C'est lors de sa première véritable randonnée en compagnie de ses deux grands-pères, le marron et le beige (confère la conclusion du précédent billet, Le 5 mai 2021 ou le nouvel assassinant de Louis Delgrès et de Toussaint Louverture ), que notre petit-fils créolisé s'est interrogé sur une histoire autre, la poétique de la relation.
Certes, il n'a pas utilisé ces mots, mais c'est ainsi que j'ai traduit son interrogation glissantienne.

Agrandissement : Illustration 1

Et lorsque Papy Fred est parti à la recherche des première girolles, je lui ai expliqué les origines de son identité-racine sans avoir eu le temps d'aborder l'identité-relation puisque Fred était déjà de retour avec une première cueillette.
Le temps de commencer à nettoyer les girolles avant de la ranger dans le sac à dos et Fred revenait avec deux énormes cèpes !
Puis il reparti pour un dernière visite boisée. C'est là qu'en prenant Eneko en photo que j'en ai conclu que nous étions tous les produits d'une créolisation !
Par d'incessants rebonds historiques ou de migrations forcées.
Tous, je dis bien tous, ce qui contredit les absurdités consanguines que dispensent les nationalismes à leurs ouailles à l'écoute, aidés en cela par les propagateurs de fariboles dans des croyances insensés dans l'inexistant qu'ils vendent à prix d'or, ces mortuaires de la Raison !
Fred fut un guide indispensable lors de la découverte de découverte de la Martinique en 2014.
Pour les avoir lus et aussi étudiés, je connaissais les illustres Franz Fanon et Édouard Glissant mais en ce qui concerne l'environnement sociologique et historique de l'île, j'étais une véritable buse.

Agrandissement : Illustration 2

Et ce n'est qu'à partir de notre intronisation dans le Phalanstère de Saint-Pierre, que j'ai commencé à apprendre.
Je ne détaille pas, j'aurai l'occasion de raconter toutes ces découvertes assez exceptionnelles dans le prochain roman Le marin gascon et la Pelée qui sortira en 2022 si Dieu me prête vie comme disait ma grand-mère gasconne Marthe Descoustey.
De retour de son pays natal, Léonor m'avait ramené le Hors-série des 100 ans de Justice que Kristian m'avait mis de côté.
Je tenais absolument à le lire parce que Justice est un journal communiste qui a 100 ans d'existence !
Et comme aux Antilles, le communisme est inséparable de la réalité du colonialisme selon un schéma basique colonisateur-colonisé qui après 1848 a supplanté le lien de soumission maître-esclave, il était important d'en signaler le poids historique .
Et puis il fallait que je lise ce que Justice pensait du journaliste André Aliker qui fut assassinée car il avait refusé de céder aux pressions et de la mettre en sourdine sur les malversations de békés.
C'est Fred qui m'avait emmené sur la plage de Fonds Bourlet là où le corps avait été abandonné le 11 janvier 1934 !
Comment ai-je eu vent de cette affaire ?
En écoutant la conférence de Patrick Chamoiseau et de Bruno Guichard qu'ils avaient donnée à Lyon à propos de la projection du film de Guy Deslauriers sur un scénario du même Patrick Chamoiseau, "Aliker".
Film que je n'ai toujours pas eu l'occasion de voir !
Et c'est grâce au livre Voyages en Terres d'Espoir d'Edwy Plenel que j'ai complété l'histoire d'André Aliker. Le livre de Plenel relate l'histoire sociale de vaincus ou d'ignorés que compile le fameux dictionnaire "Maitron" !
Je sais que certains de mes camarades de l'ACER ne sont pas toujours d'accord avec le contenu des articles, mais je trouve tout de même que cela facilite bien les recherches. Et depuis que j'ai relu ce voyage en terres d'espoir, j'utilise régulièrement le Maitron que j'avais négligé à une certaine époque !

