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Лентяй (fainéant), бывший неудачник (ex- loser), негодяй (vaurien), самозванец (imposteur), лицемер (hypocrite), категоричный (péremptoire), retraité sans gloire, probable escroc, possible usurpateur, politiquement suspect, traducteur très amateur de littérature russe.

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Billet de blog 7 juin 2024

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Лентяй (fainéant), бывший неудачник (ex- loser), негодяй (vaurien), самозванец (imposteur), лицемер (hypocrite), категоричный (péremptoire), retraité sans gloire, probable escroc, possible usurpateur, politiquement suspect, traducteur très amateur de littérature russe.

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Le Rire rouge (Leonid Andreïev) 5

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Лентяй (fainéant), бывший неудачник (ex- loser), негодяй (vaurien), самозванец (imposteur), лицемер (hypocrite), категоричный (péremptoire), retraité sans gloire, probable escroc, possible usurpateur, politiquement suspect, traducteur très amateur de littérature russe.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Septième fragment

     … c’était effronté, illégal. La Croix-Rouge est respectée dans le monde entier comme une chose sainte, et ils voyaient bien que ce train transportait non des soldats, mais des blessés inoffensifs, ils étaient obligés de les prévenir qu’une mine avait été mise là. Les malheureux qui rêvaient déjà de leurs foyers…

