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Billet de blog 3 octobre 2022

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Capitalisme racial et reconfigurations néocoloniales (7/15)

Le capitalisme racial révèle les inégalités ethno-raciales qui traversent l'ensemble des classes sociales, y compris les classes dominées. Il montre comment l’exploitation économique se singularise à partir de la race. Dans ce billet, nous verrons les reconfigurations néocoloniales de la domination bourgeoise sur les immigrés et leurs descendants au 21e siècle.

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Plan de l'écrit

  1. Introduction
  2. Le racisme structurel, une adhésion tardive
  3. Mécanismes socio-économiques et ethno-raciaux
  4. Le capitalisme racial contre les immigrés
  5. Le capitalisme racial contre les descendants d’immigrés
  6. Conclusion

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1. Introduction

Dans un article précédent, j’ai exposé le concept de capitalisme racial pour la séquence des « 30 Glorieuses ». Cet écrit est une continuité en se concentrant sur les immigrés du 21e siècle, mais aussi sur les descendants d’immigrés. A partir de ce travail, on observera les constances et les reconfigurations du capitalisme racial en fonction des époques.

Dans un premier temps, je montrerai que le racisme structurel est une hypothèse reconnue tardivement dans les sciences sociales françaises. Ensuite, j’exposerai les mécanismes socio-économiques et ethno-raciaux qui permettent d'expliquer, en grande partie, les inégalités subies par les immigrés et leurs descendants dans le champ de l’emploi. Dans un troisième temps, je traiterai spécifiquement la question du capitalisme racial sur les immigrés et les descendants d’immigrés.

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2. Le racisme structurel, une adhésion tardive

Les sciences sociales françaises ont mis un certain temps avant d’étudier la question du racisme structurel. Outre la prégnance d’un universalisme abstrait, le poids de la sociologie de Durkheim, de Bourdieu et de la pensée marxienne - malgré toute la puissance analytique de ces théories -, n’ont pas permis l’émergence d’un champ de recherche autonome autour des questions ethno-raciales. Malgré certaines tentatives au milieu du 20e siècle - on peut citer Andrée Michel, Colette Guillaumin, Frantz Fanon, Etienne Balibar -, c’est seulement à partir des années 90 que de nombreux travaux sociologiques vont démontrer scientifiquement la réalité du racisme structurel sur le marché du travail (Tripier, De Rudder, Vourc’h, 1994 ; Bataille, 1997).

Globalement, les individus racisés ont un taux de chômage plus élevé dans toutes les catégories socio-professionnelles, des salaires inférieurs, une instabilité de l’emploi plus importante et une plus faible mobilité professionnelle. En ce qui concerne les immigrés, la sociologue Mirna Safi montre que les situations inégalitaires sont principalement expliquées par les qualifications inférieures des travailleurs immigrés. Néanmoins, elle insiste sur le fait qu’il persiste toujours des écarts lorsqu’on neutralise cette variable. En effet, comme l’exprime Jacqueline Perrin-Haynes (2008), statisticienne à l’INSEE, « à niveau d'éducation égal, les immigrés ont de plus fortes chances d'être au chômage et de plus faibles chances de connaître une mobilité professionnelle ou une promotion salariale ». Par ailleurs, les descendants d’immigrés se retrouvent également dans des situations moins favorables que les personnes blanches sur le marché du travail, particulièrement pour ceux originaires du Maghreb et d’Afrique Subsaharienne (Safi, 2013, p44).

Pour tenter d’expliquer ces différences, je vais reprendre les travaux de la sociologue Mirna Safi relatifs aux mécanismes discriminatoires et inégalitaires qui s'exercent à l’entrée et sur le marché du travail. Si la domination de classe est déterminante – dont celle-ci est d’autant plus carabinée pour les racisés par son interaction avec la domination ethno-raciale -, elle n’explique pas tous les écarts que l’on observe dans l’ensemble des catégories socio-professionnelles entre les individus blancs et racisés, y compris dans les classes moyennes et supérieures. Ainsi, il existe une relative autonomie du facteur ethno-racial.

