puis rouge – au-delà des collines apparut en silence la lueur d’un énorme incendie, comme si le soleil se levait au beau milieu de la nuit.
     — C’est loin d’ici. Une vingtaine de verstes.
     — J’ai froid, dit le docteur en claquant des dents.
     L’élève infirmier jeta un coup d’œil par la portière et me fit signe d’approcher. Je regardai : en divers endroits de l’horizon, en une chaîne silencieuse, s’allumaient les mêmes incendies immobiles, comme si des dizaines de soleils s’élevaient en même temps. Il faisait déjà moins sombre. La noirceur des collines au loin devenait plus épaisse, découpant une ligne brisée d’ondulations, tandis que plus près de nous, tout était inondé d’une paisible lueur rouge, silencieuse et immobile ; je jetai un coup d’œil à l’élève infirmier : son visage avait la même teinte d’un rouge transparent, celle du sang devenant air et lumière.
     — Beaucoup de blessés ? demandai-je.
     Il agita la main.
     — Beaucoup de fous. Davantage que de blessés.
     — Vraiment fous ?
     — Qu'est-ce que vous croyez ?
     Il me regardait avec des yeux remplis de la même épouvante froide et figée que ceux du soldat mort d’une apoplexie due au soleil.
     — Cessez, fis-je en me détournant.
     — Le docteur est fou, lui aussi. Regardez-le donc.
     Le docteur ne l’entendait pas. Il était assis les jambes ramenées sous lui, à la turque, et se balançait en remuant silencieusement ses lèvres et le bout de ses doigts. dans son regard se lisait la même expression de stupeur figée.
     — J’ai froid, dit-il avec un sourire.
     — Oh, allez tous au diable ! m’écriai-je en m’écartant dans un coin du wagon. Pourquoi avez-vous fait appel à moi ?
     Personne ne répondit. L’élève infirmier contemplait la lueur d’incendie, silencieuse et grandissante, et sa nuque aux cheveux frisés était jeune, et en la regardant, il me sembla voir comme une fine main de femme passer dans ces cheveux. Cette vision me fut si désagréable que je me mis à détester l’élève infirmier, je ne pouvais plus le voir sans dégoût.
     — Quel âge avez-vous ? lui demandai-je, mais il ne se retourna pas et ne répondit rien.
     Le docteur se balançait.
     — J’ai froid.
     — Quand je pense, dit l’élève infirmier sans se retourner, quand je pense qu’il y a quelque part des rues, des maisons, une université…
     Il s’interrompit d’un coup, comme s’il avait tout dit, et se tut. Le train s’arrêta de façon assez subite, si bien que je me cognai à la cloison, et des voix se firent entendre. Nous sautâmes du train.
     Juste devant la locomotive, une chose était allongée sur la voie, une petite boule d’où sortait une jambe.
     — Un blessé ?
     — Non, un mort. La tête a été arrachée. C’est comme vous voulez, mais je vais allumer une lanterne à l’avant. Sinon, on en écrasera d’autres.
     On jeta sur le côté la boule d’où émergeait une jambe ; un instant, la jambe se redressa ves le haut, comme pour courir dans les airs, et puis tout disparut dans le fossé sombre. La lanterne s’alluma, faisant paraître la locomotive plus noire.
     — Écoutez ! chuchota quelqu’un avec effroi.
     Comment ne l’avions-nous pas entendu plus tôt ?! De partout – on ne pouvait en déterminer exactement l’origine – arrivait un gémissement continu, une sorte de bruit de racloir d’une extension étonnante, sans à-coups, calme et quasiment indifférent. Nous avions entendu beaucoup de ces cris et de gémissements, mais ceci ne ressemblait à rien de ce que nous avions déjà entendu. On ne pouvait rien saisir de précis à la surface de l’étendue rougeâtre et floue devant nous, du coup, on aurait dit que c’était la terre elle-même qui gémissait, ou alors le ciel, à la lueur d’un soleil qui ne se levait pas.
     — Cinquième verste, dit le mécanicien.
     — Cela vient de là-bas, dit le docteur avec un geste de la main vers l’avant.
     L’élève infirmier frissonna et se tourna lentement vers nous :
     — Qu’est-ce que c’est donc ? C’est impossible à entendre !
     — Avançons !
