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Billet de blog 10 septembre 2020

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Angèle au pays de la domination masculine

Un exemple de la domination masculine ? Le harcèlement de masse qu'a subi l'artiste Angèle par une meute d'hommes sans doute en quête de légitimation de leur virilité, est une bonne représentation de poids du système d’oppression patriarcale. Quoi que fassent les femmes, elles seront toujours coupables, la domination masculine ayant inscrit la culpabilité dans une pseudo essence féminine.

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Avant-propos

Je n’ai pas l’habitude de polémiquer à chaud sur l’actualité. Or, s’il y a un sujet sur lequel je suis sensible, c’est la question des violences discriminatoires. Par le passé, j'avais déjà écrit un papier pour dénoncer la vague puritaine, sexiste, et raciste qu’avait subie Camélia Jordana au sujet des violences policières. Ici, je prends position contre le harcèlement sexiste de masse subie par l’artiste Angèle. La domination masculine n'est jamais en retard pour exercer son oppression.

Avant de commencer, je tiens à formuler une précision. Ce papier est une réponse à la campagne d’harcèlement sexiste qu’à subie Angèle en utilisant la critique des rapports des genres, et donc des rapports sociaux. Le genre se définit de manière relationnelle et non en termes de sexe biologique. C’est-à-dire que : « le féminin et le masculin sont le produit d’un rapport social » comme l’écrit la sociologue Laure Bereni. Le genre est donc le produit d’une binarité hiérarchisée entre les sexes. L’anthropologue Ann Oafley a montré que le système du genre produit des relations asymétriques et des rapports de pouvoir entre les sexes, construits sur des critères sociaux et non biologiques, qui se reproduisent au gré des socialisations différenciées selon le genre à travers les époques, permettant d’entretenir un rapport de domination des hommes sur les femmes. Par ailleurs, cet ordre social est aussi « un ordre normatif qui sanctionne les déviances de genre (telles qu’elles sont réalisées par exemple par des « hommes efféminés », des « femmes masculines », des lesbiennes « butch », des personnes trans’, des intersexes etc. » comme le rappelle à nouveau la sociologue du genre et des discriminations Laure Bereni.

Si je fais cette précision, c’est parce que j’entends déjà de nombreux hommes, armés de toute leur virilité, s’offusquer face à toute tentative de généralisation et de stigmatisation : « Tous les hommes ne sont pas comme ça ; il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac » etc. La victimisation est toujours une technique pour se détourner de la dénonciation des rapports de pouvoir et de domination que subissent les personnes qui en sont victimes. Donc ici, le terme « homme » est entendu non sur sa base biologique, mais comme une construction sociale genrée dans laquelle s’inscrit des catégories patriarcales que Pierre Bourdieu nommait « La domination masculine ».

Depuis 48 heures, l’artiste Angèle est prise à partie sur les réseaux sociaux. Un déchaînement passionnel machiste s’exerce contre la jeune femme pour ce qu’elle est : une femme et qui plus est, femme qui n’a jamais hésité à dénoncer le système oppression patriarcale. La compositrice de « Balance ton quoi », une chanson qui dénonce les injustices, les propos et comportements misogynes, tout comme le harcèlement sexuel que subissent les femmes dans notre société sexiste, a vécu le 9 septembre une campagne harcèlement sur Twitter avec plus de 75 000 messages. Quelles leçons tirer de ce phénomène ? 

#BalanceTonFrère

Il faut déjà commencer par le début. Le mardi 8 septembre, le rappeur Roméo Elvis et frère d’Angèle, a été accusé d’agression sexuelle sur Instagram par une femme dont on ne connait pas l’identité. Dès le lendemain, il a reconnu ce fait et a réalisé des excuses publiques : « Les réseaux s'enflamment, et oui : j'ai pris conscience d'avoir utilisé mes mains de manière inappropriée sur quelqu'un, croyant répondre à une invitation qui n'en était pas une, et m'arrêtant dans les instants qui ont suivi dès que j'ai compris (…) Je suis le moins bien placé, mais je le pense, ce qui est trop souvent vu comme un acte banal est une erreur à ne pas faire. Peu importe qui nous sommes. Je ne suis pas fier de cette situation et espère servir d'exemple à ne pas suivre. » Cet événement s’inscrit dans la continuité des 3 plaintes déposées pour agressions sexuelles et séquestration à l’encontre du rappeur Moha La Squale il y a quelques jours, caractérisé par le nouveau hashtag #balancetonrappeur.

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Le lendemain de l’accusation, le 9 septembre, Angèle a été victime d’une campagne d’harcèlement misogyne par plusieurs milliers de personnes, très majoritairement des hommes, qui se sont organisées telle une meute en intimant à la jeune artiste de condamner son frère. Or, cette demande collective est bien moins une demande de justice qu’une tentative de stigmatisation, de décrédibilisation et d’écrasement symbolique de la chanteuse pour ce qu’elle est : une femme libre et engagée contre la domination masculine. Ainsi et bien que ce soit son frère qui soit accusé, c’est son nom qui était en trending topic sur Twitter ce 9 septembre !