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3. Mécanismes socio-économiques et ethno-raciaux

Les mécanismes externes au marché du travail

Mirna Safi (2013) distingue les mécanismes internes et les mécanismes externes au marché du travail. Tout d’abord, les mécanismes externes sont constitués de 3 facteurs : les acquisitions individuelles (les diplômes, les qualifications), le niveau de capital social (réseaux professionnels et carnet d'adresses), et l’espace géographique (ségrégation résidentielle, inadéquation entre le lieu de résidence et les bassins d‘emploi). Ces trois facteurs ne sont pas le fruit d’une « disposition individuelle », au risque de tomber dans une psychologisation des rapports sociaux ou dans une sociologie individualiste. Ils sont le produit de rapports de domination.

En ce qui concerne les acquisitions individuelles, les travaux de Bourdieu et Passeron (1970), plus récemment ceux de Camille Peugny (2013), démontrent que l’école joue un rôle déterminant dans la reproduction et la légitimation des inégalités sociales, en naturalisant celles-ci en prétendues capacités individuelles détenues ou non par les individus permettant une « juste » inégalité dans la société méritocratique. Par ailleurs, si l’analyse de classe est déterminante pour expliquer les inégalités scolaires, on constate toujours des écarts, certes faibles mais réels, entre les scolarités des enfants blancs et non-blancs. Autrement dit, il existe également des processus ethno-raciaux à l'œuvre dans le jeu de la domination scolaire et de la reproduction sociale.

Le niveau de capital social est également une caractéristique de classe. Dans une société où sévit le chômage de masse, la mobilisation de ressources sociales et relationnelles joue un rôle important dans l’accès à l’emploi (Beauchemin et al., 2016, p216). Or, les individus racisés sont surreprésentés dans les classes populaires, dont celles-ci se caractérisent notamment par une faiblesse des réseaux sociaux et professionnels.

Pour finir sur le dernier facteur de mécanisme externe au marché de travail, on peut noter l'impact de l'espace géographique. Les processus de ségrégation résidentielle produisent une concentration de certaines populations au sein de quartiers paupérisés et délabrés où règne le chômage, et où l’accès à l’emploi est plus complexe pour au moins deux raisons : le stigmate du territoire (discrimination territoriale) et l’inadéquation entre les zones d'habitations et les bassins (Sayad, 1999, p49-50).

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Les mécanismes internes au marché du travail

Les mécanismes internes reposent sur 3 facteurs : la structure du marché, les mécanismes organisationnels et la discrimination raciste.

Pour le premier facteur, la désindustrialisation et l’augmentation du travail qualifié dans notre société tertiaire ne permettent plus à des fractions de la classe ouvrière d’accéder à un emploi stable, davantage pour les plus démunies en capital scolaire. Si ces mécanismes sociaux-économiques ne sont pas directement orientés vers les groupes minoritaires, ils sont amplement touchés par ceux-ci du fait de leur surreprésentation dans les classes populaires (Safi, 2013, p51). Ensuite, les mécanismes organisationnels comme le « plafond de verre » joue un rôle important. Nous verrons plus loin que les individus racisés détiennent plus fréquemment que d’autres des emplois précaires, que leur mobilité professionnelle est plus lente que la population majoritaire et qu’ils sont surreprésentés dans les secteurs d’emploi où les possibilités d’évolution sont limitées. Dans tous les cas, les causes de ces inégalités ne peuvent pas être expliquées par les seules données individuelles (Safi, 2013, p52).

Pour finir sur les causes internes, il y a la discrimination raciste. De nombreux testing révèlent que les individus d’origine maghrébine et subsaharienne sont les plus concernés. Ainsi, l’étude d’Emmanuel Duguet, de Noam Léandri, de Yannick L'Horty et de Pascale Petit (2009), montre que les candidats d'origine maghrébine ont 3 fois moins de chances d'être convoqué à un entretien d'embauche que les candidats ayant un patronyme français, un désavantage qui augmente pour les contrats à durée indéterminée, les emplois les plus qualifiés et les plus rémunérateurs. Autrement dit, contrairement à certaines idées reçues, la classe ne permet pas mécaniquement de neutraliser les processus racistes. Par ailleurs, l’équipe de recherche trouve des résultats équivalents pour le lieu de résidence (L'Horty et al., 2011), et d’autres travaux montrent que la religion musulmane est également une variable discriminatoire (L. Adida et al., 2010).

