Plan de l’écrit
- Rapport social
- Les rapports de domination : exploitation et oppression
- Discrimination directe, indirecte, implicite et structurelle
- Racisme structurel
- Le capitalisme racial
- Racisme d’Etat
- Race / Racisation et racialisation / personnes racisée et racialisée
- La blanchitude/blanchité et le privilège blanc
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Introduction
Pour commencer ce dossier d’introduction à la domination raciste, je vais présenter une épistémologie de la discrimination raciste. L’épistémologie, en tant qu’étude des disciplines et des théories scientifiques, nous ouvre la voie sur une utilisation critique des concepts. Ceux-ci nous permettent d’interroger et de penser un problème ou un phénomène social, d’en appréhender les mécanismes sous-jacents et d’en déconstruire les idées reçues. Telle est la finalité de ce premier écrit : poser les concepts fondamentaux de la discrimination raciste qui seront mobilisés tout au long de ce dossier.
Au fil de mes articles, j’utiliserai fréquemment la notion « ethno-raciale ». Elle permet de nommer la catégorisation des groupes sociaux minoritaires dans une société donnée. Pour la sociologue Mirna Safi, elle détient l’avantage de lier la question raciale et ethnique et de révéler leurs connections. En effet, l’esclavage, la colonisation et les migrations postcoloniales ont « soutenu les doubles processus de « racialisation » (comme assignation sur un mode biologisant) et d’« ethnicisation » (comme construction d’une identité collective) » (Safi, cité par Franz, 2013). Autrement dit, la notion ethno-raciale permet de rendre compte des rapports de pouvoir racialisés - le caractère négatif des rapports sociaux -, mais également des logiques de construction des identités culturelles des groupes racisés - l’ethnicité - (Safi, 2013, p10).
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Les rapports de domination
Rapport social
En opposition à la tradition individualiste, le racisme ne doit pas être appréhendé comme un phénomène individuel mais comme un rapport social. La sociologue Anne-Marie Devreux (2001) en propose une pleine définition. Selon la chercheuse, le rapport social est composé de quatre caractéristiques : il est une structure transversale à toute la société ; il est un antagonisme ; il est autonome d’un autre rapport social ; il est producteur de catégorisation, de critères de classement social et de normes.
Autrement dit, les rapports sociaux construisent des relations sociales et institutionnelles hiérarchisées qui traversent l’ensemble de la société. Ils engendrent une pluralité d’inégalités entre les groupes sociaux en leur conférant de multiples avantages ou désavantages en fonction de leur position de dominant, ou de dominé. Contre l’hypothèse du libre-arbitre de la sociologie individualiste, les comportements et les schèmes de pensées des individus sont orientés par leurs places dans les rapports sociaux. En effet, les rapports sociaux sont incorporés dans les psychés individuelles et collectives à travers les processus de socialisation, orientant inconsciemment les manières de faire, de penser et d’agir, et permettant la reproduction d'imaginaires collectifs justifiant et naturalisant les places sociales assignées à chacun (Collectif Manouchian, 2012, p306).
En d’autres termes, les groupes sociaux - et les individus qui les composent - sont fabriqués par et dans les rapports sociaux qui les différencient, les opposent, les hiérarchisent, à partir des critères classistes, ethno-raciaux, genrés, justifiant la distribution inégale des ressources matérielles, socio-économiques, culturelles et symboliques (Collectif Manouchian, 2012, p87-88).
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Exploitation et oppression
La conceptualisation marxiste de l’exploitation économique est sans nul doute la plus pertinente. Selon Karl Marx, le travailleur produit plus de valeur économique que ce qu’il reçoit en retour à travers son salaire, celui-ci ne servant qu’à reconstituer sa force de travail. Le capitaliste s’approprie donc la différence entre la vente de ses produits sur le marché et le salaire versé au salarié. Cette différence est nommée plus-value et constitue la base de l’accumulation capitaliste. Autrement dit, l’exploitation correspond au travail non-payé par les capitalistes aux travailleurs. Produite par le totalitarisme de la propriété privée et l'assujettissement au rapport salarial - qui sont les deux conditions essentielles de la domination patronale -, « l’exploitation apparaît comme une condition structurelle du mode de production capitaliste » (Renault, 2001, p55).
