Jadis, lorsqu’une société traversait une période difficile, l’adage populaire disait : « Ce qu’il nous faudrait, c’est une bonne guerre. » Et il faut croire qu’il y avait derrière cette immémoriale sagesse une certaine vérité, sinon les peuples du monde n’auraient pas passé une bonne partie de leur histoire à guerroyer vainement s’ils n’en tiraient pas certaines vertus. Tuer, piller, voler, envoyer sa jeunesse se faire décimer, haïr un ennemi commun, constituaient indéniablement, entre autres avantages, une magnifique opportunité de ressouder une nation autour de valeurs essentielles, travail-famille-patrie pour la dernière bonne guerre en date. Cette pratique ancestrale de la guerre était si enracinée sur notre continent, qu’elle en était un des ciments culturels. Or, il faut bien avouer que si la construction de l’Europe a contribué à certaines améliorations, elle a eu comme fâcheuse conséquence de laisser très négligemment tomber en désuétude ce pilier essentiel de notre identité européenne, plongeant ainsi ses populations dans une turpitude morale durable qu’il est désormais devenu impossible de dissoudre grâce à une bonne guerre. Certes, en guise de première étape de la mondialisation naissante, on a bien essayé de délocaliser un peu, comme la France en Indochine ou en Algérie. Mais force est de constater que ce fut sans grand succès et qu’aucune de ces guerres n’a permis de générer de grands mouvements œcuméniques d’union nationale. Etait-ce dû à leur caractère trop lointain, au nombre de victimes trop faible (chez nous du moins) pour générer un traumatisme collectif suffisant pour être fédérateur ? Le fait est que cela ne valait pas celle de 14-18 chère à notre bon vieux Georges.
Alors, ayons la lucidité de le reconnaitre, privées de bonne guerre depuis si longtemps, nos sociétés européennes s’étiolaient moralement, trouvant, comme exutoires à leur haine inassouvie, ces étrangers qui viennent jusque dans nos bras tenter de sauver leurs fils et leurs compagnes, ces gens qui osent s’aimer en défiant la nature qui les a sottement conçus du même sexe en faisant fi de leurs sentiments, ou ces jeunes qui brûlent d’ennui, de misère et d’abandon dans les cités où l’on entasse ceux que l’on ne peut plus envoyer mourir au front. Mais comment faire, quand on aurait besoin d’une bonne guerre et que sa perspective est aussi improbable qu’une lueur d’intelligence dans une émission de Cyril Hanouna ou qu’une once de tolérance dans des propos d’Eric Zemmour ? Faute de grives …
Car voilà qu’est arrivée une pandémie salvatrice, messianique pourrait-on dire tant la situation était désespérée. Et la meilleure preuve que cette pandémie peut avantageusement prendre la place d’une bonne guerre, c’est que notre président l’a immédiatement qualifiée comme telle. Or si E. Macron racontait des conneries, ça se saurait depuis longtemps et le peuple français, dans son infinie sagesse, ne l’aurait jamais élu Président de la République. Donc puisque notre Président a dit que cette pandémie est une guerre, c’en est bien une et, comme toute bonne guerre, elle va apporter bien des solutions à de nombreux problèmes auxquels nous faisions face avant son arrivée, sans être capables d’y trouver de remèdes dans le marasme intellectuel profond où nous croupissions tragiquement depuis la fin de la dernière. Or quel était un des principaux problèmes qui occupait nombre de français avant l’arrivée de cette pandémie ? Les retraites. Et bien nous allons voir que l’adage populaire ne ment pas et qu’effectivement, à l’instar de toute bonne guerre, cette pandémie va apporter une solution durable au problème du financement des retraites.
Avant toute chose, il est essentiel de comprendre que le problème des retraites n’est ni politique, ni social, ni économique. C’est un pur problème démographique que l’on peut résumer très simplement, quoiqu’un peu abruptement peut-être, de la façon suivante : il y a trop de vieux. Les débats récurrents sur les réformes des retraites, y compris le dernier en date, n’ont jamais eu pour objet de trouver une solution à ce problème mais uniquement de proposer différentes façons de le gérer. Bien sûr, il y a des divergences parfois importantes dans les solutions proposées par les uns et les autres, qui, elles, sont bien politiques, et ont des conséquences économiques, sociales, voire morales, selon que l’on accorde une préférence à un régime aussi égalitaire et solidaire que possible ou au contraire à une vision très libérale des choses. Mais au final, cela ne change rien au problème lui-même : les actifs payent les retraites des passifs donc plus il y a de passifs, plus cela coûte cher aux actifs quel que soit le mode de gestion. Au passage, cela ne fait que confirmer, par un exemple supplémentaire, les conséquences décidément regrettables de l’abandon de cette bonne vieille tradition guerrière multiséculaire en Europe. Car, et c’est un fait scientifiquement avéré, 100% des vieux d’aujourd’hui ont été jeunes. Or, en l’absence de guerre, l’immense majorité des jeunes d’hier sont des vieux d’aujourd’hui. Une bonne guerre nous en aurait éradiqué au bas mot 500 000, autant de retraités que nous n’aurions plus à entretenir dorénavant.