     Nous marchâmes en avant de la locomotive, et notre ombre s’étendait loin sur la voie ferrée ; elle n’était pas noire, mais vaguement rouge, à cause de la lueur tranquillement immobile qui se tenait silencieusement aux confins du ciel noir. À chaque pas, de façon lugubre, croissait ce gémissement sauvage, inouï, semblant provenir de nulle part – comme si ce gémissement était celui de l’air rougi, celui du ciel et de la terre. Par sa permanence et son étrange indifférence, il rappelait par moments la stridulation des grillons champêtres, ce cri-cri chaud et régulier des grillons dans les prés, l’été. Les cadavres se faisaient de plus en plus fréquents. Nous leur jetions un coup d’œil en passant et les jetions sur les bas-côtés de la voie, ces cadavres mous, paisibles, indifférents qui laissaient sur place de sombres taches grasses, celles du sang absorbé par la terre ; au début, nous les comptions, mais nous cessâmes ensuite, ayant perdu le fil de nos comptes. Ils étaient nombreux, bien trop nombreux pour cette nuit sinistre, dont chaque parcelle soufflait le froid et gémissait.
     — Qu’est-ce  que c’est que ça ?! cria le docteur en menaçant quelqu’un du poing. Vous… Écoutez !
     Nous arrivions à la sixième verste, les gémissement étaient plus nets, moins indéfinissables, on pressentait les bouches tordues produisant ces voix. Nous scrutions en frémissant les ténèbres roses, aux lueurs fantomatiques et trompeuses, lorsque, presque à côté de nous, en bas de la voie ferrée, quelqu’un se mit à gémir, lançant un appel sonore et suppliant. Nous trouvâmes aussitôt le blessé, dont les yeux mangeaient le visage, tant ils paraissaient grands, à la lumière de la lanterne venant l’éclairer. Cessant de gémir, il braqua seulement ses yeux tour à tour sur chacun de nous et sur nos lanternes, et il y avait une joie folle dans son regard, celle de revoir des gens et des lumières, mais aussi une folle inquiétude : que tout cela disparût, que ce fût une simple vision. Il avait peut-être déjà eu de telles visions, qui s’évanouissaient dans la mêlée du cauchemar sanglant.
     Nous poursuivîmes et nous heurtâmes presque aussitôt à deux blessés : l’un était couché sur la voie, l’autre gémissait dans le fossé. Lorsqu’on les eut relevés, le docteur, tremblant de fureur, me dit :
     — Et alors ?
     Et il se détourna.
     Quelques pas plus loin, nous croisâmes un blessé léger qui marchait seul, soutenant l’un de ses bras de l’autre. Il marchait sur nous, la tête rejetée en arrière, et ne s’aperçut même pas que nous nous écartions pour lui céder le passage. Il me semble qu’il ne nous avait pas vus. Il s’arrêta un instant près de la locomotive, la dépassa et continua à marcher le long des wagons.
     — Monte donc t’asseoir ! lui cria le docteur, mais il ne répondit pas.
     Ce furent les premiers à nous causer de l’effroi. Nous tombâmes ensuite, de plus en plus fréquemment, sur d’autres, sur la voie ou tout à côté, et toute la plaine, baignant dans la lueur rouge et immobile des incendies, se mit à grouiller comme une masse vivante, s’embrasant de grands cris, de clameurs, de malédictions et de gémissements. Ces petites buttes sombres grouillaient et rampaient comme des écrevisses ensommeillées sorties d’un panier, les jambes écartées, étranges, ayant une apparence à peine humaine, avec leurs mouvements confus de loques et leur lourde immobilité. Les uns étaient muets et résignés, d’autres gémissaient, hurlaient, nous lançaient des invectives haineuses, à nous qui les sauvions, avec autant de passion que si nous étions les créateurs de cette nuit sanglante et indifférente, les responsables de leur solitude au milieu de la nuit et des cadavres, les auteurs de leurs affreuses blessures. La place nous manquait déjà dans les wagons, nos vêtements étaient humides de sang, comme si nous étions longtemps restés sous une pluie sanglante, nous ramenions encore des blessés, et les champs continuaient à grouiller d’une masse animée et sauvage.
     Certains d’entre eux arrivaient à se traîner d’eux-mêmes, d’autres s’approchaient en chancelant et en tombant. Un soldat accourut quasiment vers nous. Il avait le visage gelé, il ne lui restait qu’un œil qui luisait d’un éclat étrange et sauvage, et il était presque nu, comme au sortir des bains. M’ayant bousculé, il aperçut, de son œil unique, le docteur et lui empoigna la poitrine de sa main gauche.
     — Je vais te casser la gueule ! cria-t-il en secouant le docteur et en lui envoyant une longue bordée d’injures mordantes et cyniques. Je vais te casser la gueule ! Tas de salauds!
     Le docteur se dégagea d’une secousse, puis, s’exclama en reprenant son souffle et en avançant sur le soldat :
     — Je vais t’envoyer au tribunal, vaurien ! Au cachot ! Tu m’empêches de travailler ! Bon à rien ! Animal !
     On les sépara, mais le soldat continua un long moment à crier :