Pour finir, le testing de la DARES (Cédiey, Foroni, et Garner, 2008) dans l'hôtellerie restauration dévoile qu’à compétences égales, le patronat favorise près de 4 fois sur 5 le candidat ayant une origine française par rapport au candidat ayant une origine maghrébine, un constat encore plus important pour les subsahariens.

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4. Le capitalisme racial contre les immigrés

Le capitalisme racial du siècle dernier détient-il toujours les mêmes modalités pour exploiter les individus racisés ? Je vais utiliser plusieurs éléments de réponse en mobilisant l’ouvrage commun de Jean-Yves Blum Le Coat et Mireille Eberhard (2014), deux sociologues spécialisés sur les questions d’immigration, mais également l'enquête TeO (2016), qui, malgré son ancienneté, reste l'étude la plus complète sur les trajectoires migratoires des immigrés et de leurs descendants. L’enquête compare la population majoritaire (individu résident en France métropolitaine qui n’est ni immigré, ni natif d'un dom, ni descendant d’immigré ou d'un dom), aux immigrés, les descendants d’immigrés et les natifs des DOM.

Le premier élément du capitalisme racial est la surreprésentation des immigrés dans les catégories professionnelles les plus basses. Si la population immigrée est moins assignée aux postes d’ouvriers que dans la société industrielle, l’enquête montre qu’elle occupe plus souvent ces emplois que ceux de la population majoritaire : 48 % pour les immigrés, un taux qui monte à 53% pour le Maroc et la Tunisie et 49% pour l'Algérie, contre 36 % pour la population majoritaire. Comme pour la séquence des « 30 Glorieuses », on retrouve une hiérarchisation dans la classe ouvrière entre les immigrés non-européens et les français, et également une hiérarchisation au sein de l’immigration : les ouvriers qualifiés sont davantage d'origine européenne alors que les non-qualifiés d'origine extra-européenne. (Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p87).

Néanmoins, il faut pointer que le taux de cadres immigrés a considérablement augmenté : 13% en moyenne (15% parmi les hommes et 11% parmi les femmes) contre 17% pour l'ensemble de la population. Cependant, on retrouve à nouveau une hiérarchisation au sein de la population immigrée. Pour les hommes immigrés d’un pays de l'Union européenne (hors Europe du Sud), la proportion de cadres est de 37%, alors qu’elle est seulement de 13% parmi les immigrés d’Afrique subsaharienne et de 11% pour le Maghreb. En ce qui concerne les femmes immigrées de l’Union européenne (hors Europe du Sud), elles sont 23 % à détenir un poste de cadre, 6 % pour les subsahariennes et 8 % pour les maghrébines (Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p91).

Le deuxième élément repose sur la précarisation de l’emploi. On constate que les immigrés sont surreprésentés dans les activités précaires (CDD, intérim) en comparaison à la population française : 16% pour les premiers - un chiffre qui monte à 20 % plus les immigrés maghrébins et subsahariens - contre 13 % pour la population majoritaire (Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p85). Pour les femmes immigrées, c’est le temps partiel qui domine : 36 % pour l’ensemble des immigrés, un taux qui monte à 39 % pour les maghrébines, contre 30 % pour les non-immigrés (Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p90). Autrement dit, indépendamment du genre, les immigrés subsahariens et maghrébins subissent davantage les formes atypiques d’emploi que toutes les autres nationalités, y compris française.