Huitième fragment

     … autour du samovar, d’un véritable samovar, d’où sortait une quantité de vapeur, comme d’une locomotive – même le verre de la lampe se couvrait un peu de buée, tant la vapeur avait de force. Et c’étaient les mêmes petites tasses, bleues à l’extérieur et blanches à l’intérieur, de très jolies tasses qui nous avaient été offertes, pour notre mariage, par la sœur de mon épouse, superbe femme et excellente personne.
     — Elles sont vraiment toutes intactes ? demandai-je avec incrédulité en remuant le sucre dans mon verre avec une cuiller d’argent toute propre.
     — On en a cassé une, dit ma femme distraitement : elle était occupée à maintenir ouvert le robinet d’où coulait avec grâce l’eau bouillante.
     Je me mis à rire.
     — Qu’est-ce qui te prend ? demanda mon frère.
     — Oh, rien. Bon, ramenez-moi dans mon cabinet. Faites un effort pour un héros ! Vous avez fainéanté en mon absence, terminé, à présent, je vais vous faire travailler – et, pour plaisanter, bien sût, j’entonnai : « Nous marchons bravement à l’ennemi, à la bataille, mes amis, hâtons-nous… »
     Ils comprirent la plaisanterie et sourirent eux aussi, seule ma femme ne leva pas la tête : elle essuyait les tasses avec un torchon propre brodé. Dans mon cabinet, je revis la tenture bleue, la lampe à abat-jour vert et la petite table portant la carafe d’eau1. Et il y avait un peu de poussière dessus.
     — Versez-moi donc un peu d’eau de cette carafe, ordonnai-je gaiement.
     — Tu viens de boire du thé.
     — Ça ne fait rien, ça ne fait rien, versez. Et toi, dis-je à ma femme, prends le fiston avec toi et va t’asseoir un peu dans l’autre pièce. S’il te plaît.
     Et je dégustai l’eau, buvant à petites gorgées, tandis que ma femme et mon fils restaient assis dans la chambre voisine, je ne les voyais pas.
     — C’est bien. Venez, maintenant. Mais pourquoi ne dort-il pas, à cette heure-ci ?
     — Il est content que tu sois rentré. Chéri, va voir papa.
     Mais l’enfant se mit à pleurer et se cacha dans les jambes de sa mère.
     — Pourquoi pleure-t-il ? demandai-je, perplexe, et je regardai autour de moi. Pourquoi êtes-vous tous si pâles, pourquoi marchez-vous derrière moi comme des ombres, en vous taisant ?
     Mon frère rit tout haut et dit :
     — Nous ne nous taisons pas.
     Et ma sœur confirma :
     — Nous causons tout le temps.
     — Je vais m’occuper du dîner, dit ma mère, qui sortit précipitamment.
     — Si, vous vous taisez, répétai-je avec une assurance inattendue. Depuis ce matin, je ne vous ai pas entendus dire un mot, je suis le seul à bavarder, à rire et à me réjouir. Vous n’êtes pas content de me voir ? Et pourquoi évitez-vous à tellement de me regarder, ai-je changé à ce point ? Oui, j’ai changé à ce point. Je ne vois pas de miroirs. Vous les avez enlevés ? Apportez ici une glace.
     — J’en amène une tout de suite, répondit ma femme, qui ne revint pas avant un long moment, ce fut la femme de chambre qui apporta la glace. Je m’y regardai, et me revis dans le train, à la gare : c’était le même visage, un peu vieilli, mais mon visage le plus ordinaire. Apparemment, ils s’attendaient à me voir pousser un cri et m’évanouir, tant ils furent contents lorsque je demandai calmement :
     — Qu’y a-t-il donc d’extraordinaire ?
     Ils rirent tous bruyamment, ma sœur se hâta de sortir et mon frère dit avec une assurance tranquille :
     — En effet. Tu as peu changé. Tu es devenu un peu chauve. 
     — Sais-moi gré d’avoir conservé ma tête, répondis-je avec indifférence. Mais où courent-elles donc, tantôt l’une, tantôt l’autre ? Fais-moi un peu faire le tour des pièces. Quel fauteuil confortable, absolument silencieux ! Combien l’avez-vous payé ? D’ailleurs je ne regarderai pas à la dépense : je m’achèterai des jambes, encore meilleures… Ah, ma bicyclette !
     Elle était accrochée au mur, toute neuve encore, les pneus seulement dégonflés. Il y avait un peu de boue séché sur le pneu de la roue arrière : cela remontait à la dernière fois que j’avais fait un tour avec. Mon frère se taisait, il ne poussait pas mon fauteuil, et je compris son silence et son hésitation.
     — Dans notre régiment, seuls quatre officiers sont restés en ie, dis-je avec morosité. J’ai eu beaucoup de chance… Bon, prends-la pour toi, cette bicyclette, prends-là demain.
     — Très bien, je la prendrai, fit docilement mon frère. Oui, tu as eu de la veine. Ici, la moitié de la ville est en deuil. Mais les jambes, vraiment, c’est…
     — Bien sûr. Je ne suis pas facteur.
     Mon frère s’interrompit soudain  et demanda :
     — Pourquoi as-tu la tête qui tremble ?
     — Sans importance. Le docteur a dit que cela passerait.
     — Et pour les mains aussi ?
     — Oui, oui. Les mains aussi. Tout cela passera. Pousse-moi, s’il te plaît, je m’ennuie, à rester au même endroit.
     J’étais de mauvaise humeur à cause de ces gens mécontents, mais la joie revint pour moi lorsqu’on se mit à préparer mon lit : un vrai lit, un beau meuble que j’avais acheté avant notre mariage, quatre ans plus tôt. On y disposa un drap propre, on y tassa ensuite des oreillers, on déroula la couverture : je regardais cette cérémonie solennelle, et, à force de rire, j’en avais les larmes aux yeux.
     — Et maintenant, déshabille-moi et installe-moi, dis-je à ma femme. Qu’est-ce que je vais être bien !
     — Tout de suite, mon chéri.
     — Vite !
     — Tout de suite, mon chéri.
     — Mais qu’as-tu donc ?
     — Tout de suite, mon chéri.
     Elle se tenait derrière moi, à côté de la coiffeuse, et je tournais vainement la tête pour la voir. Et tout à coup, elle poussa un cri, elle se mit à crier comme on crie seulement à la guerre :
     — Qu’est-ce que tout cela ?!
     Elle se jeta sur moi, m’étreignit, tomba à mes côtés, cachant sa tête dans mes moignons de jambes, s’en écartant avec effroi puis y reposant de nouveau sa tête, en les embrassant et en pleurant.
     — Quel gars tu étais ! Tu n’as que trente ans. Tu étais jeune et beau. Qu’est-ce que tout cela ?! Que les hommes sont cruels ! Pourquoi tout cela ? Qui avait besoin de ça ? Ah, mon doux, mon pitoyable, mon chéri, mon chéri…
     Elles accoururent toutes à ce cri, ma mère, ma sœur, la nourrice : elles pleuraient, prononçaient des mots, se roulaient à mes pieds et pleuraient, pleuraient… Sur le pas de la porte se tenait mon frère, blême, livide, la mâchoire tremblante, qui hurlait :
     — Vous allez me rendre fou ! Je vais devenir fou !
     Ma mère rampait à côté de mon fauteuil, elle ne criait plus, elle râlait juste, et cognait sa tête contre les roues. Et le lit propret s’étalait, avec ses oreillers tassés et sa couverture déroulée, ce même lit que j’avais acheté quatre ans plus tôt, avant notre mariage…    

Notes

  1. Le narrateur – qui a perdu les deux jambes au sixième fragment – voyait tout cela en imagination au premier fragment.

À suivre...

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Répertoire général des traductions de ce blog :

https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/280418/deuxieme-repertoire

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