Il n’est peut-être pas de domaines qui ont suscité avec plus d’ardeur l’étude et le zèle de bon nombre d’experts, de part et d’autres, que celle de « l’histoire des religions ».
L’ingéniosité et la richesse d’imagination dont savent faire preuve les « exégètes » modernes sont toujours pour moi une source d’étonnement et d’admiration. Il faut bien dire qu’ils maîtrisent avec une habileté consumée l’art de renverser pour mieux « refonder » les méthodes d’investigations historiques, et celui de se donner l’air d’analyser de manière objective et exhaustive tous les éléments disponibles. Mais il faut bien avouer que l’ignorance même de ceux qui s’expriment, loin d’être encore un handicap, leur permet d’avoir plus de retentissement, en leur ouvrant large la voie séduisante de la fantaisie.
C’est que, dans les sociétés modernes, qui pratiquent une forte spécialisation des formations, nous avons beaucoup de spécialistes, chacun en leur domaine, et autant d’ignorants pour tout le reste. Le prestige de ceux qui parviennent à se donner l’air de savoir de quoi ils parlent n’en est que plus fort.
Ayant personnellement l’occasion d’étudier d’assez près les questions religieuses, c’est avec curiosité et attention que j’ai découvert et lu les billets de M. Le Goff sur les origines du christianisme. Je dois dire que l’intérêt que je lui trouvais en premier lieu tenait essentiellement à ses évocations critiques des travaux de Prieur et Mordillat, qui ont eu sans doute un retentissement médiatique inversement proportionnel à leur qualité d’objectivité.
Je n’oserai pas affirmer que M. Le Goff soit à mettre dans la même catégorie d’exégètes. Et je préfère penser qu’il a fait œuvre romanesque et littéraire, et qu’il manifestait par là une certaine volonté d’en connaitre davantage.
Quoiqu’il en soit, s’il est réellement poussé par la recherche d’une méthode d’investigation historique et d’une esquisse de vérité à propos des origines du christianisme, ce qui ne saurait faire de doute, c’est, je l’espère, avec intérêt qu’il lira ces quelques réflexions, et ces quelques corrections, qu’il faut savoir faire (Amicus Plato, sed magis amica veritas, disait-on au temps où l’on se souvenait d’Aristote) ; et sinon lui, quelques uns peut-être de ses lecteurs, intéressés aussi par ce sujet.
Dans ce billet, mon commentaire ne suivra pas en détail l’ordre des siens. Pour être plus court, je m’efforcerai de résumer parfois et de m’arrêter surtout aux points essentiels et les plus significatifs de sa méthode.
Résumé succinct de la thèse d’ensemble :
L’investigation porte donc sur les origines du christianisme. Selon l’auteur, la thèse officielle de l’Eglise qui fait des Evangiles les textes fondateurs est historiquement fausse. Et il élabore même une théorie tout à fait ingénieuse : jusqu’au 3ième siècle environ, le personnage de Jésus de Nazareth, tel que présenté dans les Evangiles, était inconnu des premiers chrétiens. Il faut donc distinguer le Christ, dont parlent les premiers chrétiens ou les « pré-chrétiens » ou « messianistes », et le Jésus des Evangiles. Il ne s’agit d’ailleurs pas de prétendre que Jésus n’ait pas existé,car nous n’en savons rien. Qui seraient donc les véritables fondateurs du christianisme ? En réalité, il n’y en a pas. Le Christianisme s’est en quelque sorte fondé tout seul, par son histoire complexe, qui a vu des Pères apostoliques prendre en main les premières communautés, sans encore unifier les pratiques, et de nombreux évangiles fleurir ici ou là. Et certaines branches ont fini par s’approprier 4 de ces Evangiles, et par faire la chasse à tout le reste, unifiant ainsi la foi, la doctrine et la pratique, en s’imposant peu à peu dans le monde. Ainsi serait né par une longue évolution le christianisme actuel.
L’auteur ne se cache pas, notamment en réponse à certains commentaires, qu’il aimerait bien que cette évolution se continue ; et que c’est au moins en partie pour cela (en plus du respect dû à la vérité historique) qu’il écrit ces études.
On l’aura compris, cette manière d’envisager les choses est une forme d’historicisme : le « dernier mot » du christianisme doit se trouver dans son histoire, qui est en réalité, comme une « herméneutique », et doit en révéler le sens véritable. Ce n’est pas vraiment une approche nouvelle : tous les opposants au christianisme, à un degré ou à un autre, l’ont utilisée. Non pas d’ailleurs que M. Le Goff soit l’un d’eux, puisqu’il souhaite un christianisme rénové, « en progrès », mais enfin, il ne manifeste guère de sympathie pour le Pape et le catholicisme que celui-ci incarne.