Un troisième élément est la segmentation du marché du travail. On observe pour les immigrés masculins une prédominance dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, mais également en tant qu’agent de gardiennage et de sécurité. Les femmes immigrées sont présentes principalement dans les métiers du lien (employé de maison, assistante maternelle, aide à domicile) et du ménage/nettoyage, un constat d’autant plus important pour les femmes maghrébines et subsahariennes (Le Coat & Eberhard, 2014, p87-89). Par cette segmentation du marché du travail, les immigrés non-européens sont davantage exposés à des conditions de travail dégradées, comme l’expose l’enquête « Conditions de travail » (Insee-Dares, 2005). Cette dernière étude note des postures « pénibles ou fatigantes à la longue », un travail plus monotone qui ne leur laisse que peu d'autonomie et de capacités d’initiative (Citée par Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p85).

Le dernier élément repose sur la surreprésentation des immigrés dans les statistiques de chômage. Si le taux est deux fois supérieur à celui de la population française, il varie selon les pays d’immigration. En effet, si le chômage des immigrés de l’UE est presque similaire à celui de la population française, celui des immigrés maghrébins et subsahariens est 2,5 fois supérieur, un constat encore plus grand pour les femmes maghrébines dont le taux de chômage est trois fois supérieur à la population majoritaire, et deux fois supérieur pour les subsahariennes (Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p82-83). De multiples raisons peuvent expliquer ces inégalités : l’interdiction des emplois de la fonction publique, sauf contractuels, que l’on peut considérer comme une discrimination liée à la nationalité, ou encore un niveau de diplôme plus faible.

Cependant, ces variables n’expliquent pas totalement les écarts puisqu’on constate également que le taux de chômage des cadres immigrés est deux fois supérieur à celui des natifs. La discrimination raciste reste donc une donnée intéressante à étudier. Comme l’expliquent les deux sociologues, Mireille Eberhard et Blum Le Coat, « si un diplôme élevé facilite l'accès au marché du travail, le taux de chômage des immigrés non européens reste supérieur d'au moins 10 points à celui des personnes nées françaises, et ce à niveau de diplôme comparable. » (Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p84).

En conclusion, le capitalisme racial est toujours aussi prégnant dans la détermination des trajectoires sociales des immigrés. En comparaison des » 30 Glorieuses », on retrouve des données similaires : une surreprésentation dans les emplois d’ouvriers, les emplois précaires et les statistiques de chômage, une progression professionnelle plus lente malgré une augmentation des cadres, une hiérarchisation dans la classe ouvrière mais également dans la population immigrée (UE - Hors UE), et une exposition plus grande aux tâches les plus pénibles et dénuée d’autonomie.

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5. Le capitalisme racial contre descendants d’immigrés

En ce qui concerne les descendants d’immigrés, les travaux sociologiques présentent le même constat : les Français d’origine maghrébine et subsaharienne subissent des discriminations qui s’inscrivent dans le prolongement de celles que vivaient leurs ancêtres. Les chiffres mobilisés ci-dessous proviennent principalement de l’enquête Teo (2016).

Le premier élément repose sur la catégorie socioprofessionnelle. Les descendants d’immigrés occupent principalement des postes d’ouvriers en comparaison de la population majoritaire : 41 % des hommes sont ouvriers pour les premiers, un taux qui monte à 47 % pour les Algériens, un taux similaire pour les subsahariens bien qu’ils soient davantage dans les postes non-qualifiés, 40 % pour les Marocains et les Tunisiens, contre 36 % pour les seconds. (Beauchemin et al., 2016, p235). Chez les femmes, elles sont concentrées parmi les ouvrières du tertiaire : 50 % pour l’ensemble des descendantes d'immigrés, un taux qui monte à 61 % pour les subsahariennes et 58 % pour les Algériennes (Beauchemin et al., 2016, p236). Le sociologue Henri Eckert, dans l’Enquête Génération, considère que cette segmentation du marché du travail est déterminée par des pratiques discriminatoires : « en tant qu'elles empêchent l'accès à certains emplois tandis qu'elles consentent implicitement l'accès à d'autres, qui sont généralement pénibles, précaires et mal rétribués » (Eckert, 2011).