L’oppression sociale désigne un autre rapport social. Le collectif de sociologues Manouchian (Bouamama, Cormont, Fotia) propose une définition intéressante. Elle désigne des « rapports sociaux inégaux dans lesquels un dominant prive un dominé de droits et d’opportunités qu’il se réserve pour lui-même. » (Collectif Manouchian, 2012, p24). Le sociologue Charles Tilly (1998) s’inscrit dans cette définition puisqu’il définit l’oppression « l’accaparement d'opportunités », comme un processus de privation. Néanmoins, cette privation ne repose pas nécessairement sur un acte intentionnel du groupe dominant – sauf pour les capitalistes -, elle est plutôt une condition structurelle qui s’inscrit dans les fonctionnements ordinaires des institutions.
En conclusion, si l’exploitation interroge plutôt la dimension économique d’un rapport social, l’oppression interroge davantage sa dimension sociale. Dans les deux cas, l’exploitation et l'oppression désignent deux rapports de domination qui s’exercent au sein de structures ou d’organisations sociales telles que le capitalisme, le patriarcat, le racisme, le validisme etc.
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Discrimination directe, indirecte, implicite et structurelle
Le sociologue Yvon Fotia propose une définition rigoureuse : la discrimination est « l'application d'un traitement à la fois différent et inégal à un groupe ou à une collectivité, en fonction d'un trait ou d'un ensemble de traits réels ou imaginaires, socialement construits comme ‘’marques négatives’’ ou ‘’ stigmates’’ ». Ainsi, le traitement différencié ne suffit pas pour caractériser une discrimination. Pour qu’elle se produise, il faut que le traitement différencié engendre une situation d’inégalité (Collectif Manouchian, 2012, p120). A partir de cette définition, on peut distinguer quatre formes de discrimination : directe, indirecte, implicite, structurelle.
La discrimination directe se fonde sur un acte concret, volontaire et intentionnel, d’un individu ou d’un groupe d’individus sur autrui. La discrimination indirecte se produit lorsqu’une décision, une mesure, une disposition, apparemment neutre, entraine un effet négatif qui désavantage un individu ou un groupe d’individus. Sans intentionnalité de discriminer, la discrimination indirecte s’inscrit plutôt dans le cadre des structures sociales et institutionnelles qui régissent d’une organisation donnée (Safi, 2013, p19). Par exemple, l’interdiction du burkini dans les piscines, si elle se base sur une disposition neutre - la notion d'hygiène, d’ailleurs très fortement remise en cause aujourd’hui -, discrimine certaines catégories de la population en raison de critères religieux. Si la discrimination directe repose sur la production d’un traitement différentiel, la discrimination indirecte repose sur l’effet différentiel d’une décision institutionnelle.
Une troisième forme est la discrimination implicite. Ce concept de psychologie sociale démontre que des individus, malgré leur attachement honnête aux valeurs d’égalité, peuvent continuer à présenter des stéréotypes qui orientent leurs jugements et leurs décisions, d’autant plus dans des contextes d’anxiété, d’incertitude et de manque d’informations (Devine, 2001). Autrement dit, l'intentionnalité de discriminer est inexistante.
La dernière forme de discrimination est structurelle. Pour Saïd Bouamama, elle repose sur « l'existence de déséquilibres socio-économiques ou d'inégalités sociales qui sont historiquement constitués. Les discriminations systémiques sont donc formées par les processus qui produisent et reproduisent les places sociales inégalitaires en fonction de l'appartenance à une « classe », une « race » ou un « sexe ». Cette appartenance pouvant être réelle ou supposée. » (Collectif Manouchian, 2012, p136). En d’autres termes, la discrimination structurelle se présente comme un système qui maintien une distribution inégale des ressources matérielles, économiques, sociales et symboliques. C’est un système social hiérarchisé, donc inégalitaire, qui structure la société en traversant l’ensemble de ses institutions. Par exemple, nous pouvons observer ses effets dans les différences d’espérance de vie, de revenus, d’accès au logement et au marché du travail.