Fort heureusement donc, cette pandémie, qui a l’heur de frapper très préférentiellement nos ainés, est peut-être en train de pallier les errements de cinquante ans de construction européenne, du moins dans les pays qui, comme la France, ont su avoir la clairvoyance d’y reconnaitre une magnifique opportunité de régulation démographique et d’adapter leur politique en conséquence afin de tirer le meilleur parti de cette opportunité. Alors plutôt que de ne voir que les aspects financiers négatifs de la crise provoquée par cette pandémie, qui coûtera probablement des centaines de milliards d’euros dans les années à venir, essayons plutôt de faire preuve d’un peu d’optimisme et d’évaluer ses bénéfices pour le problème des retraites.
Ne pinaillons pas sur les chiffres, il ne s’agit ici que de donner des ordres de grandeur. En France, une retraite moyenne est d’environ 1650 euros bruts par mois (en incluant les pensions de réversion). Sachant que nous avons atteint benoîtement les 20 000 morts aux environs du pic épidémique, et en faisant l’approximation d’une courbe de mortalité d’allure symétrique, nous pouvons raisonnablement tabler sur un bilan d’environ 40 000 morts, qui seront donc dans leur immense majorité des retraités. Si l’on part de l’hypothèse que notre sympathique virus envoie ad patres ces pauvres victimes environ 5 ans en moyenne avant leur décès "hors épidémie", ça nous fait une économie de l’ordre de 4 milliards d’euros sur les 5 prochaines années. Il ne s’agit là que d'une estimation du gain direct lié au non versement des pensions de retraites à des gens qui ne seront plus là. Mais il convient aussi de prendre en compte les coûts que ces personnes auraient fait peser sur l'assurance maladie. Car, et c’est un autre fait scientifiquement avéré, les personnes âgées ont une fâcheuse tendance à être plus souvent malades que la moyenne. Tous les cancers, tous les infarctus, AVC, Alzheimer, Parkinson, etc., autant de pathologies lourdes et extrêmement coûteuses que ces personnes ne développeront pas puisqu'elles seront déjà mortes et n'auront pas besoin d'être soignées (ce qui montre au passage que la mort est un remède extrêmement efficace à toutes les maladies). En admettant qu’environ la moitié de ces victimes auraient développé une maladie grave, type cancer, dans les cinq ans, et en prenant comme estimation de calcul une trentaine de jours d’hospitalisation dans un service de cancérologie par personne (coût journalier moyen, environ 2000 euros) et le coût moyen d’une chimiothérapie pour un cancer du sein (avec 18 000 euros, c'est loin d'être la plus chère), on peut évaluer une économie pour l’assurance maladie et les assurances complémentaires d’environ 1,5 milliards d’euros minimum. La lourdeur, donc le coût, des pathologies graves affectant les personnes âgées et l’hypothèse raisonnable que plus de la moitié d’entre elles soient concernées conduit probablement à une sous-estimation importante de cette valeur.
Ensuite, il ne faut pas oublier les « victimes collatérales » que sont toutes ces personnes qui étaient hospitalisées à l’arrivée de l’épidémie de Covid-19 en France et que l’on a renvoyées chez elles pour « créer » une partie de ces lits dont E. Macron est si fier. Combien parmi elles décèderont prématurément ? Il est impossible de le dire. Seule une analyse rétrospective des courbes de mortalité saisonnière par les épidémiologistes permettra d’avoir une quantification correcte du nombre total de victimes, directes et indirectes, que ce premier pic épidémique aura provoqué. Mais il est tout à fait envisageable que les sommes ainsi « économisées » soient au final d’un ordre de grandeur de 10 milliards d’euros. Il faut donc savoir rendre à César ce qui est à César et témoigner notre reconnaissance et notre admiration à tous ceux qui ont contribué à cette gestion de crise, qui, dans ce mélange croquignolet d’impréparation, de conséquences dévastatrices de politiques néolibérales, de cafouillages à répétition, de calculs politiciens, etc., a permis d’aboutir à ce résultat assez remarquable. Dans un pays autrement géré, la même épidémie n’aurait pas produit d’aussi bons résultats, nous en avons plusieurs exemples. Alors, 10 milliards d’euros, c’est une jolie somme, certes, mais un peu dérisoire au regard des sommes astronomiques que la crise va coûter.
