Sommaire
- Retour sur la polémique du FIBD
- Inceste et pedocriminalité chez Bastien Vivès (œuvres et interviews)
- Une entreprise de justification
- La survie d'un système de justification pédosexuelle
.
1. Retour sur la polémique du FIBD
Depuis plusieurs jours, le Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême (FIBD) qui se déroulera du 26 au 29 janvier 2023 est sous le feu des critiques. La raison est la présence d’une exposition consacrée au dessinateur Bastien Vivès, qui, dans ses bandes dessinées, mêlent pornographie, inceste et pédocriminalité. Si le FIBD a refusé dans un premier temps de déprogrammer le dessinateur, la pression populaire, féministe, des militant.e.s de la protection de l’enfance, de bédéastes, ainsi que deux pétitions dont une qui a atteint plus de 100 000 signataires, a contraint les responsables à annuler cette exposition. Ces derniers justifient la déprogrammation pour maintenir la sécurité de l’auteur après avoir reçu des « menaces physiques » sur les réseaux sociaux.
Face aux accusations d’« Apologie de l’inceste », de « banalisation de la pédopornographie », de « culture du viol », Bastien Vivès crie au « complot » et à la « machination » (Le Monde). Mais quand est-il de ces accusations ?
.
2. Inceste et pédocriminalité chez Bastien Vives
Les accusations d'inceste et de pédocriminalité dans son travail
Dans les nombreuses bandes dessinées pornographiques de l’auteur, on retrouve régulièrement des vignettes faisant référence à des relations pédocriminelles et incestueuses. Dans Les melons de la colère (2011), une jeune fille découvre le sexe démesuré de son petit frère et lui réalise une fellation, dont la suite des vignettes laissent pense que ceci va continuer ; on trouve également une fille mineure se fait violer par des adultes excités par sa poitrine. Dans La décharge mentale (2018), Vives met en scène une famille incestueuse dans laquelle le père, la mère, et leurs trois filles sont des rapports sexuels. Par exemple, il y a une série de vignettes dans laquelle une mineure en classe de seconde (approximativement 15 ans) est réveillé en pleine nuit par sa mère pour réaliser une fellation à l’ami de son père - ce dernier a eu le droit à sa fellation un peu plus tôt - avant que la jeune fille ne se recouche dans son lit pour être à l’heure le lendemain à l’école. Puis, dans la bande dessinée pornographique Petit Paul (2018), on peut voir un petit garçon de 10 ans détenant un pénis démesuré provoquer des désirs incestueux auprès de sa sœur, mais aussi auprès des adultes jusqu’à subir des violences sexuelles notamment de la part de son institutrice.
.
Ses propos sur l’inceste et la pédocriminalité
Au-delà de son travail, de nombreux propos tenus par Bastien Vivès témoigne d’une certaine forme de fascination pour la question incestueuse et pédosexuelle. Par exemple, sur le forum de discussion Catsuka, un site de référence d'animation japonaise, Bastien Vivès poste un message public pour se procurer un « manga pédophile avec des gamines de trois quatre ans ». Après la divulgation de ce commentaire, il tente de le minimiser en affirmant qu’il était plus intéressé par le design du manga que par la référence sexuelle en question : « Je m’intéressais en effet à un manga ouvertement pédoporno, en reconnaissant que le sujet était abject mais en étant sincèrement intéressé par un dessin que je trouvais extraordinaire. C'est calomnieux d’en déduire autre chose ». Un peu faible comme justification, un One Piece aurait suffi pour le style japonais…
Ensuite, on peut relever d’autres paroles qui relativisent, banalisent, voire font l’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité. En 2017, alors qu’il présente sa bande dessinée Une sœur au magazine féminin Mademoizelle, il affirme que « L'inceste, ça m'excite à mort. Pas celui de la vraie vie, mais celui raconté, je trouve ça génial. Tous ces trucs-là font des histoires incroyables. Quand tu transgresses, quand tu fais quelque chose que t'as pas le droit de faire, c'est agréable à lire. (…) Vu que je ne peux pas faire d'inceste dans la vraie vie, et que je n'ai pas de grande sœur pour pouvoir faire ça, je fais ça dans mes livres ». En 2018, lors de la sortie de sa BD Petit Paul contenant des vignettes pédocriminelles, il explique au HuffPost qu’ « il n'y a jamais de vice selon moi. Après, j'ai pris les trucs qui m'excitent le plus, comme la sexualisation poussée à l'extrême (les énormes seins, les énormes membres), ou encore le voile qui peut être très érotique. ». Ici, outre l’apologie de l’inceste, on note également la prégnance de l’essentialisation des corps racisés dans la pensée de Bastien Vivès à travers le fantasme de la femme voilée, une hypersexualisation reposant sur les imaginaires construits pendant la colonisation.