Dans cette forme de discrimination, il est difficile d’identifier clairement les motivations des individus et de désigner personnellement les discriminants. Tout le monde y participe, même involontairement, y compris les individus qui en sont victimes. En effet, parce qu’elle est incorporée dans les mécanismes institutionnels et dans la socialisation de chacun, un individu dominé peut reproduire contre son propre groupe une discrimination structurelle, comme les policiers noirs qui réalisent des contrôles au faciès.
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Epistémologie de la domination raciste
Racisme structurel
Comme l’exprime le collectif Manouchian (2012, p11), le racisme structurel est un système de hiérarchisation des groupes sociaux à partir de « marqueurs » ethno-raciaux (couleur de peau, langue, origine, stéréotypes), qui produit et maintient une répartition inégale des ressources sociales, économiques, matérielles, symboliques, culturelles. Plus précisément, le système raciste engendre une distribution inéquitable des opportunités (différences de revenus, d’espérance de vie, de formation etc.), un accès moindre aux biens et aux services et/ou de moins bonne qualité (accès à l'école, au logement, au marché du travail etc.), et une expérience concrète de l’inégalité de traitement dans l’espace public (racisme policier, discrimination directe etc.). Autrement dit, le racisme structurel révèle l’expression du racisme inscrite dans les rapports sociaux.
Il est le produit de processus historiques propres aux histoires nationales : l’esclavagisme, le colonialisme, la ségrégation raciale, l’apartheid, les migrations etc. Ces séquences historiques ont produit des normes de hiérarchisation, d’altérisation, d’essentialisation, d’infériorisation, de fétichisation des corps non-blancs, engendrant des inégalités ethno-raciales qui se reconfigurent au gré des évolutions des sociétés. Nous sommes ici dans la perspective postcoloniale qui consiste, selon les historiens Blanchard, Bancel et Lemaire, « à poser en objet d'étude les traces de la domination coloniale sur les phénomènes sociaux », afin de comprendre « comment les phénomènes engendrés par le fait colonial se sont poursuivis, mais aussi métissés, transformés, reconfigurés » (Blanchard et al., 2006, p13). Cette perspective est essentielle puisque la fin des Etats racistes (ségrégation raciale, apartheid, Vichy) et le développement des politiques publiques antiracistes dans les démocraties contemporaines, ne témoignent aucunement de la disparition des logiques ethno-raciales dans nos sociétés.
Par ailleurs, il faut discuter la question du racisme structurel en abordant son intersection avec les autres formes de domination - le capitalisme, le patriarcat, etc. Une analyse matérialiste ne peut faire l’économie de la multidimensionnalité des rapports sociaux. Si un rapport social garde une relative autonomie vis-à-vis d’un autre - l’abolition du capitalisme ne mettra pas automatiquement fin au système raciste -, chacun d’entre eux se reconfigurent dans leurs interactions réciproques.
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Le capitalisme racial
Le concept du capitalisme racial permet d’appréhender les liens entre le capitalisme et le racisme. Dans un premier temps, on peut définir le capitalisme comme le mode de production qui prévaut depuis l'époque contemporaine. Il repose sur une organisation sociale en classes antagonistes au sein de laquelle la classe bourgeoise domine les classes prolétaires par la détention des moyens de production, des institutions financières et par l'appropriation de l’Etat. Cette monopolisation du pouvoir bourgeois sur l’ensemble du processus de production et de l’instrument étatique leur permet d’organiser à l’échelle macro-sociologique leur domination de classe.