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L’un des (pseudo) arguments de cette meute misogyne est d’accuser l’autrice-compositrice de « Balance ton porc » d’avoir « deux poids deux mesures » en ce qui concerne les violences faites aux femmes. Active sur les réseaux sociaux et l’espace public pour promouvoir la cause des femmes et devenant une icône malgré elle parmi les artistes francophones, Angèle s’était placée du côté des victimes présumées du rappeur Moha La Squale à la suite des accusations d’agressions sexuelles et de séquestration. En effet, ce lundi 7 septembre, soit 24 h avant l’accusation d’agression sexuelle visant son frère Roméo Elvis, Angèle avait partagé la story de la chanteuse Pomme sur son compte Instagram : « Juste une petite mise au point pour les partisans fervents de la présomption d’innocence : elle serait légitime dans un système où la justice ferait son travail, prendrait les plaintes des victimes, et où le patriarcat n’existerait pas. Est-ce que c’est le cas ? Non. » Des milliers d'hommes, sans doute en quête de virilité, ont intimé la chanteuse de s'exprimer sur son frère.

Sommer la chanteuse de s’exprimer sur les réseaux sociaux au sujet de l’accusation portée sur Roméo Elvis montre bien le caractère misogyne de cette injonction. C'est elle qui est mise au premier rang des accusés malgré son absence de responsabilité dans cette affaire. La journaliste Morgane Giuliani l’exprime parfaitement dans son tweet : « Le fait qu’on demande à Angèle de réagir sur les accusations d’agression sexuelle envers son frère est affreux et une nouvelle illustration d’une misogynie profonde : se réjouir d’avoir « enfin » coincé une féministe, influente et populaire de surcroit dans son raisonnement. ». Alors que c’est son frère qui est accusé, c’est Angèle qui subit les attaques haineuses et diffamatoires parce qu’elle est une femme, de surcroît féministe.

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La jeune artiste de 24 ans répondra à la polémique dans cette même journée du 9 septembre sur Instagram par ces mots : « De la même façon que je me bats aux côtés des femmes et minorités négligées, je condamne les actes qui vont à l'encontre de mes principes. C'est d'autant plus important qu'il s'agit d'un proche et heurtant de l'apprendre. Une prise de conscience globale est à venir et un changement des mentalités s'impose, encore, toujours et partout. C'est tout ce que je souhaite. »

L'univers de l’oppression patriarcale

Si Angèle a été sommée de prendre position sur les agissements son frère, ce n’est pas tant à cause de son lien de parenté avec lui. Certes, celui-ci reste déterminant, mais si la jeune artiste a été prise pour cible, c’est avant tout pour ses engagements féministes et humanistes dans une société oppressive et patriarcale. Pour reprendre les propos de la sociologue Raewyn Connell, l’homme n’aime pas qu’on lui rappelle les privilèges de la masculinité hégémonique qu’il retire du patriarcat, ce système de structures et de pratiques sociales dans lesquels les hommes dominent et exploitent les femmes. L’imaginaire patriarcal a besoin de maintenir le caractère « naturel » de la hiérarchie sexuelle en gommant tout repère de sa construction sociale. Pour ce faire, il faut pacifier les relations en réprimant les femmes au silence ou en les stigmatisant, réduisant la rhétorique féministe à une guerre hystérique des sexes. Ce caractère (pseudo) naturel de la hiérarchie sexuelle permet au dominant d’imposer et/ou d’être conforté dans sa propre vision des réalités sociales, apparaissant aux yeux de tous, ou du moins devant apparaître comme l’ordre du normal. Les femmes doivent incorporer en elles cette domination comme une forme authentique de la relation entre les sexes. C’est ce que l’on nomme la violence symbolique, qui est le produit de l’adhésion des dominés à l’oppression qu’ils subissent, cette servitude volontaire et invisible parce qu’intériorisée comme légitime, permettant au dominant de maintenir sa souveraineté dans l’asymétrie relationnelle entre les sexes.

Les nombreuses attaques sexistes qu’à subies Angèle sur les réseaux sociaux depuis la sortie du son album Brol contenant notamment sa musique « Balance ton quoi », montre à quel point le patriarcat est réactif dès qu’il se sent contesté, dévoilé, menacé. La domination masculine ne veut en aucun cas que soient mis à jour les privilèges de genre : les salaires plus élevés, des postes plus gradés, la domination domestique et la charge mentale qu’elle implique, la culture du viol etc. Si dans notre société patriarcale le masculin et le féminin sont le produit d’un rapport social inégalitaire qui permet la domination du premier sur le deuxième, alors le premier s’oppose grandement à la disparition des signes de la hiérarchie sexuelle et de la division sexuelle du travail, par son refus de perdre ce rapport de pouvoir qui pourrait l’abaisser socialement et symboliquement.

