À propos de l’auteur, je renvoie à la présentation de la nouvelle Le captif :
https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/030323/le-captif-fiodor-sologoub
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Préface de l’auteur à la deuxième édition
Le roman Un démon mesquin fut commencé en 1892 et achevé en 1902. Il parut la première fois en 1905, dans les numéros 6 à 11 de la revue Les questions de la vie, mais sans les derniers chapitres. Le texte intégral sortit la première fois aux éditions de L’Églantine, en mars 1907.
Dans les jugements publiés, et dans les opinions que j’ai eu l’occasion d’entendre au sujet du livre, j’ai noté deux avis opposés :
Les uns estiment que l’auteur, lui-même très mauvais homme, a souhaité faire son portrait, et se représenter sous les traits du professeur Peredonov1. En raison de sa sincérité, l’auteur n’a nullement souhaité se justifier ni s’embellir, et s’est donc dépeint sous les couleurs les plus sombres. Cette étonnante entreprise visait à gravir quelque Golgotha et rester à y souffrir pour quelque raison. Il en a résulté un roman intéressant et sans danger.
Intéressant, parce qu’on peut y voir combien il existe sur terre de mauvaises gens. Sans danger, parce que le lecteur peut se dire : « Ce livre ne parle pas de moi. »
D’autres, moins cruels envers l’auteur, pensent que le phénomène incarné dans le roman par Peredonov est assez répandu.
Certains estiment même que chacun d’entre nous, en procédant à une introspection attentive, trouvera en lui, indubitablement, des traits de Peredonov.
De ces deux opinions, je préfère celle qui m’est la plus agréable, à savoir la deuxième. Je n’étais pas dans l’obligation de composer une œuvre en partant de moi-même ; tout ce qui est anecdotique, concerne le train-train quotidien ou la psychologie, dans mon roman est fondé sur des observations très précises, et j’ai eu, pour écrire mon roman, suffisamment de « matériel » autour de moi. Et si mon travail, pour écrire ce livre, a été si long, ce fut seulement pour élever le circonstanciel au rang de principiel, afin que le règne d’Aïssa2, la dispensatrice d’anecdotes, soit remplacé par celui d’Ananké3.
Il est vrai que les hommes aiment qu’on les aime. Il leur plaît que l’on dépeigne les côtés nobles et élevés de l’âme humaine. Même chez les scélérats, ils veulent voir des lueurs du Bien, « l’étincelle divine », comme on disait autrefois. Aussi, lorsqu’ils ont en face d’eux une représentation fidèle, exacte, sombre et méchante, ils ont de la peine à y croire. Ils ont envie de dire :
— L’auteur parle de lui.
Non, mes chers contemporains, je parle de vous dans mon roman Un démon mesquin, où il est question de l’effrayant menue créature, d’Ardalion et de Varvara Peredonov, de Pavel Volodine, de Daria, Lioudmila et Valéria Routilov, d’Alexandre Pylnikov et des autres; De vous.
Ce roman est un miroir habilement élaboré. Je l’ai longuement poli, travaillant dessus avec ardeur.
La surface de mon miroir est bien lisse et sa constitution est sans défaut. J’en ai pris plus d’une fois les mesures, je l’ai soigneusement vérifié, il ne montre aucune courbure.
Le laid comme le beau s’y reflètent avec la même exactitude.
Janvier 1908
Notes
- Sologoub avait longtemps été enseignant.
- Autre nom d’Atropos, la troisième des Moires, ou Parques :
 https://fr.wikipedia.org/wiki/Atropos
- Ananké est la Nécessité : 
 https://www.universalis.fr/encyclopedie/ananke/
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Préface de l’auteur à la cinquième édition
Il me semblait naguère que la carrière de Peredonov était terminée, et qu’il ne sortirait plus de l’établissement psychiatrique où il avait été placé après avoir égorgé Volodine. Mais, ces derniers temps, des bruits me sont parvenus, selon lesquels la maladie mentale de Peredonov s’était avérée temporaire, et ne l’avait pas empêché de se retrouver libre quelque temps plus tard : bruits sans grande vraisemblance, bien sûr. Je les mentionne seulement parce que, de nos jours, l’incroyable aussi se produit. J’ai même lu dans un journal que je m’apprêtais à écrire la deuxième partie du Démon mesquin.