Un deuxième élément repose sur la surreprésentation des descendants d’immigrés dans les statistiques de chômage en comparaison à la population majoritaire. Ainsi, si 8 % de la population majoritaire est au chômage, le taux monte à 19 % pour les descendants algériens, marocains, tunisiens, et 27 % pour les descendants subsahariens (Beauchemin et al., 2016, p205). Par ailleurs, les descendants d’immigrés sont confrontés à une nouvelle force discrimination nouvelle en comparaison de leurs ainés. Ils sont désavantagés dans la transition entre la fin des études et le premier emploi stable. Ainsi, si la population majoritaire trouve un emploi stable à hauteur de leurs qualifications dans les 12 mois qui suivent la fin de leurs études, il faut attendre 3 ans pour une forte fraction des descendants d'immigrés maghrébins et subsahariens, mais également pour les Français des DOM. Par ailleurs, pour une fraction des descendants d'immigrés, ils sont contraints d'attendre plus de 3 ans, parfois jusqu’à 7 ans, pour obtenir un emploi stable à hauteur de leurs qualifications (Beauchemin et al., 2016, p217).

Comme pour les immigrés, l’enquête Teo (2016) confirme que les inégalités de formation ou la faiblesse du capital social ne peuvent pas expliquer en totalité les difficultés d’accès à l’emploi des descendants d'immigrés : « À Niveau de diplôme comparable et classe d'âges équivalente, les descendants d'origine Maghrébines apparaissent pénalisés sur le marché du travail, qu'ils soient des hommes ou des femmes. » (Beauchemin et al., 2016, p219-220). Si l’analyse de classe n’est donc pas suffisante, la discrimination raciste est de nouveau une hypothèse déterminante puisque la neutralisation de nombreuses variables (inégalités, de formation, absence de capital social etc.), ne permettent pas d'expliquer les inégalités qui subsistent entre groupes majoritaires et minoritaires.

Dans les enquêtes auto-déclaratives, la discrimination raciste dépasse nettement tous les autres motifs. Les descendants d’immigrés en déclarent plus fréquemment dans l'accès à l'emploi que dans l'emploi lui-même, encore plus pour les descendants du Maghreb et Afrique subsaharienne (Beauchemin et al., 2016, p421-422.) Au début des années 90, l’enquête MGIS expose que 2/3 des immigrés déclarent une discrimination à l'embauche, dont 80 % des enfants d’algériens. L’enquête Génération 98 signale que parmi les jeunes qui se sentent discriminés à l'entrée et sur le marché du travail, ceux ayant deux parents nés au Maghreb sont surreprésentés (Masclet, 2017, p73). Dans les questionnaires auto-déclaratifs de l’enquête TeO (2016), 34 % des descendants d’immigrés déclarent avoir subi au moins une discrimination à l’embauche, dont 54 % en raison de leur origine et 14 % en raison de leur couleur de peau (Beauchemin et al., 2016, p228).

Par ailleurs, le sociologue Oliver Masclet observe une augmentation des déclarations de discrimination avec le niveau d'études : « Par rapport à un diplômé de l'enseignement professionnel court (CAP, BEP), la probabilité est augmentée de 12% pour les titulaires d'un baccalauréat et de 39% pour les détenteurs d'un diplôme supérieur. » (Masclet, 2017, p75). Pour autant, il est complexe de savoir si c’est la discrimination qui augmente en fonction du niveau d’études (caractéristiques du diplôme), ou si c’est le taux de déclarations qui augmente en fonction du niveau d’études. Sur cette interrogation, l'équipe de l'enquête TeO (2016) considère qu'il y a un lien entre le capital culturel et la dénonciation de la discrimination. Autrement dit, il existerait une sous-estimation de la part de la classe ouvrière racisée des discriminations qu’elle subit à l'entrée et sur le marché du travail.