Cependant, le mode de production capitaliste est également une organisation racialisée. L’esclavage, la colonisation, l’impérialisme, les migrations, sont des séquences historiques qui ont engendré une racialisation des structures du capitalisme et de ses rapports de production. Autrement dit, on ne peut dissocier le développement capitaliste du développement du système esclavagiste et colonial - et aujourd’hui néocolonial - qui produit une domination matérielle, sociale et symbolique entre les pays du Nord et du Sud, et entre les blancs et les non-blancs.
Concrètement, intégrée la question de la race au capitalisme révèle les processus d’essentialisation, d’altérisation, d’assignation et d’infériorisation qui structurent notre société en reconfigurant les hiérarchies sociales par la production de hiérarchies ethno-raciales. Autrement dit, on observe que même dans les groupes dominés, comme la classe ouvrière, il y a d’autres formes de hiérarchisation qui engendrent des inégalités. Pour prendre quelques exemples du capitalisme racial, il y a la division raciale du travail dans laquelle des individus non-blancs, principalement noirs et d’origine maghrébine, sont davantage assignés aux corps de métiers les plus faiblement rémunérés, aux fonctions les plus difficiles et dégradées (BTP, restauration, l’aide à la personne et du nettoyage), aux contrats les plus instables (CDD, intérim) ou encore surreprésentés dans les statistiques de chômage.
Autrement dit, on observe une hiérarchisation ethno-raciale au sein même de la classe ouvrière permettant aux personnes blanches d’avoir des avantages matériels, sociaux-économiques ou symboliques (avancement professionnel plus rapide, accès plus facilement au CDI, moins de chômage etc.).
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Racisme d’Etat
Pour l’analyse marxiste, l’État est un produit de la société de classe. C’est une structure sociale, politique et juridique, placée en surplomb de la société, ayant pour finalité de maintenir l’antagonisme de classe et la suprématie de la bourgeoisie dans les rapports de production. Autrement dit, l’Etat est un instrument de répression mobilisé par la bourgeoisie à l’encontre des classes dominées pour justifier, développer et défendre son hégémonie sur la société à travers l'utilisation d’appareils idéologiques comme l’école, les médias, le droit, la politique institutionnelle ou la force policière. Cependant, si l'État est un produit des sociétés de classe, des épisodes nationalistes ont engendré une racialisation de ses institutions, d’où l’hypothèse du racisme d’Etat.
Le racisme d’Etat ne doit pas être confondu avec l’Etat raciste. Le premier, selon Saïd Bouamama, vise « à décrire l’existence et la production-reproduction d’un rapport social raciste dans des États » (Bouamama, 2018), alors que le deuxième décrit des Etats qui se sont structurés à partir d’une législation raciste (ségrégation raciale, apartheid, régime de Vichy). Autrement dit, si l’Etat raciste promeut une centralité de la race biologique qui institue intentionnellement une société raciste, le racisme d’Etat repose sur des institutions publiques qui reproduisent des inégalités ethno-raciales.
Cependant, on peut se demander de quoi a besoin le racisme structurel pour exister ? La réponse est l’existence de la race.
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Race / Racisation et racialisation / personnes racisée et racialisée
En France, l’utilisation de ce concept est controversée. On fustige le « retour de la race », en lui faisant porter des orientations faussées et des conceptions erronées. En réalité, la race ne doit pas être interprétée comme une donnée biologique – les races humaines n’existent pas - mais comme une production sociale d’altérisation et d’assignation à partir de marqueurs ethno-raciaux. En effet, si la notion de race n’a aucune validité biologique, elle continue d’organiser les perceptions du sens commun, c’est-à-dire la manière dont la société se représente l’Autre. Par la race, on comprend comment les groupes minoritaires sont essentialisés à travers des propriétés et des attributs immuables et dévalorisants : caractéristiques physiques, le rapport au corps et à la sexualité, les traits de caractères etc. La construction sociale de la race révèle ainsi les phénomènes de racialisation et de racisation qui traversent la société, produisant des formes plurielles de discriminations et d’inégalités ethno-raciales.
