Mis à jour le 25/11/2022
Plan du billet
- Introduction
- L’expérience scolaire des immigrés et des descendants d’immigrés
- Les mécanismes : entre classe et race
- La ségrégation socio-spatiale
- Conclusion
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1. Introduction
Penser le racisme dans l'éducation nationale n’est pas une chose aisée. Tout d’abord, cette institution est sans nul doute la plus représentative de notre République, avec ses valeurs universalistes et égalitaristes dans sa version « égalité des chances ». Ainsi, l’hypothèse d’une institution traversée par des logiques ethno-raciales relèverait d’une dérive identitaire et anti-républicaine. Ensuite, il faut constater que les sciences sociales n’ont pas encore investi cet objet d’étude. Si nous avons toute une sociologie critique, qui, depuis Bourdieu, a montré comment les rapports de classe sont déterminants dans la réussite scolaire, la catégorie ethno-raciale reste encore peu étudiée.
Comme me l'ont fait remarquer certains utilisateurs du Club, je vais re-situer mon approche du racisme. Je mobilise ici une perspective post-coloniale qui intègre le concept de race, appréhendé comme un fait social qui organise des relations hiérarchisées dans la société. Ainsi, comme je l'ai expliqué dans un article précédent « le racisme structurel est un système de hiérarchisation des groupes sociaux à partir de « marqueurs » ethno-raciaux (couleur de peau, langue, origine, stéréotypes), qui produit et maintient une répartition inégale des ressources sociales, économiques, matérielles, symboliques, culturelles. (...) Autrement dit, le racisme structurel révèle l’expression du racisme inscrite dans les rapports sociaux. » (Marcuss, 09.22).
Dans ce billet, je discute les trajectoires scolaires des immigrés et des descendants d’immigrés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Dans un premier temps, j’exposerai les résultats scolaires inférieurs de ces populations. Ensuite, je proposerai des explications sur ces inégalités en vertu des études sociologiques dont nous disposons, en prenant davantage de temps sur les logiques ethno-raciales.
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2. L’expérience scolaire des immigrés et des descendants d’immigrés
Le niveau de diplôme des immigrés et des descendants d’immigrés
Jean-Yves Blum Le Coat et Mireille Eberhard, sociologues spécialisés sur les thèmes des migrations et de la discrimination raciste, exposent 4 constats généraux sur les enfants immigrés, un bilan que l’on peut également mobiliser pour les descendants d’immigrés : une scolarisation caractérisée par un retard plus important (redoublement précoce) ; des performances scolaires moindres (d'après les résultats de CP, de 6e et du brevet, du bac) ; des orientations spécifiques se traduisant par une surreprésentation dans l'enseignement professionnel ; une plus grande fréquence à quitter l'école sans aucun diplôme (Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p111).
Plus précisément, en ce qui concerne les descendants d’immigrés, je vais utiliser l’enquête TeO 1 (Beauchemin et al., 2016). Dans cette étude, les chercheurs ont étudié une population de 18-35 ans, immigrée, ayant effectué sa scolarité en France avant 2008. L’équipe de recherche constate que les descendants d’immigrés, davantage les maghrébins et subsahariens, ont un risque plus élevé de sortir sans diplôme que la population majoritaire (individu dont les parents ne sont pas immigrés). Alors que 14% de la population majoritaire n’a pas de diplôme à la fin de leur scolarité, un chiffre similaire au DOM, ce taux montre à 29% pour descendants d’immigrés algériens, 24% pour les marocains et les tunisiens, 23 % pour les subsahariens (Afrique centrale et sahélienne) et 37% pour les turques. Dans tous les cas, les filles sont moins souvent en échec que les garçons, sauf pour le cas de la Turquie (Beauchemin et al., 2016, p185).
En ce qui concerne le baccalauréat, on constate également des inégalités de résultats entre la population majoritaire et les descendants d’immigrés. Alors que 62% de la population majoritaire détient le BAC, un taux sensible à celui des DOM avec 59%, le taux descend à 55% pour le Maroc et la Tunisie, 48% pour l'Afrique Sahélienne, 46% pour l’Algérie, 31% pour la Turquie. Seuls les descendants de l'Afrique centrale ont un taux similaire de la population majoritaire avec 60%, car cette immigration familiale a la particularité d’être davantage qualifiée que les autres (Beauchemin et al., 2016, p192). Dans toutes les situations, les femmes sont toujours plus diplômées que les garçons, y compris pour la Turquie. L’équipe de recherche constate également que, même en neutralisant les caractéristiques sociales et familiales, des écarts résiduels non-expliqués persistent entre la population majoritaire et les descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et de Turquie. Autrement dit, le rapport de classe n’est sans doute pas suffisant pour expliquer tous les écarts de résultats, même s’il est largement le plus déterminant.