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6. Conclusion

Cet article, étant la continuité du précédent traitant du capitalisme racial au 20e, permet de montrer les continuités et les reconfigurations du mode de production racialisé. Ainsi, on constate que le capitalisme racial s’exerce, en partie, sur des modalités similaires que celles des « 30 Glorieuses » : segmentation du marché du travail ; surreprésentation des immigrés et des descendants d'immigrés dans les emplois d’ouvriers, dont les plus dévalorisés et difficiles ; surreprésentation dans les statistiques de chômage ; hiérarchisation de la classe ouvrière à partir de marqueurs ethno-raciaux (les extra-européens étant défavorisés en comparaison de ceux provenant de l’UE).

Cependant, le capitalisme racial se reconfigure depuis 40 ans à l'encontre des immigrés et des descendants d’immigrés en produisant de nouvelles inégalités. On peut distinguer au moins trois phénomènes. Le premier est la précarisation des relations de travail (intérim, CDD, temps partiel) dans lesquelles les immigrés et les descendants d'immigrés sont surreprésentés. Le deuxième phénomène est la discrimination raciste à l’embauche, une réalité d’autant plus forte dans une société de chômage de masse où l’emploi se fait rare. Le troisième phénomène concerne les descendants d'immigrés : la transition plus difficile entre la fin des études et le premier emploi, en comparaison de la population majoritaire. Autrement dit, la réussite scolaire ne protège pas du racisme structurel.

Toutes ces inégalités qui enrayent l’intégration socio-économique peuvent être qualifiées d’inégalités ethno-raciales. Le capitalisme racial est une réalité tangible qui se reconfigure au gré des évolutions structurelles de la société.

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Bibliographie

Bataille, P. (1997). Le racisme au travail. La Découverte.

Beauchemin, C., Hamel, C., Simon, P. (2016). Trajectoires et origines. Ined. (Enquête TeO)

Blum Le Coat, J.-Y., Eberhard, M. (2014). Les immigrés en France. La documentation française.

Bourdieu P., Passeron J-C. (1970). La Reproduction. Éditions de Minuit.

Masclet, O. (2017). Sociologie de la diversité et des discriminations. Armand Colon.

Peugny, C. (2013). Le Destin au berceau. Le Seuil.

Safi, M. (2013). Les inégalités ethno-raciales. La Découverte.

Sayad, A. (1999). La double absence. Seuil.

Tripier, M., Vourc’h, F., De Rudder, V. (1994). La prévention du racisme dans l'entreprise en France. URMIS

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Webographie

Adida, C., Laitin, D-D., Valfort, M-A. Identifying barriers to Muslim integration in France. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America. 2010, 107 (52), pp.384-390. ⟨10.1073/pnas.1015550107⟩. ⟨halshs-00618060⟩

Cediey, E., Garnier, H., Foroni, F. (2008). Discriminations à l'embauche fondée sur l'origine à la rencontre de jeunes Français(es) peu qualifié(e)s. DARES, Fév 2008 - N° 06.3. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/2008.02-06.3-2.pdf

DARES. (mai 2005.) Conditions de travail. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/enquete-source/conditions-de-travail-2005

Duguet, E., Léandri, N., L'Horty, Y., Petit, P. (2009). Les facteurs de discriminations à l'embauche pour les serveurs en Île-de-France : résultats d'un testing. DARES, N° 40.1. sep 2009.https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/2009-40-1-les-facteurs-de-discriminations-a-l-embauche-pour-les-serveurs-en-ile

Eckert, H. (2011). Discrimination et reproduction sociale ou l'emploi qui reste.... Agora débats/jeunesses, 57, 107-120. https://doi.org/10.3917/agora.057.0107

L'Horty, Y., Duguet, E., Du Parquet, L., Petit, P, Sari, F. (2011). Les effets du lieu de résidence sur l’accès à l’emploi : une expérience contrôlée sur des jeunes qualifiés en Ile-de-France. ffhalshs-00745017f

Perrin-Haynes, J. (2008/10). L’activité des immigrés en 2007. INSEE Première, n°1212. https://documentation.ehesp.fr/index.php?lvl=notice_display&id=216640?

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