Agrandissement : Illustration 3

Voici un bref de l'Affaire Aliker trouvé dans le Maitron (https://maitron.fr/spip.php?article90420, notice ALIKER André)
(...) André Aliker adhéra au Parti communiste, groupe Jean Jaurès , marqué par la personnalité de l’avocat Jules Monnerot et fut rédacteur en chef du journal Justice publié à partir du 8 mai 1920.
(...) Dans le journal, ... ,il dénonçait certains privilèges, notamment la fraude fiscale de la famille Aubéry.
Agressé une première fois le 3 novembre 1933, ... , il fut assassiné quelques jours plus tard. Le 12 janvier 1934, son corps ligoté fut rejeté par la mer sur la plage de Fond-Bourlet, commune de Case-Pilote.
J'ai voulu poursuivre avec Vincent Placoly mais là je n'ai rien trouvé dans le Maitron.
Et comme je suis un grand admirateur de cet écrivain-enseignant lui aussi philosophe, j'ai fait appel à Maryse Condé pour m'aider à dresser sa fiche de militant révolutionnaire.
Dans la préface de Frères Volcans qui venait d'être réédité, et que j'avais déniché dans la libraire de Schoelcher grâce à Jenny et Amalia, deux phalanstériennes spécialistes des courses à rallonge, Maryse Condé écrit :
Il s'en est allé l'ami Vincent, Vincent Placoly.
(...) Nous ne trinquerons plus avec lui le rhum de l'amitié. La dernière image que je garde de Vincent Placoly se situe à Rivière Pilote en Martinique, alors haut lieu d'un indépendantisme antillais, lors d'une soirée consacrée à Frantz Fanon qui nous inspirait à tous deux la même vénération.
Placoly était un militant trotskyse ce qui n'est pas une maladie comme le pensent certains ministres spécialistes de l'éducation de la soumission pour l'avoir éructé avec tant de force et de conviction à des micros "collabos" !
Placoly avait fondé avec d'autre camarades, le Groupe Révolution Socialiste (G.R.S), qui était la section antillaise de la 4ème internationale de la IV.
Mais bien plus que le politique, c'est vraiment l'écrivain qui m'a toujours passionné depuis que je l'avais découvert en 2014 !
Voici ce qu'il disait à propos de littérature :
" Comme il existe un misérabilisme en politique, il existe un misérabilisme en littérature.
Le misérabiliste est celui qui a honte de ses origines, celui qui méconnaît son histoire, minimise les capacités de son peuple, cache ses ancêtres, ferme ses enfants à la vie réelle, fuit les hommes de sa génération, remplit sa tête de livres, n’a pas dépassé le Siècle des Lumières, admire les autres en se dépréciant soi-même."
Et Nicolas Pien d'ajouter dans son brillant exposé : Le cas Vincent Placoly : l’Universel paradoxal
" Comme Aimé Césaire, avant lui, comme Édouard Glissant en même temps que lui, Placoly sait pertinemment que le récit martiniquais et, plus généralement, antillais n’a pas été écrit, ou que, s’il l’a été, il ne le fut que d’un point de vue, celui du colon."
Et pour conclure, j'allais revenir à Rivière Pilote que j'avais découvert toujours en 2014 grâce à Fred et au camarade Alain lorsqu'en feuilletant le Maitron en cherchant Louis Telga ou Eugène Lacaillle, j'ai trouvé Lumina Sophie dite aussi « Surprise ».
https://maitron.fr/spip.php?article235834, notice LUMINA Sophie dite aussi « Surprise »
Car Lumina Sophie ,je ne l'ai pas inventée, c'est le philosophe-historien-pays Hughes qui m'en parlé le premier ! Qu'en dit le Maitron ?

Agrandissement : Illustration 4

" Sophie Lumina était le fille d’une esclave, Marie Sophie "Zulma" Roptus.
(...) À l’abolition, le patronyme Roptus fut attribué à la mère et à sa fille.
Marie Philomène Sophie devint alors Marie Philomène Sophie Roptus.
Mais tout le monde l’appelle "Lumina-Sophie" : Lumina, diminutif de Philomène et Sophie du prénom de sa mère.
Le 22 septembre 1870, la petite ville de Rivière-Pilote proclama la République mais le manifestation tourna à l’émeute contre les békés. Lumina fut l’égérie de l’insurrection de Rivière-Pilote.
L’insurrection s’étendit à quinze communes du sud de la Martinique avec des demandes de partage des terres et d’augmentation de salaire.
La révolte dura cinq jours et fit de nombreux morts. Plus de 500 révoltés passèrent devant un conseil de guerre, huit furent exécutés.
Parmi les insurgés : le mulâtre Auguste Villard, instituteur ; Eugène Lacaille, quimboiseur (guérisseur) ; Louis Telga, boucher.
Lumina fut condamnée aux travaux forcés à perpétuité, envoyée au bagne de Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane où elle mourut de mauvais traitements en 1879.
Bon je ne développe pas, j'en reparlerai plus tard mais j'ai eu la chance de marcher dans les pas des révoltés toujours en compagnie d'Alain et de Fred et Emile et son coutelas qui imitait Louis Telga pour nous ouvrir la piste perdue dans la végétation !
J'ajoute juste ces précisions : les spadassins aux ordres de la puissance coloniale et du béké ne parvinrent pas à arrêter Louis Telga et Madeleine Clem.
Ils ne furent jamais retrouvés, en revanche Eugène Lacaille fut fusillé au Polygone Desclieux à Fort-de-France le 25 novembre 1871 !
Comme d'habitude la répression fut féroce ! Horrible, odieuse !
Avec ce croquis je salue mes deux respectables pétroleuses !
Louise Michel reviendra de déportation en Nouvelle Calédonie, en revanche Lumina mourra à Cayenne !