Ensuite, il faut faire la distinction entre deux concepts : racialisation et racisation. Dans un premier temps, la racialisation est un processus cognitif de mise en forme du monde, une construction de la réalité sociale (Poiret, 2011). Elle repose sur la production de hiérarchies raciales dans une société donnée (Mazouz, 2020). Autrement dit, elle montre par quels mécanismes les groupes sociaux sont produits, différenciés et classés à partir des « marqueurs » ethno-raciaux. Concrètement, tous les groupes sont racialisés, autant les blancs que les non-blancs. La différence est que les premiers en retirent des bénéfices au détriment des deuxièmes. Ainsi, la production du blanc étant la condition sine qua non de la production du noir, le blanc - en tant que référence universaliste - doit exister pour que le noir soit oppressé. La racialisation est donc un antagonisme qui refuse l’égalité de traitement.
Ensuite, la racisation est un concept crée par la féministe matérialiste Colette Guillaumin en 1972. Elle désigne les processus d’assignation raciaux que subit un groupe social dominé en fonction de ce que le groupe majoritaire perçoit de lui : couleur de peau, religion, sexualité, comportement, personnalité etc. (Mazouz, 2020). Pour le sociologue Christian Poiret (2011), elle désigne l’ensemble des attitudes et des pratiques produites et justifiées par la racialisation, qui ont pour conséquence de « faire vivre » la race et de fabriquer des groupes racisés. La racisation n’est donc qu’une dimension du processus de racialisation, celui de la production de l’altérisation et de l’assignation racialisante.
En résumé, si la racialisation indique le processus par lequel tous les individus sont catégorisés et classés dans un groupe racial (les blancs, les arabes, les noirs, les roms etc.), la racisation est la production sociale et matérielle du rapport social raciste qui engendre les formes plurielles de la domination raciste : discrimination, inégalité, agression, oppression, ségrégation, meurtre extermination etc.
A la suite de ces concepts découlent les termes de « racisé » et de « racialisé ». Contrairement aux détracteurs de ces notions, elles ne poursuivent pas la finalité de figer les identités à travers des assignations ehtno-raciales. Au contraire, elles révèlent le caractère socialement construit des différences ainsi que leur essentialisation. Ainsi les individus racisés sont ceux qui ont subi un processus de racisation, qui, dans le système racial, sont en position d’infériorité (les « non-blancs »). C’est pourquoi, les militants et militantes antiracistes ont repris ce terme pour s’auto-désigner comme un groupe social subissant un rapport de pouvoir racialisé et racialisant. En revanche, les personnes racialisées concernent tout le monde, y compris les « blancs », permettant à tous les groupes de se situer dans le système racial à partir d’eux.
Révéler la racialisation nous permet d’analyser un impensé, celui de la blanchité, avec tous les effets matériels, sociaux et symboliques que cela comporte.
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Les blancs et le racisme
La blanchitude/blanchité et le privilège blanc
Tout d’abord, la blanchité est le fait d’appartenir, de manière réelle ou supposée, à la catégorie des blancs. Elle révèle que le fait d’être blanc est une construction sociale, comme le fait d’être noir. Contrairement à une idée reçue, les individus ne sont pas véritablement définis comme blanc ou noir parce que leur couleur de peau s’en rapproche. La racialisation ne va pas de pair avec la pigmentation. A l’époque où prévaut le racisme biologique, les classifications raciales ont toujours posé des problèmes aux experts en raciologie. Eric Fassin rappelle qu’aux États-Unis, au début du 20ème siècle, les Italiens et les Irlandais ne sont pas initialement rangés parmi les blancs, alors que les asiatiques et les Indiens sont rétrogradés parmi les non-blancs à la suite d'un jugement de la Cour suprême (Fassin & Fassin, 2013, p33). Ainsi, le blanc et le noir sont des constructions sociales.