Mais alors, pourquoi une meute s’est-elle organisée sur les réseaux sociaux en intimant à Angèle de condamner l’agression de son frère ? Pour des valeurs féministes ? Pour défendre la victime de l'agression de son frère ? C’est tout le contraire ! La seule raison renvoie au point le plus culminant de la misogynie : le masculinisme. L’agression de son frère est une aubaine pour les hommes machistes puisque cela leur permet de rabaisser socialement une artiste populaire, influente et intègre, une femme qui condamne, qui dénonce, qui refuse de se taire, qui renvoie l’homme (en tant que genre construit socialement) à sa place dans la hiérarchie sexuelle et la division sexuelle du travail, c’est-à-dire à sa position de dominant. L’inversion des responsabilités est parfaite : on écrase une féministe avec ce par quoi elle se bat : les violences conjugales et sexuelles. On utilise un fait dramatique et condamnable dont elle n’est pas responsable pour la bafouer et l’humilier. Les attaques sexistes contre Angèle sont une toute-jouissance masculiniste qui n’a rien à voir avec l’agression causée par son frère dont ils n’accordent aucune attention, et d’autre part ils n’ont pas un seul mot de compassion pour la victime, ni même de soutien. Au contraire, ils se réjouissent d’une telle agression sexuelle qui leur permet d’écraser symboliquement la jeune artiste. Face aux victoires du mouvement féministe, l’homme tient sa revanche dans ce type affaire, clouant au pilori une femme qui n’a aucune responsabilité dans les faits reprochés, par un sexisme assumé et totalement décomplexé : « Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif et méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité. » écrivait Simone de Beauvoir.

En clair, quoi qu’elles fassent, les femmes sont toujours mises en cause, responsables, coupables. Rechercher cette culpabilité chez elles n’est pas complexe puisque le système d’oppression patriarcal a inscrit la culpabilité dans l’essence même de la femme. En effet, la tradition judéo-chrétienne a intégré dans la nature même de la femme la culpabilité originelle, universelle et intemporelle, qui justifie la violence à leur égard en déresponsabilisant les auteurs, très majoritairement des hommes. Dans l’histoire judéo-chrétienne, le problème c’est la femme : le serpent, la tentation, la damnation, la sorcellerie, la perversion, le mensonge, c’est toujours elle.

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Angèle, une femme que tu n’abattras pas

Ce mercredi 9 septembre, lorsque j'ai vu cette meute misogyne remplie d’hommes sans nul doute en quête de légitimation de leur virilité écraser symboliquement Angèle pour ce qu’elle est, une femme de surcroît engagée, les paroles de Simone de Beauvoir résonnaient en moi : « Une femme qui n’a pas peur des hommes leur fait peur ».

Le harcèlement sexiste est un instrument de contrôle sur corps et de l’esprit d’autrui. C’est un moyen de dissuasion et d’intimidation très efficace qui a déjà fait ses preuves par le passé. Réduire au silence une femme, détériorer son estime, l’écraser pour ne la réduire à rien, tels sont les objectifs du harcèlement sexiste qu’a subi la jeune artiste. Ces hommes ont accusé son (court) silence compréhensible, non à cause d’un soudain revirement de valeurs féministes, mais comme une jouissance suprême masculiniste de voir une icône féministe condamner les agissements de son frère, permettant du même coup de ne pas porter d’intérêt pour la victime, ni pour le coupable, mais d’imposer à une femme leur volonté perverse et leur sentiment de contrôle sur les événements. Alors que la domination masculine impose le silence aux femmes pour maintenir son permis d’agression, elle intime aujourd’hui, et seulement quand cela l'arrange, l’injonction à la condamnation publique : « Ceux qui pressent Angèle de réagir n’en ont rien à faire des victimes supposées, de la lutte contre la culture du viol », martelait Morgane Giuliani, journaliste à Marie Claire sur son compte Twitter le 9 septembre.

Oui, le patriarcat a encore de beaux jours devant lui et les réseaux (a)sociaux lui permettent de s’exercer à une rapidité encore inégalée tout en préservant l’anonymat. « Le jour viendra où notre silence sera plus fort que les voix que vous étranglez aujourd’hui » s’exclama dans un dernier souffle de vie l’anarchiste August Spies lâchement assassiné par la police américaine, un jour aussi les voix des femmes seront plus puissantes que celles qui se taisent aujourd’hui sous les injures, le harcèlement, les agressions, les violences, bref, sous la domination masculine.

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« Les femmes ont besoin de plus de sommeil que les hommes parce que la lutte contre le patriarcat est épuisante »

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