Si je me permets de donner ces précisions sur les choix idéologiques de l’auteur, c’est pour souligner que, précisément, il y en a. M. Le Goff sait où il va, et où il veut nous mener. Par ailleurs, comme il me sera sans doute reproché d’être croyant, même s’il resterait à déterminer en quoi je crois, il sera ainsi établi dès le commencement que nous sommes dans des dispositions, sinon identiques, disons équivalentes.
Examen :
Avant toute chose, il aurait sans doute été plus clair de définir très précisément ce dont on cherche l’origine. Car ce mot de « christianisme », sous la plume d’un historien critique, peut désigner bien des choses ! Il semble, après lecture, que ce dont il est question soit la religion de ceux dont le catholicisme se dit les héritiers fidèles et retrace en partie l’histoire.
Notons que la question étant celle des origines, il ne convient pas de donner sans examen un point de départ définitif à ce christianisme (que ce soit le concile de Nicée ou autre chose).
La question peut donc se reformuler ainsi : de qui le catholicisme est-il l’héritier ? Et est-il un héritier fidèle ?
Pour savoir de qui le catholicisme est l’héritier, il faut savoir qui est « son père », c’est-à-dire quel fut ou quels furent le(s) événement(s) fondateur(s).
Or l’Eglise a une réponse officielle, et qui fait parti du dogme (c.-à-d., non pas que l’on ne peut pas y réfléchir ou chercher à le prouver, mais que l’on ne peut pas le rejeter sans cesser d’être chrétien) : l’événement fondateur est la naissance, la mort et la résurrection réelle de Jésus-Christ, ainsi que ses enseignements. Comme l’écrivit Paul : « Si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine. » (I Cor. 15.14). Benoit XVI est donc fidèle à ce message lorsqu’il rappelle que l’historicité de Jésus-Christ doit être reçue par tout chrétien.
Et c’est pourquoi, comme nous le disions, les opposants au christianisme, en toute logique, se sont toujours efforcés de réfuter cette historicité.
C’est pourtant ici que l’on trouve la plus grande faiblesse de l’argumentation de M. Le Goff, parce qu’elle touche son principe de base. En effet, selon lui, ce qui est « fondateur », ce sont les Evangiles. Il l’explique à plusieurs reprises, les 4 Evangiles sont les éléments fondateurs du christianisme et c’est d’ailleurs pour cela que l’Eglise catholique veut absolument y voir les Evangiles les plus anciens. Et, à aucun moment, il n’envisage comme une hypothèse éventuelle que ce soit la vie, la mort etc. de Jésus Christ qui soit le réel fondateur – ce qui est dommage car c’est bien ce qu’a toujours affirmé l’Eglise.
Mais dans ces propos de M. Le Goff, il y a une seconde erreur. Car l’Eglise n’a jamais tenu pour vérité révélée ni d’ailleurs pour vérité indispensable que les 4 Evangiles fussent les plus anciens. Et lorsqu’il s’étonne que personne ne semble avoir vu qu’en Luc 1.1 celui-ci fait référence à d’autres récits à propos du Christ, on peut s’étonner de son étonnement. Car il prête à l’Eglise un silence ou une gêne qui n’existe que pour soutenir son hypothèse.
A ce propos, et d’une manière générale, il faut souligner que l’on prête aux Eglises chrétiennes un bon nombre d’absurdités qu’elles n’ont jamais eues, ou alors pour une partie d’entre elles et pendant une courte période, souvent tardive. Il serait facile de s’en rendre compte si l’on prenait la peine de vérifier à la source, mais c’est un travail bien pénible, et ses opposants le savent : calomniez, il en restera toujours quelque chose !
L’Eglise a toujours su que très tôt des récits ont été recueillis. Mais elle nie qu’ils aient le même statut que les 4 autres, qui sont reconnus comme inspirés par le Saint-Esprit. Ca ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas avoir comporté des renseignements exacts, mais qu’ils ne sont pas une source absolument fiable. Du point de vue de l’Eglise, il faudrait donc comparer ces enseignements avec ceux de la Tradition et des Ecritures pour savoir ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.
Car non seulement les Evangiles ne tirent pas de leur ancienneté leur valeur, mais, à bien des égards, c’est le contraire. Il suffit d’observer l’histoire de l’Eglise pour se rendre compte que c’est toujours face aux discordes et à des propositions de voies religieuses différentes que l’Eglise a été amené à formuler son enseignement et sa foi de manière claire, précise et écrite. Cela est très visible déjà dans les lettres de Paul, qui se plaint de ceux qui enseignent « d’autres doctrines » et s’attachent « à des fables et à des généalogies » (1. Tim 1.3) et qui rappelle donc certains de ses enseignements. C’est donc toujours en réaction aux propositions divergentes que la formulation de la règle de foi correcte est faite.