Pour finir, le bédéaste a tenu des propos violents à l’encontre de la dessinatrice féministe Emma qui a dénoncé la charge mentale des femmes à travers sa BD à succès Fallait demander. Moqué par Bastien Vivès sur la qualité de son œuvre, il ajoute « J'aimerais qu'un de ses gosses la poignarde et qu'il fasse une BD sur comment il l'a poignardée et qu'il se fasse enculer à chaque like. ».
Autrement dit, la question de l’inceste et de la pédocriminalité traverse la figure de Bastien Vivès, autant dans ses bandes dessinées, dans l’exposition de ses fantasmes en interview, mais également dans son agressivité envers les féministes et leurs enfants.
.
3. Une entreprise de justification
En quelques jours, l’exposition consacrée à Bastien Vivès crée la polémique et on assiste à une opposition entre celles et ceux qui demandent son annulation et celles et ceux qui la défende au nom de « l’exceptionnalité » d’un artiste considéré comme « l'un des bédéastes les plus doués et les plus prolifiques de sa génération » (Le Monde). Or, en réalité, l’entreprise de justification de Bastien Vivès dure depuis de nombreuses années. Nombreux sont ceux qui défendent cet auteur qui ose contester « les limites de la morale » (Slate, 2018), qui inscrit son talent à travers un « pur délire transgressif » (L’Obs, 2018), et dont la polémique sur son oeuvre serait « Le symptôme d’une impossible conciliation entre ère post-MeToo et ère post-Charlie » (Marianne, 2022), une « défaite philosophique énorme [et] une vaste entreprise de purification de l’art » (Fausto Fasulo, co-directeur du FIBD, 2022), une censure comme celle intentée contre Baudelaire avec les Fleurs du mal et une interdiction de se représenter les tabous de notre société (Benoît Mouchart, bis, 2022), ou pour finir comme « une manifestation de la bien-pensante hypocrisie bourgeoise » (Didier Pasamonik, 2011). Mais au-delà de ces citations, voyons précisément comment cette entreprise de légitimation se réalise.
.
L'article de L'Obs
En 2018, Bastien Vivès sort sa bande dessinée « Petit Paul ». Dans certaines vignettes, un garçon de 10 ans détenant un sexe démesuré entretient des relations sexuelles avec des adultes. Face à certaines critiques qui accusent l’auteur de banaliser la pédocriminalité, de nombreux journaux vont intervenir pour le défendre, tels que L’Obs ou Slate.
Pour L’Obs (2018), les scènes incestueuses et pédocriminelles ne relativisent pas le crime sexuel car elles n’ont pas pour finalité « de susciter l’excitation sexuelle. (…) la seule chose qu’il suscite est le rire. Et cela change tout. » Autrement dit, pour L’Obs, il faut concevoir ces vignettes, ici le viol d’un enfant de 10 ans par des adultes, dans une dimension humoristique notamment grâce à la manière extravagante dont est dessinée les personnages. Un peu faible comme défense, mais continuons.