Agrandissement : Illustration 5

Les langues se délient enfin aujourd'hui ! Et puis je suis arrivé au bon moment en Martinique aidé en cela par une kyrielle d'historiens-maisons comme Hughes, Kristian, Alain et Amalia lorsqu'elle a fini ses courses, de philosophes aussi, Michel, François, Georges, Bernard sans parler d'André le faiseur de miel et éleveur d'écrevisses que je n'ai pas eu la chance de croiser dans son domaine que m'avait indiqué Julian le gamin du Carbet !
Aujourd'hui l'histoire fait Trace et se raconte avec force sculptures.
Et pour aller plus loin, j'avais fouillé le site de la CGT de la Martinique puisque nos IHS CGT (Institut d'histoire sociale ) sont les meilleurs pour évoquer les oubliés de l'histoire faisandée écrite par les idéologues de la domination !
Et j'ai trouvé ce court extrait de l'intervention de Marie-Christine Permal du 25 septembre 2009 à la Maison des Syndicats, sur l'Insurrection du Sud du 22 au 30 septembre 1870 :
" (...) En septembre 1870, durant huit jours , le sud de la Martinique explosa.
Le gouverneur de la Martinique écrit :
« Des nègres ivres de rhum et de rage sèment la terreur dans les campagnes de Rivière-Pilote. Ils se reconnaissent entre eux à des lambeaux de tissu de couleur rouge, verte et noire ».
A travers ces mots tout le mépris, la haine, la peur surtout du colonisateur et en même temps la reconnaissance d’un mouvement d’une grande ampleur. Son signe de ralliement, son symbole : ces 3 couleurs auront une histoire.
22 ans après l’insurrection de 1848, c’est la première grande révolte depuis l’abolition de l’esclavage.
Seulement il y a une différence importante entre les deux révoltes :
Le 23 mai 1848 est un jour de victoire pour le peuple martiniquais. Il s’est battu et a gagné : les esclaves sont libres, l’esclavage est aboli.
Le 26 septembre 1870, l’insurrection est écrasée. Les troupes coloniales viennent à bout des révoltés . Des dizaines d’entre eux sont massacrés . Plus de 500 sont emprisonnés . Les chefs sont condamnés à mort – d’autres au bagne d’autres à la prison…. Une défaite !
Les manuels d’histoire même ceux qui prétendent à « l’adaptation des programmes » d’histoire de France à nos soi-disant spécificités sont muets sur cet épisode de notre histoire .
Heureusement qu’il y a des historiens martiniquais Gilbert Pago, Marie-Helène Leotin, Alex Ferdinand et Armand Nicolas principalement qui, chacun à sa manière, ont redonné vie à la mémoire de ces événements ..."
Un grand merci à tous les acteurs du Phalanstère de Saint Pierre qui m'ont tous instruit lors de nos séjours créolisés en Martinique !
Merci aussi à Alain, Fred, Michel qui m'ont emmené sur le terrain afin de me rendre compte de la violence de la puissance et de la domination de cette caste d'empêcheurs de vivre en harmonie !Il est temps de terminer ces billets avec cette créolisation en action pour me plonger dans une histoire gasconne qui a accompagné ma jeunesse marxiste !
Avec à suivre, un bref coup de klaxon aux rhizomes basques lors de la visite de Bayonne avant une lente plongée dans l'identité racine socialiste landaise. Difficile à partager pour moi car la greffe n'a jamais pris !
Adishatz