Ceci devrait alerter l’historien, et lui confirmer que l’histoire de la doctrine chrétienne est d’abord une histoire de tradition, c.-à-d. de transmission orale. Le christianisme n’est pas l’Islam. Et Jésus n’a pas dicté de livre. Dès lors, la place qui revient à l’écrit ne peut plus être la même. Et l’ancienneté n’est plus un critère de vérité. De sorte que si Le Goff a parfaitement raison lorsqu’il rappelle qu’il serait très imprudent d’avancer des dates et un ordre « scientifiques » de rédaction des divers évangiles, il a tort de sembler penser que cela est bien dommage. En réalité, cela n’importe aucunement.
Pour la religion chrétienne catholique ou orthodoxe, les Evangiles ne valent que parce qu’ils confirment la tradition (c’est ce qui la différencie du protestantisme), et si ces Evangiles particuliers ne contredisent pas la tradition, c’est parce que, comme celle-ci le rapporte, ils ont été rédigé sous l’influence de l’Esprit Saint, qui est Esprit de Vérité, et ne peut donc tromper.
A ce propos, il faut encore lever une confusion. Affirmer que les Evangiles sont des écrits inspirés de l’Esprit de Vérité, c’est un peu comme affirmer que le Pape est infaillible. En réalité, cela ne veut pas dire que tout ce qui est dit est littéralement vrai. De même que l’infaillibilité de Pape ne touche qu’aux domaines de morale et de la doctrine chrétienne, et est soumise à des rites bien particuliers, de même la vérité contenue dans les Evangiles est une vérité d’enseignement. L’esprit qui a présidé à leur écriture, que ce soit l’Esprit Saint ou un autre, n’est pas en tous les cas un esprit d’historien : ils sont écrits par des « enseignants » chrétiens pour des chrétiens, et pour soutenir leur foi. Ce qui explique d’ailleurs que le premier écrit du genre fut un recueil de paroles du Christ, sans mise en situation. Il s’agit d’édifier et de rectifier les errances (ne pas croire en la résurrection, par exemple) en inscrivant ainsi la « bonne nouvelle » de la mort et de la résurrection, et de l’enseignement de Jésus, par ses paroles d’abord, puis par certains de ses actes. Que ceux-ci soient, de manière c’est pourquoi on trouve la même couleur à la traduction de cette lettre et aux Actes. Elle ne porte pas l’inscription : ‘Paul apôtres’, ainsi qu’il serait naturel, car, dit Clément, ‘l’adressant aux Hébreux, qui avaient une prévention contre lui et qui le soupçonnaient, prudemment, il évita de les rebuter dès le début en y mettant son nom’. Il poursuit un peu plus bas :’Mais alors, comme le disait le bienheureux presbytre, puisque le Seigneur, qui était l’apôtre du Tout-Puissant, avait été envoyé aux Hébreux, ce fut par modestie que Paul, puisqu’il avait été envoyé aux Gentils, ne s’intitula pas apôtre des Hébreux, à la fois à cause du respect pour le Seigneur et parce qu’il s’adressait aussi aux Hébreux par surcroît, lui qui était le héraut et l’apôtre des Gentils. » (VI, 14, 1-4)
Plus loin, il évoque les œuvres d’Origène. A cette occasion, il parle une dernière fois de l’Epitre.
«En Outre, Origène explique encore ceci, à propos de l’Epitre aux Hébreux, dans les Homélies qu’il prononça sur elle : ‘Le caractère et le style de l’Epitre intitulée Aux Hébreux n’a pas, dans son langage, la simplicité de l’apôtre, qui reconnait lui-même être simple dans son langage, c’est-à-dire dans son expression. L’épitre, au contraire, est très grecque dans sa composition et son style, et tout homme capable de juger les différences de style le reconnaîtra. D’ailleurs, que les idées de l’Epitre, en revanche, soient admirables et ne soient pas inférieures à celles des écrits incontestés de l’apôtre, cela aussi quiconque prête attention à la lecture des lettres de l’apôtre peut convenir que c’est vrai.’ Puis, il ajoute plus bas : ‘Pour moi, si j’avais à donner mon avis, je dirais que les idées sont celles de l’apôtre, mais que l’expression et la composition sont de quelqu’un qui rapporte la doctrine de l’apôtre, et pour ainsi dire d’un rédacteur qui écrit les paroles de son maitre. Donc, si quelque Eglise tient cette lettre pour l’œuvre de Paul, qu’elle soit félicitée, même sur ce point, car ce n’est pas par hasard que les anciens l’ont transmise comme étant de Paul. Mais qui a écrit la lettre ? Dieu sait la vérité. La tradition qui nous est parvenue dit que, pour certains, la lettre a été écrite par Clément, l’évêque de Rome, et pour d’autres, par Luc, l’auteur de l’Evangile et des Actes. ‘ Mais en voilà assez là-dessus » (VI, 25, 11-14 – extraits tirés de l’édition de ce livre faite par CERF).