Fort heureusement, l’épidémie n’est pas terminée et il ne tient qu’à notre gouvernement de poursuivre ses efforts louables pour amplifier encore des résultats déjà respectables. Soyons rassurés, il semble clair qu’il s’y emploie avec application. Nous pouvons faire mieux, et nous allons très probablement le faire. Compte-tenu de l’état des connaissances scientifiques concernant cette épidémie et du niveau de flou qui existe encore concernant la capacité de la France à disposer de masques et de tests en nombre suffisant, il est loisible d’envisager que le déconfinement ne se fera pas dans des conditions optimales. Sachant également la proportion très importante de contaminés asymptomatiques, caractéristique de cette épidémie, et connaissant maintenant bien les dynamiques de contamination, il y a une probabilité forte pour que nos dirigeants soient en train de nous mitonner un second pic épidémique qui viendra fort à propos compléter efficacement les effets du premier en termes de correction démographique.
Ainsi, avec la rescolarisation mi-mai, non seulement on permettra à nos pauvres travailleurs de retourner travailler (ça a l'air de tellement leur manquer, il faut être charitable), mais surtout, on se mitonnera dans les classes et les préaux un joli bouillon de culture de SARS-CoV-2 qu'on va porter doucement à ébullition pendant un mois et demi. Ne restera plus, juillet venu, qu’à envoyer toutes nos petites têtes blondes bien coronavirées en vacances chez Papy Mamy, ou, mieux encore, leur faire des petits bisous s’ils sont dans des EHPAD, et là, cornegidouille, si ça ne nous fait pas un second pic gérontocide au moins aussi impudiquement phallique que le premier, ce sera à décourager toute initiative intelligente de solutionner le problème des retraites. En tout cas, on ne pourra pas reprocher à nos dirigeants de ne pas avoir essayé. Pour mettre toutes les chances de leurs côtés, ils devraient même organiser le second tour des élections municipales avant les grandes vacances. Après tout, si les enfants peuvent aller à l’école et les ouvriers au travail, il n’y a pas de raison que cela pose plus de problèmes que le premier tour, et que les électeurs n’aillent pas voter. Vu l’efficacité de la manœuvre sur le premier pic, cela devrait contribuer également à bien en alimenter un second. Et puisque E. Macron « assume totalement la décision » d’avoir maintenu le premier tour des élections, avec un mépris sidérant d’inhumanité pour toutes les victimes qui auront été contaminées à cette occasion, il pourra bien assumer une seconde fois d’envoyer au casse-pipe quelques milliers de personnes supplémentaires. Après tout, à la guerre comme à la guerre, c’est l’apanage des grands généraux que de savoir garder le cap d’une stratégie sans se laisser ébranler par le nombre des victimes qu’elle engendrera.
En poursuivant avec une opiniâtreté et une résolution inébranlables la politique menée depuis le début de l’épidémie, on pourrait ainsi passer d’environ 40 000 victimes directes pour le premier pic à au moins 60 000, voire 80 000 grâce au second si l’on s’y prend bien. Certes, nous sommes encore loin du bilan d’une bonne guerre, mais souvenons-nous tout de même que la préférée de notre bon vieux Georges a mis quatre longues années pour faucher ses 1,5 million de jeunes français. Si l’on réussit à générer un second pic nous amenant à un bilan cumulé de 60 000 victimes de mars à fin août, cela sera un score déjà très honorable : avec un bilan journalier moyen d’environ le tiers de celui de la grande guerre, nous n’aurons pas à rougir et pourrons nous montrer légitimement satisfaits, voire fiers, comme l’est déjà notre cher président. Ne faisons donc pas les difficiles car grâce à cette épidémie, cette bonne guerre, et surtout sa gestion maitrisée sur toute la ligne, le problème des retraites sera en grande partie résolu par un rééquilibrage démographique drastique et fort opportun entre les actifs et les passifs.
Et, si après ces arguments, il reste parmi vous des pessimistes indécrottables qui pensent que cela ne sera pas suffisant, qu’ils se rassurent, un bienfait arrive rarement seul. Le réchauffement climatique rend si probable la survenue d’une canicule que l’on a toutes les chances pour que celle de l’été prochain emporte une bonne partie de ceux de nos aînés qui auront réchappé de peu à ce méchant virus mais en seront sortis très affaiblis. Les perspectives d’une telle synergie pour la résolution du problème des retraites sont telles qu’elles laissent rêveurs.
Il ne restera plus alors à E. Macron, grand seigneur tellement à l’écoute de son bon peuple, qu’à renoncer à une réforme des retraites devenue démographiquement inutile. Quand la politique est érigée à un tel niveau, cela confine à l’art suprême, et on ne peut que s’incliner devant tant de génie. Chapeau bas, messieurs nos gouvernants.