     — Tas de salauds ! Je vous casserai la gueule !
     Pour reprendre des forces, je m’étais mis de côté pour me reposer et fumer une cigarette. Le sang séché sur mes mains les revêtait comme des gants noirs, et mes doigts avaient du mal à se plier, je ne parvenais pas à garder les allumettes et les cigarettes. Lorsque je réussis à en allumer une, la fumée de tabac me parut si étrangement inhabituelle, je lui trouvai un goût très particulier, comme jamais auparavant, et que je ne devais jamais retrouver par la suite. À ce moment s’approcha de moi l’élève-infirmier, celui du train, mais il me sembla que nous nous étions vus quelques années plus tôt, je n’arrivais pas du tout à me rappeler où. Il marchait d’un pas ferme, quasiment militaire, et regardait au loin et en hauteur, comme à travers moi.
     — Et ça dort, dit-il d’un ton qui se voulait parfaitement calme.
     Je me mis en colère, me sentant visé par ce reproche.
     — Vous oubliez qu’ils se sont battus dix jours comme des lions.
     — Et ça dort, répéta-t-il, regardant à travers moi et au-dessus de moi.
     Puis il se pencha vers moi et reprit du même ton sec et tranquille, en me menaçant du doigt :
     — Je vais vous le dire. Je vais vous le dire.
     — Quoi donc ?
     Il s’inclina encore davantage, tout près de moi, me menaça du doigt d’un air très significatif et répéta ce qu’il semblait voir comme une idée achevée :
     — Je vais vous le dire. Je vais vous le dire. Transmettez-leur.
     Et, toujours assis, l’air sévère, à mes côtés, il sortit un revolver de sa poche et se tira dans la tempe. Ce qui ne m’étonna nullement, et ne m’effraya pas davantage. Faisant passer ma cigarette dans ma main gauche, je tâtais du doigt la blessure et me dirigeai vers les wagons.
     — L’élève-infirmier s’est tiré une balle ; je crois qu’il est encore en vie, dis-je au docteur.
     Lequel se prit la tête dans les mains et se mit à gémir :
     — Ah, que le diable l’emporte !… C’est que nous n’avons plus de place. L’homme là-bas va aussi se tirer une balle. Et je vous en donne ma parole, s’écria-t-il d’un ton furieux et menaçant, moi aussi ! Oui ! Allez à pied, je vous prie. Il n’y a plus de place. Vous pouvez vous plaindre si ça vous chante.
     Et, criant toujours, il se détourna, et je m’approchai de celui prêt à se tuer. C’était également un élève-infirmier, je crois. Il se tenait le front appuyé à la paroi du wagon, son épaule secouée de sanglots.
     — Arrêtez, lui dis-je en effleurant l’épaule qui tremblait.
     Mais, sans se retourner ni répondre, il continua à pleurer. Sa nuque était jeune, tout comme celle de l’autre, elle était aussi effrayante à voir, et il se tenait, les jambes écartées de façon absurde, comme un ivrogne en train de vomir ; son cou était ensanglanté : il avait dû y porter ses mains.
     — Eh bien ? dis-je avec impatience.
     Il s’écarta du wagon et, baissant la tête, voûté comme un vieillard, partit dans l’obscurité, loin de nous. J’ignore pourquoi, je le suivis, et nous marchâmes longtemps d’un côté du train, en nous éloignant des wagons. Il me semble qu’il pleurait ; ce qui commença à m’ennuyer, j’eus envie de pleurer moi-même.
     — Attendez ! criai-je en m’arrêtant.
     Mais il avançait toujours, remuant péniblement une jambe après l’autre, toujours voûté, l’air d’un vieillard, traînant les pieds, les épaules étroites. Il disparut bientôt dans l’obscurité rougeâtre, ressemblant à une lumière qui n’éclairait rien. Et je restai seul.
     Sur ma gauche, déjà loin de moi, passa une rangée de lueurs ternes : le train était parti. J’étais seul au milieu des morts et des mourants. Combien en restait-il ?  Autour de moi, tout était mort et immobile, plus loin, la plaine grouillait comme une chose vivante – ou alors, je devais cette impression au fait d’être seul. Mais le gémissement ne s’apaisait pas. Il s’étendait sur la terre, ténu, désespéré, semblable à un pleur d’enfant ou au gémissement de milliers de chiots abandonnés et mourant de froid. Il rentrait dans la cervelle comme la pointe d’une immense aiguille de glace, et se mouvait lentement, allant et venant, allant et venant…

Notes

  1. Rappel : la verste faisait environ 1,1 km.

À suivre...

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Répertoire général des traductions de ce blog :

https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/280418/deuxieme-repertoire

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