Si l’on lit objectivement ces textes, de quoi nous informe donc Eusèbe ? L’Epître aux Hébreux contient des idées qui ont été professées par Paul, et traduite en cet écrit grec par Clément ou Luc : il n’y a donc pas d’erreur véritable à l’attribuer à Paul.
Evidemment, la conclusion est difficile à admettre pour ceux qui s’en tiennent encore et toujours à la forme. Mais il ne semble tout de même pas déraisonnable de déclarer que l’auteur d’un texte est plutôt le « maitre qui professe » que le disciple qui prend en note. C’est d’ailleurs pourquoi le Manuel d’Epictète, bien qu’écrit par Arrien, est considéré comme contenant l’enseignement d’Epictète, et lorsque l’on veut savoir ce qu’Epictète pensait, il est conseillé de le lire !
Il est vrai que M. LeGoff dénie aux anciens le droit à la subtilité (il rejette l’explication des ‘absurdités ‘ des textes par l’interprétation symbolique au prétexte qu’elle est ‘d’une infinie subtilité’ – ce qui sous-entend : d’une trop grande subtilité pour que ce fut bien dans l’esprit des rédacteurs PHT5 (2)). Il dénie donc aux anciens le droit à la subtilité : il est seulement dommage qu’il semble la dénier aussi à ses modernes lecteurs !
Car que disait donc M. Le Goff ? « Dès le IVième siècle, Eusèbe de Césarée signalait que l’épitre aux Hébreux était inauthentique. Aujourd’hui, même les historiens théologiens catholiques reconnaissent que toutes les épitres ont été manipulées, qu’elles sont faites de différentes couches rédactionnelles, comme d’ailleurs les évangiles eux-mêmes ». Bref : L’Epitre aux Hébreux ? A écarter, c’est définitif, et avec elle, le reste. Et si l’on devait appliquer la même méthode sur le Manuel d’Epictète, il faudrait sans doute s’en défaire aussi !
Nous ne pouvons pas nous prononcer sur les hypothèses des « historiens théologiens catholiques », qui se révèlent soudain d’un catholicisme étrange, mais nous savons désormais à quoi nous en tenir sur Eusèbe… et sur M. Le Goff.
Que M. Le Goff me pardonne ce billet : je ne me serais pas permis de le publier si je n'avais pas estimé que son travail était significatif d'une certaine tournure d'esprit chez nombre d'historiens des religions et s'il n'était pas ainsi l'occasion de clarifier certains points. Je n'ai d'ailleurs pas pu relever tout ce qui le méritait, mais je serai évidemment disposé à le faire, et même à analyser dans le détail chaque partie de son travail, si cela devait être nécessaire.
Je n'ai aucune raison de douter de la sincérité de la démarche de M. Le Goff, mais je ne peux que lui conseiller de répartir plus équitablement sa capacité de doute, et, plutôt que de s’en remettre à des travaux de seconde main (comme se fut sans doute le cas à propos d'Eusèbe), d'étudier directement, attentivement, et sans idées préconçues, les documents même de l’histoire. Ainsi, il pourra facilement se distinguer de quantités "d'historiens" des religions modernes plus ou moins médiatiques, dont il semble avoir pris de bien mauvaises habitudes.
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EDIT : je complète ce "tableau" de mes réponses à l'auteur, au sujet de ses billets sur Tertullien et sur Irénée (ces réponses font suites à l'échange ci-dessous, mais sont assez encore significatifs de la manière dont l'auteur, hélas, tient compte des remarques qu'on lui fait).
A propos de son billet sur Tertullien :
"Comment pouvez-vous écrire cela?