J’ai entendu dire que Varvara avait réussi à convaincre quelqu’un que Peredonov avait des raisons de faire ce qu’il a fait – que Volodine avait plus d’une fois tenu des propos abjects et fait montre d’intentions révoltantes – et qu’il avait, avant de mourir, lâché tout bas une insolence qui avait provoqué le dénouement fatal. Par ce récit, m’a-t-on dit, Varvara avait éveillé l’intérêt de la princesse Voltchanskaïa1, et celle-ci, qui avait jusque là oublié de dire un seul mot en faveur de Peredonov, s’intéresserait maintenant à son sort de la façon la plus vive.
Sur ce qu’est devenu Peredonov après sa sortie de la clinique, mes informations sont floues et contradictoires. Les uns m’ont dit que Peredonov avait postulé à un emploi dans la police, ce que lui avait conseillé Skoutchaïev2, et qu’il était conseiller à l’administration régionale. Il se distinguait dans cette fonction et faisait une belle carrière.
Selon d’autres personnes, ce n’était pas Ardalion Borissovitch3 qui servait dans la police, mais un parent à lui, un autre Peredonov. Ardalion Borissovitch n’avait pas réussi à reprendre du service, ou ne l’avait pas souhaité, il s’occuperait de critique littéraire. On retrouvait dans ses articles les traits qui le caractérisaient naguère.
Cette rumeur me parait encore plus invraisemblable que la première.
Du reste, si je réussis à obtenir des informations précises sur l’activité la plus récente de Peredonov, je les donnerai, et de façon détaillée.
Août 1909
Notes
- On peut aussi écrire Voltchanski, puisqu’il n’y a pas de déclinaison des substantifs, ni des noms de famille, en français.C’est la fameuse princesse qui devait fournir sa protection à Peredonov…
- Le maire de la ville. Voir le chapitre VIII.
- Prénom et patronyme de Peredonov. Borissovitch est le plus souvent abrégé en Borissytch, selon l’usage.
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Dialogue
(pour la septième édition)
— Mon âme, qu’est-ce qui te trouble tant ?
— La haine dont est l’objet le nom de l’auteur du Démon mesquin. Bien des gens, fort différents par ailleurs, concordent sur ce point.
— Accepte humblement la fureur et les injures.
— Mais notre travail ne mérite-t-il pas la reconnaissance ? D’où vient donc cette haine ?
— Elle est semblable à l’épouvante. Tu éveilles trop fortement les consciences, tu es trop franche.
— Mais ma sincérité n’a-t-elle pas son utilité ?
— Attendrais-tu des compliments ? Nous ne sommes pas à Paris.
— Oh non, nous ne sommes pas à Paris !
— Tu es une vraie Parisienne, mon âme, une enfant de la civilisation européenne. Tu es arrivée, en robe élégante et chaussée de sandales légères, là où l’on porte la chemise russe1 et des bottes graissées. Ne t’étonne pas de voir une botte graissée marcher à l’occasion sur ton pied mignon. Le possesseur de la botte est un brave gars.
— Mais si maussade ! Et si gauche !
Mai 1913
Notes
- Chemise traditionnelle, boutonnée sur le côté.
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Pour la septième édition
Les lecteurs attentifs de mon roman Cendre et fumée (quatrième partie de La Légende accomplie1) savent déjà, bien sûr, quelle route a maintenant empruntée Peredonov.
Mai 1913
Notes
- Il semble que cette œuvre ait été réorganisée en une trilogie. Je ne la connais pas.
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Signalons enfin – je préfère l’indiquer ici, pour ne pas avoir à renuméroter les notes du premier chapitre – qu’on trouve au début du roman, l’exergue suivant, qui est le premier vers d’un poème de Sologoub :
Je voulais la brûler, la méchante sorcière
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Je précise aussi que je me suis appuyé sur l’ancienne traduction que l’on peut trouver sur l’intéressant site de la Bibliothèque russe et slave. Comme c’est souvent le cas, cette traduction a des défauts, mais elle m’a parfois fait gagner du temps…
https://bibliotheque-russe-et-slave.com/index1.html
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Répertoire général des traductions de ce blog :
https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/280418/deuxieme-repertoire
 
                 
             
            