Lorsque les études postcoloniales utilisent le terme de blanc ou de noir, elles désignent moins une couleur de peau qu’une construction sociale, une catégorie politique qui détermine une position occupée au sein d’un système de domination, ici le système racial, qui confère des avantages ou des désavantages aux différences groupes racialisés.
Nommer la blanchité, c’est donc révéler l‘impensé des personnes blanches qui subissent également un processus racialisant. Les personnes blanches, si elles nomment facilement les autres en raison de caractéristiques ethno-raciales (les noirs, les asiatiques, les arabes etc.), elles ne se définissent jamais en tant que blanches. Inconsciemment, elles ont l’impression d’être un universel qui englobe toute l’humanité, une référence à partir de laquelle on définit le différent. En conclusion, la blanchité met en lumière les impensés de la racialisation blanche et les avantages que les individus concernés en retirent.
Ces avantages blancs – aussi nommés privilèges blancs – sont les bénéfices divers que possèdent les blancs pour la seule raison qu’ils sont blancs. Par exemple, le fait de ne pas être ramené à sa couleur de peau ; ne pas être accusé de communautarisme quand on vit entre blancs ; ne pas avoir à se justifier au nom de tous les membres de son groupe ou de se désolidariser quand l’un d’entre eux commet des actes répréhensibles ; l’absence de contrôle au faciès ; la possibilité de trouver facilement des coiffeurs formés à son type de cheveux ; on peut citer également le manque de solidarité envers les réfugiés quand ils ne sont pas blancs etc. Autrement dit, les individus blancs héritent involontairement d’un système de domination qui leur octroie des avantages sociaux, économiques, symboliques, matériels, culturels et psychologiques, y compris dans les classes dominées.
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Conclusion
Dans ce billet, j’ai proposé une introduction à l’épistémologie de la discrimination et de la domination racistes. C’est un point d’appui important pour la suite du dossier puisqu’il me permettra de ne pas être obligé de revenir sur ces concepts, mais également de pouvoir les imager à travers des analyses concrètes.
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Bibliographie
Blanchard, P., Bancel, N., & Lemaire, S. (2006). La fracture coloniale. La Découverte.
Collectif Manouchian. (2012). Dictionnaire des dominations. Syllepse.
Fassin, D., & Fassin, E. (2013). De la question sociale à la question raciale. La découverte.
Renault, E. (2001). Le vocabulaire de Marx (éd. Marketings). Ellipse.
Safi, M. (2013). Les inégalités ethno-raciales. La Découverte.
Tilly, C. (1998). Durable Inequality. University of Californie Press.
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Webographie
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Devine, P-G (2001). Préjugés et stéréotypes implicites : dans quelle mesure sont-ils automatiques ? Introduction à la section spéciale. Journal de la personnalité et de la psychologie sociale, 81, 757-759. doi : https://doi.org/10.1037/0022-3514.81.5.757
Devreux, A. (2001). 4. Les rapports sociaux de sexe : un cadre d’analyse pour des questions de santé ?. Dans : Pierre Aïach éd., Femmes et hommes dans le champ de la santé : Approches sociologiques (pp. 97-116). Rennes: Presses de l’EHESP. doi : https://doi.org/10.3917/ehesp.aiach.2001.01.0097"
Franz, B. (2013). Les inégalités ethno-raciales, Une recension du livre de Mirna Safi. LMSI. Consulté le 01/07/22. DOI : https://lmsi.net/Les-Inegalites-ethno-raciales
Mazouz, S. (2020). "Racialisation ou racisation ?". Carnet de recherche Racismes. consulté le 01/07/22. https://racismes.hypotheses.org/173
Poiret, C. (2011). « Les processus d’ethnicisation et de raci(ali)sation dans la France contemporaine : Africains, Ultramarins et « Noirs », Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 27 - n°1 | 2011, mis en ligne le 01 juin 2014, consulté le 07/01/22. doi : http://journals.openedition.org/ remi/5365 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remi.5365