"Nous venons de voir, après Ignace, Justin faire allusion à la naissance virginale ou cite même le nom de Marie et de l’ange Gabriel. Mais il n’y a pas la moindre trace d’un récit de ce qu’on appelle « l’annonciation » (cette apparition de l’ange) ou de « la visitation » (visite de Marie à sa cousine Elisabeth, mère de Jean-Baptiste). Pas davantage de la naissance de Jésus à Bethléem, avec la présence des anges, tel que Luc le présente ; ni de la visite des rois mages, ni de la fuite en Egypte, ni du massacre des « saints innocents »"
Je vous ai pourtant déjà cité le passage suivant de Justin, dans le Dialogue avec Tryphon, (77-78)
"Dès qu'il fut né, des mages arrivés d'Arabie l'adorèrent; ils étaient allés auparavant trouver Hérode qui régnait alors dans votre pays [...]. Cet Hérode en effet s'informa près des anciens de votre peuple, à la requête des mages d'Arabie qui étaient alors venus le trouver pour lui dire qu'ils avaient reconnu, à l'apparition d'un astre dans le ciel, qu'un roi était né dans votre pays, et qu'ils venaient l'adorer; et les anciens lui dirent : c'est à Bethléem [...] Les Mages étaient donc venus d'Arabie à Bethléem, ils adorèrent l'enfant et lui offrirent des présents, de l'or, de l'encens et de la myrrhe; puis, par révélation, après qu'ils eurent adoré l'enfant à Bethléem, ils reçurent l'ordre de ne pas revenir vers Herode. Joseph, le fiancé de Marie, qui avait voulu d'abord renvoyer sa fiancée Marie, la croyant enceinte par le commerce d'un homme, cad par la fornication, reçut en vision l'ordre de ne pas renvoyer sa femme, et l'ange qui lui apparut lui dit que ce qu'elle portait dans son sein venait de l'Esprit Saint. Rempli de crainte, il ne la renvoya pas. Au contraire, comme c'était en Judée le premier recensement de Quirinus, de Nazareth où il habitait, il monta se faire inscrire à Bethléem, d'où il était, car il était originaire de la tribu de Juda qui habitait cette contrée."
Et la suite du Dialogue de Justin est tout autant éloquente sur la manière surprenante dont vous (ne) lisez les textes: "Quand Hérode vit que les mages d'Arabie ne revenaient pas vers lui comme il pensait qu'ils auraient fait, mais qu'au contraire, selon l'ordre reçu, ils s'étaient éloignés par un autre chemin (tandis que Joseph, avec Marie et l'enfant, suivant leur révélation, étaient déjà partis pour l'Egypte), ne sachant pas quel enfant les mages étaient venus adorer, il fit égorger absolument tous les enfants de Béthléem."
Ainsi, contrairement à votre affirmation, Justin parle de la naissance de Jésus à Béthléem, de la visite des Mages et du massacre des "innoncents".
Comprenez-vous pourquoi je m'étonne et pourquoi il est impossible de prendre au sérieux votre travail pour quiconque a lu les textes dont vous prétendez rendre compte? Ceci n'est pas une attaque personnelle: c'est un fait, vous affirmez des contre-vérités. "
Je complétai ensuite ma réponse à propos de Tertullien lui-même, cette fois, par deux citations :
"Preuve nouvelle s'il en fallait de la valeur des grands travaux de notre historien qui a tout lu des auteurs qu'il commente, et si bien lu!
Tertullien, De la Chair de Jésus Christ, III : "Et certes, si pour défendre ton erreur contre l'autorité des Écritures, tu n'en avais pas tout exprès rejeté les unes etcorrompules autres, l'Evangile de saint Jean t'aurait sur ce point couvert de confusion, lorsqu'il annonce que le Saint-Esprit descendit sur Notre Seigneur dans le corps d'une colombe. C'était le Saint-Esprit, et cependant c'était aussi véritablement une colombe que c'était le Saint-Esprit; et quoiqu'il se fût couvert d'une substance et rangé, il n'avait pas anéanti sa propre substance."
Evidemment, ce doit un tout petit détail insignifiant, que Tertullien nomme l'Evangile de Saint Jean, pour que M. Le Goff n'ait pas daigné le relever."
Et :
Tertullien, De la Chair de Jésus-Christ, XXII (67) : "Saint Matthieu est le premier que j'alléguerai. Ce fidèle évangéliste qui était de la compagnie de notre Seigneur, n'ayant autre dessein que de nous donner connaissance de l'origine de Jésus-Christ, selon sa chair, a ainsi commencé son Évangile: «Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham"
Il est dommage que notre chercheur n'ait pas cherché au point d'ouvrir les livres dont il parle.
A propos de son billet sur Saint Irénée :
"Encore une fois, il s'agit de faire une théorie sur des détails.
Le fait est que Saint Irénée mentionne l'existence des 4 evangiles. Lorsque M. Le Goff aura trouvé des papyri qui attestent que ces évangiles furent radicalement différents de ceux que nous connaissons, sa théorie sera autre chose qu'une fantaisie.