Le journal continue sur cette dynamique en fustigeant une pétition contre la bande dessinée sous prétexte qu’elle « lui dénie toute qualité humoristique sur des motifs fallacieux ». En effet, si la pétition condamne la BD car elle exprime les fantasmes déviants de Bastien Vivés, « Comme si les « fantasmes » incitaient fortement à la débauche ! » écrit L’Obs. or, s’il est vrai qu’une image n’incite pas au viol, il serait peut-être intéressant que L’Obs interroge autant son vocabulaire que son analyse puisque dans le cas Vivès, on discute d’inceste et de pédocriminalité, et un viol d’enfant ne relève jamais de la débauche et d’un plaisir excessif sexuel mais du crime ! Un peu plus loin, L’Obs continue dans la magnificence de l’œuvre de l’auteur en affirmant qu’ « En réalité, il faut être bien myope – ou alors sacrément bigot – pour ne pas constater que « Petit Paul » relève du pur délire transgressif. » Autrement dit, pour L’Obs, les vignettes incestueuses et pédocriminelles relèvent d’un talent subversif de l’auteur qui joue avec les limites de la morale. Comme je l’ai montré dans un ancien article sur la défense idéologique de la pédosexualité dans le domaine artistique, l’argument du beau, de l’esthétique, de la transgression et de l’anticonformisme est mobilisé depuis le « moment pédophile » (1960-1990) pour relativiser et/ou normaliser les relations sexuelles entre enfants et adultes.
Pour finir, on peut constater à quel point le journal L’Obs prend à la légère cette affaire en s’amusant des indignations causées par la BD puisque selon lui, il est risible de s’indigner sur la scène pédocriminelle en début d’ouvrage dans laquelle le petit Paul se fait violer par son institutrice, puisque « c’est probablement l’une des moins hard de toute cette BD ! ». No comment.
.
L'article de Slate
Pour défendre Bastien Vivès, le journal Slate (2018) mobilise un argumentaire psychanalytique en distinguant la pulsion du souhait. Alors que la pulsion est involontaire, de l’ordre de l’imaginaire et neutre sur le plan moral, le souhait est un désir conscient dont on espère concrètement sa réalisation. Ainsi, pour le journal, les vignettes qui évoquent l’inceste et la pédocriminalité relèvent de la pulsion et de l’imaginaire de Bastien Vivés et non d’un désir concret de leur réalisation : « l’excitation – ainsi celle de Bastien Vivès – à l’idée d’avoir un rapport sexuel avec des trop jeunes filles, où à l’idée d’être doté d'une bite démesurée et qu’on vienne nous violer. Ces choses-là surgissent. Mais libre à nous (individuellement, collectivement) d’en vouloir les réalisations ou pas. (...) Or à ma connaissance, Bastien Vivès ne va pas distribuer de bonbons à la sortie des écoles. ». Faudrait-il donc que Vives distribue des carambars aux enfants à la sortie des écoles pour que ses dessins ne soient plus légitimes ?
Comme pour L’Obs, le journal Slate considère que le bédéaste est en droit de dessiner sur l’espace public ses fantasmes incestueux ou pédocriminels, même si ceux-ci relèvent de crimes sexuels, qui, chaque année, s’abat sur 160 000 enfants, sans compter les 6 millions de français et de françaises survivant.e.s de l’inceste. On pourrait, sans tomber dans le point Godwin, se demander jusqu’où pourrait être légitime de se représenter un fantasme. L’individu qui détient des pulsions haineuses contre une population minoritaire aurait-il le droit, par l’image, de se représenter des agressions contre ces populations pour parfaire son fantasme ?
Le journal Slate conclut – ironiquement ? - en affirmant qu’il est positif que « Vivès dessine ses fantasmes » puisque « l’une des fonctions de l’art est justement de nous aider à mettre nos pulsions à distance, pour ne pas les transformer en souhaits. » Dans cette dynamique, on pourrait pousser ce propos un peu plus loin en proposant à tous les pédosexuels et les personnes haineuses de dessiner leurs pulsions sexuelles déviantes et leurs pulsions meurtrières afin de les empêcher de passer à l’acte !
Pour finir, je voudrais également dire quelques mots sur l’opposition entre l’ère Metoo et l’esprit Charlie. En effet, certains défenseurs du bédéaste invoquent l’esprit Charlie, le droit à la liberté d’expression qui serait désormais censuré par les affreuses néoféministes. Ceci est un abus de langage. Lorsque Charlie Hebdo réalise des caricatures mettant en scène l’inceste ou la pédocriminalité, c’est toujours pour dénoncer ces fléaux et non pour exprimer les fantasmes sexuels déviants de leurs journalistes, comme en témoigne leurs dessins sur la violence sexuelle au sein de l’Eglise catholique.
.