Contrairement à ce qu'il a l'air de dire, la question de la filiation apostolostique est au contraire très importante. Car elle assure que la transmission s'est faite sans interruption depuis Jésus. Dans toutes les religions, elle est d'une très grande importance; et je ne vois pas bien en quoi il y aurait à ergoter là dessus.
Irénée, Contre les Hérésies, V, 18-2 : "Tout cela, Jean, le disciple du Seigneur, l'atteste lui aussi, lorsqu'il dit dans son Evangile : 'Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était, au commencement, auprès de Dieu. Toutes choses ont été faites par son entremise et sans lui rien n'a été fait.' Il dit ensuite au sujet du même Verbe : 'Il était dans le monde, et le monde ne l'a pas connu. Il est venu dans son propre domaine, et les siens ne l'ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l'ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom.' Il dit encore, pour signifier son 'économie' humaine : 'Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous' Puis il ajoute : 'Et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle qu'un Fils unique de son Père, plein de grâce et de vérité".
Evidemment, il doit s'agir d'un gros canular et en fait Irénée a seulement un évangile qui commence pareil que l'Evangile de Saint Jean, qui est attribué aussi à Saint Jean, mais qui n'est en fait pas du tout le même!
On a l'impression à lire M. Le Goff qu'il aurait fallu que chaque écrivain reproduise la totalité des évangiles dans leurs propres écrits, sans quoi rien ne prouvera jamais qu'ils les connaissaient. On a beau lui indiquer un grand nombre d'éléments communs.. non, ca n'est jamais suffisant.
Avec une telle exigence, on pourra montrer bien plus encore! Non seulement donc les chrétiens (dont des anciens juifs) croyaient en un Messie dont en réalité ils ne connaissaient rien (même son nom, disait M. Le Goff autrefois, ils l'ignoraient), mais on peut prouver aussi qu'ils furent inaptes en toutes les sciences de l'époque. Des naïfs et des crétins. La preuve? Trouver moi une seule référence aux sciences de leur époque dans leurs oeuvres! On peut aller loin avec une méthode pareille."
"Je veux préciser par ailleurs, parce que M. Le Goff se garde bien de le dire, que dans cet ouvrage Irénée s'efforce de réfuter les gnostiques, parmi lesquels un certain nombre ont des évangiles en commun avec les chrétiens, et en refusent d'autres (certains acceptent Matthieu et par les autres, par exemple), et qu'à chaque fois, il s'efforce de démontrer par l'évangile qu'ils acceptent qu'ils ont tort (il ne servirait à rien de chercher à convaincre quelqu'un qui ne croit pas en l'Evangile selon Jean, par exemple, en se basant sur celui-ci).
Ce qui explique pourquoi :
1) il parle explicitement des évangiles.
2) il y a un nombre considérable de référence aux divers évangiles dans son texte.
Par ailleurs, tous les faux évangiles, aussi nombreux soient-ils, n'empécheront jamais qu'il y ait des vrais, même si pour l'historien qui reste extérieur, comme le dit M. Le Goff, il devient impossible de savoir qui a raison. Mais alors il faut en tirer les conséquences, et ne pas présenter comme un discours scientifique celui qui prétend que l'Eglise à tort."
"Vous prétendez démontrer par les textes que les premiers chrétiens ignoraient tout de la vie de Jésus de Nazareth et du contenu des 4 évangiles.On attendrait donc de vous que vous releviez chaque endroit dans les textes où il est question de la vie de Jésus telle qu'elle est aussi présenté dans les Evangiles et que vous les commentiez. Or ce n'est pas ce que vous faites, et c'est ce que vous me demandez de faire. Donc en effet, vous me demandez de faire votre travail.
Au lieu de cela, dans vos billets, vous survolez les textes et vous informez votre lecteur : "alors, j'ai lu Irénée, il dit bien des choses rigolotes, mais en fait, il n'y a vraiment rien qui prouve sérieusement qu'il a lu les mêmes évangiles que nous".
Les lecteurs sont sans doute heureux de connaitre quelle impression vous a faite la lecture d'Irénée. Mais il aurait été plus sérieux de relever les nombreux passages qui sont en tous cas présentés comme faisant référence aux évangiles pour éprouver scientifiquement votre thèse et en présenter la démonstration à votre lectorat, au lieu de leur demander de vous croire sur parole.
Vous savez sans doute que les éditions modernes sont fort bien faites. Elles ont généralement à la fin un index de l'ensemble des références des Evangiles que l'on pense pouvoir retrouver. C'est là que vous devriez porter votre "attaque", en montrant pourquoi, selon vous, aucune des références n'est significative.
Et il faudrait faire cela pour chaque auteur que vous comprenez dans votre thèse, évidemment.
Donc, oui, encore une fois, me demander de faire la liste de ces références, c'est me demander de faire votre travail.
Enfin, je trouve assez comique la manière dont, après avoir prétendu que Paul ne connaissait pas le nom de Jésus, après avoir prétendu qu'il ne connaissait pas l'institution de la Sainte Cène, vous prétendez maintenant que, de toute façon, cela fait parti de la "mort" du Messie et que donc ca ne change rien à votre thèse ! Thèse qui, visiblement, on l'admettra, s'accomode fort bien d'une grande variation dans les arguments. Et je ne doute pas que si je présentais d'autres passages (comme celui sur Ponce Pilate), vous changeriez encore habilement votre justification.
Précisons tout de même, au cas où vous en douteriez, que tant qu'un homme n'est pas mort, il est vivant, et que c'est donc bien un élément de la vie de Jésus de Nazareth que vous avez là.
Savez-vous que pour réfuter une thèse il suffit de présenter un fait contraire? Vous dites que je n'ai fait que deux citations. C'est faux, mais ce n'est pas grave. Deux citations contraires à votre thèse, c'est déjà deux fois plus que ce qui est nécessaire."
Sa réponse fut la suivante :
"Mettons un peu d'ordre et de méthode.
Je ne suis pas à la disposition complète de Marc Lefrèr pour le suivre dans ses raisonnements de croyant se croyant offensé.
Dans ce fil PHT5(14),il est question d'Irénée, dont j'ai dit que de la très longue série d'auteurs des 1er et 2ème siècle, il est le premier à montrer qu'il connaît quatre évangiles dus à Matthieu, Marc, Luc et Jean. Il manifeste qu'il en a une connaissanc fort succincte et sur de nombreux points erronés.
C'est cela le sujet, concernant Irénée.
J'ai, en outre, ce matin, rappelé que, si Irénée est le premier à manifester une certaine connaissance, fort tendancieuse d'ailleurs, de Jésus de Nazareth, c'est que tous ceux qui le précèdent manifestent que, quant à eux, ils ne le connaissent pas.
Que Marc Lefrère appelle cela comme il voudra "faire mon travail" ou je ne sais quoi. Quoiqu'il en soit, il conteste cette position. Je lui demande, une nouvelle fois, de - tout simplement - en commençant par Paul et en suivant par Clément de Rome, et en les reprenant les uns après les autres, de nous montrer que ces auteurs connaissent Jésus de Nazareth.
Sur Paul et la Cène, je répondrai par la suite."
La mienne :
"M. Le Goff a donc décidé de s'en tenir à mon propos à des attaques ad hominem et m'autorise donc à faire de même.
Il est ennuyé par la réfutation que les faits opposent à ses affirmations, et que je lui "mets sous le nez", et il prétend donc disqualifer mon discours en affirmant que "ma foi" m'aveugle, foi dont, soit dit en passant, il ne sait rien.
Il n'est pas besoin d'avoir la foi pour citer un texte et en restituer le sens. C'est ce dont M. Le Goff ne semble pas s'apercevoir, et cela n'arrange pas son cas. Il croit que sous pretexte qu'il n'est pas croyant il peut faire dire aux textes religieux n'importe quoi - et il prétend que cela est de bonne méthode!
Il attribue à Irénée une connaissance "fort tendancieuse" de Jésus. Il serait intéressant de savoir en quoi. Parce qu'elle ne correspond pas aux idées de M. Le Goff? Le même qui, pourtant, affirmait que la science ne pouvait pas décider qui avait raison parmi les premiers chrétiens, trouve maintenant que Irénée cherche à tromper son lecteur.
Pour le reste, j'hésite à faire ce qu'il me demande. Nolite mittere margaritas etc. Lorsque je vois la manière dont il a répondu à chacune des citations que je lui ai présenté, je ne vois pas bien l'intérêt : il est manifestement aveuglé par sa propre foi, qui n'est certes pas catholique, mais qui n'exerce pas moins une très forte emprise sur son esprit!"