4. La survie d'un système de justification pédosexuelle
Ces deux exemples (L’Obs et Slate) sont représentatifs du pouvoir de la petite bourgeoisie intellectuelle, artistique et culturelle, pour justifier au nom de l’art et d’un anticonformisme abstrait, des productions qui relativisent, valorisent ou normalisent les relations entre mineur.e.s et adultes. Face aux critiques, les principaux arguments se résument en plusieurs points :
- Invoquer le talent ou le génie de l’artiste ;
- Défendre le droit de représenter ses fantasmes et pulsions, d’autant plus s’ils sont déviants ;
- Mobilisation de la psychanalyse (distinguer le fantasme du souhait) ;
- Mobilisation de l'art comme une pratique "noble" ;
- Mettre en avant le caractère anticonformiste et transgressif de l'œuvre ;
- Dénoncer la défaite du monde philosophique et artistique par la censure de la bien-pensance ;
- Prétexter l’ironie et le second degré ;
- Se servir de la liberté d’expression en opposant l’ère Metoo et l’esprit Charlie.
.
Ce qui est intéressant, c’est que la plupart de ces arguments sont les mêmes qui sont mobilisés pendant le « moment pédosexuel » entre les années 60 et 90 dans lequel les artistes, les écrivains, les philosophes, les psychologues, les militants, et d’autres agents, ont œuvré volontairement ou non à la politisation de la cause pédosexuelle. Dans ce contexte, le droit de représenter par l’art, la littérature, la musique etc., des relations sexuelles entre enfants et adultes est considéré comme un affranchissement de la morale castratrice et des tabous biens-pensants, et comme la manifestation d’une autonomie intellectuelle transgressive, anti-conformiste, hors des normes et singulière. Autrement dit, on retrouve ici un ensemble d’éléments qui entre en résonance avec les valeurs de l’artiste (Verdrager, 2021, p83).
Si aujourd’hui la criminalisation et la pathologisation de la pédosexualité a mis fin à sa politisation, l’affaire Vivès montre qu’il subsiste encore certaines continuités, certes locales mais réelles, dans les tentatives de justifications pédosexuelles. Un retour en arrière est donc nécessaire et je renvoie le lecteur et la lectrice à mon article « La défense idéologique du système pédocriminel » qui traitait de cette question.
Il faut tout de même constater que celles et ceux qui défendent Bastien Vivès aujourd’hui sont les mêmes qui défendaient Gabriel Matzneff ou Tony Duvert au siècle dernier, cette petite bourgeoisie intellectuelle (artistique et culturelle), qui, par le passé, œuvré à la valorisation de la déviance sexuelle. Comment ne pas rappeler que Tony Duvert, par exemple, était défendu par Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner. Ces derniers considérés qu’il était « en tant que pédophile, l'héritier des grands mythes amoureux. », et dont les deux défenseurs du pédocriminel Polanski conseillés non seulement la lecture des livres de Duvert mais également le passage à l’acte : « Désirez-vous connaître l'intensité des passions impossibles ? Une seule solution : prenez-vous d'un(e) enfant[1] » (Verdrager, 2021, p89).
En conclusion, si les bandes dessinées de Bastien Vivès ne relèvent pas de la même dynamique que les ouvrages de Matzneff ou Duvert, ceux-ci étant structurés à partir d’une centralité pédocriminelle et à partir d’une démarche de politisation pédosexuelle, il existe dans le travail du bédéaste des séries de vignettes qui normalisent les relations sexuelles entre enfants et adultes, c’est-à-dire la violence pédocriminelle. Les scènes en question ne sont jamais condamnées et bien qu’il n’y ait aucune accusation contre lui, il n’est pas tolérable de pouvoir justifier ses fantasmes déviants sur l’espace public, d’autant plus quand ils reposent sur un crime sexuel. Ainsi, Bastien Vivès - avec toute la petite bourgeoisie culturelle qui le défend - s’inscrit dans la continuité historique d'une culture pédosexuelle qui utilise le domaine de l’art comme « totem d’impunité » pour légitimement exprimer sur l’espace public ses fantasmes sexuels déviants.
.
[1] Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Au coin de la rue, l'aventure. Seuil. « Points », [1979], 1982, p91