Et je complétais ma réfutation :
"Irénée, Contre les Hérésies, II, 22.3 "Une première fois, donc, après avoir changé l'eau en vin à Cana de Galilée, il monta pour la fête de Paque, et c'est alors que 'beaucoup crurent en lui, en voyant les miracles qu'il faisait', ainsi que le rapporte Jean, le disciple du Seigneur. Ensuite il se retira, et nous le trouvons en Samarie, s'entretenant avec la Samaritaine; puis il guérit le fils du centurion à distance, d'une simple parole, en disant :'Va, ton fils vit'. Après quoi il monta une deuxième fois à Jérusalem pour la fête de Paque, et c'est alors qu'il guérit le paralytique qui gisait aux abords de la piscine depuis 38 ans, en lui ordonnant de se lever, de prendre son grabat et de s'en aller. Puis il se retira de l'autre coté de la mer de Tibériade; une foule nombreuse l'y ayant suivi, il rassasia avec 5 pains toute cette multitude et il resta douze corbeilles de morceaux. Ensuite, après avoir ressuscité Lazare d'entre les morts, comme il était en butte aux embûches des Pharisiens, il se retira dans la ville d'Ephrem; de là, '6 jours avant la Pâque, il vint à Béthanie', ainsi qu'il est écrit; de Béthanie, enfin, il monta à Jérusalem où il mangea la pâque puis souffrit sa Passion le lendemain."
Ceci n'est encore qu'un exemple supplémentaire. Si on lui rajoute le précédent, on doit raisonnablement admettre qu'Irénée possédait bien notre évangile selon Saint Jean. Evidemment, M. Le Goff le niera.
Mais tout lecteur sérieux saura au moins reconnaitre une chose : il aura appris bien davantage de la connaissance qu'Irénée avait de Jésus dans mes messages que dans le billet de celui-ci. Et ceci est déjà bien significatif!"
"On ne voit pas sur quels critères M. Le Goff fait cette distinction [lorsqu'il interpréte les écrits des uns et des autres pour savoir qui savait quelque chose sur Jésus et qui ne savait pas].
Lorsque Justin raconte la naissance de Jésus à Bethléem et le massacre des innocents par Hérode, ce n'est pas le témoignage d'une connaissance de Jésus de Nazareth.
Lorsque Irénée raconte des passages de la vie de Jésus, il témoigne "une certaine connaissance" de Jésus de Nazareth.
Je rappelerai à M. Le Goff, par ailleurs, que sa thèse, s'il l'a oubliée, c'est que l'évocation fort succinte des Evangiles par Irénée n'est pas significative d'une réelle connaissance de Jésus de Nazareth, et que ce n'est qu'à partir d'Origène que l'on découvre une réelle connaissance du contenu des évangiles.
Je le cite : "Encore faut-il mentionner que quand, le premier de toute cette affaire, il évoque l'évangile "tétramorphe" (c'est-à-dire en quatre formes) il explique ce chiffre par l'existence des quatre points cardinaux et se contente-t-il de mentionner les noms de Matthieu, Marc, Luc et Jean, sans bien sûr, et pour cause, souffler mot de leur biographie, mais en outre sans qu'il n'y ait une ligne qui donne à penser qu'il ait pu lire les quatre évangiles en question."
M. Le Goff aura sans doute eu une absence, et, pour lui éviter des recherches interminables, ainsi qu'à ses lecteurs, je lui signale bien volontiers que cette affirmation figure dans la deuxième livraison de PHT 5.
Et elle est la raison pour laquelle dans mon billet, je déclarais : "Au vu de ce qu’il affirme de Saint Irénée, par exemple, il est tout à fait manifeste qu’il n’a fait que survoler ses écrits, si seulement il n’en parle pas à partir d’une autre source !"
Et que dit-il dans le présent billet?
"On aimerait être sûr qu’ils sont exactement conformes à ceux que nous connaissons. Rien ne nous permet de l’affirmer, il y a même des raisons de penser le contraire."
"Il connaît incontestablement les Actes des Apôtres et aussi les lettres de Paul."
Lorsque, dans mon commentaire, je déclare qu'Irénée a donc incontestablement connaissance, au moins, de l'evangile selon Jean, M. Le Goff déclare maintenant qu'il n'a jamais dit le contraire. On ne peut qu'être heureux de cette reconnaissance soudaine des faits, mais un peu peiné sans doute de constater son amnésie."
Enfin, se faisant toujours une bien étrange idée des positions inverses des siennes, il me fit une réponse où il avançait la chose suivante :
"c'est que ma théorie s'effondrerait et l'on aurait là la preuve que les auteurs en question, en l'occurence Justin et Paul - mais probablement aussi, implicitement également tous les autres - auraient une information sur Jésus de Nazareth équivalente à celle que nous avons, puisqu'ils ont la même source, à savoir les évangiles"
Je lui répondis :
"Vous dites déjà ici une énormité. Je vous laisse deviner laquelle."
Peut-être que le lecteur aura deviné, lui aussi.