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Des inégalités scolaires dès l’école maternelle
Les enfants originaires d’Afrique (Maghreb compris), subissent plus que les autres des difficultés scolaires à l’école maternelle. Si on utilise la variable du redoublement scolaire, l’enquête Teo 1 (2015) montre qu’il est vécu par 36 % des descendants d’Afrique subsaharienne, 33 % pour les descendants d’Algérie, 34 % pour le Maroc et la Tunisie, 44 % pour la Turquie, contre 25 % de la population majoritaire. Par ailleurs, une grande partie de ces redoublements se réalisent dès l’école élémentaire (Beauchemin et al., 2016, p176). L’enquête TeO1 révèle qu’après neutralisation des caractéristiques de classe et familiales, si les écarts baissent considérablement, on constate toujours des inégalités entre la population majoritaire et les descendants d’immigrés. Ensuite, on observe également que de nombreux enfants d’immigrés ont été surreprésentés dans des classes spécialisées, comme les SEGPA, en comparaison de la population majoritaire.
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Familles immigrées : le niveau de diplôme augmente sur 3 générations
L’INED et L’INSEE réalisent actuellement une seconde enquête Teo (Beauchemin., et al., 2022). Certaines données ont été mises en ligne, notamment sur les trajectoires scolaires. L’équipe de recherche constate une progression positive du diplôme sur 3 générations. Néanmoins, elle n’utilise que la variable du diplôme supérieur. Ainsi, elle ne mesure pas précisément l’ensemble du niveau scolaire, principalement la surreprésentation des descendants d’immigrés maghrébins et subsahariens dans le niveau d’instruction faible (BEPC/CAP-BEP) et l’échec scolaire. Cette nouvelle enquête permet de révéler une augmentation globale du niveau scolaire des immigrés, y compris pour la région africaine (Maghreb compris), même si des inégalités persistent toujours.
Petite parenthèse, l’étude utilise l’expression « reste de la population » pour caractériser les personnes sans ascendante migratoire ou qui « peuvent remonter aux arrière-grands-parents ou au-delà, (...) parfois qualifiées par commodité de « descendants de natifs » ».
En ce qui concerne les familles originaires du Maghreb, la progression du niveau de diplôme est importante. Alors que seulement 3% des parents détiennent un diplôme du supérieur, un taux qui monte à 14 % pour les couples mixtes, leurs enfants sont 32 % à détenir ce niveau, bien qu’il reste inférieur à celui des descendants du reste de la population (43 %). Le profil des familles d’Afrique subsaharienne est différent. Il s’inscrit dans la diversification de l’immigration qui témoigne d’une élévation du niveau d’éducation, notamment par la politique d’immigration choisie. Ainsi, 28 % des parents immigrés sont diplômés du supérieur, 38 % pour les couples mixtes, soit un taux supérieur aux parents du reste de la population (20 %). La progression de leurs descendants est également positive, avec 50 % des diplômés du supérieur contre 43 % des enfants de « descendants de natifs ».
Par ailleurs, on observe que le couple mixte, c’est-à-dire constitués d’au moins un français, favorise le niveau scolaire des enfants. Pour les chercheurs, l'une des explications possibles est le meilleur rendement des capitaux scolaires familiaux, les couples mixtes étant davantage diplômés que les couples constitués de deux personnes immigrées.
En conclusion, chaque génération d’immigré élève son niveau d’instruction pour se rapprocher progressivement de celui du reste de la population. Cependant, cette progression du diplôme ne dit rien sur le possible maintien de la surreprésentation des descendants d’immigrés subsahariens et maghrébins, dans les niveaux de diplômes les plus bas, dans les sorties de l’école sans diplômes, mais également au sujet des inégalités qu’ils subissent dès l’école maternelle et primaire.
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3. Les mécanismes : entre classe et race
Afin d’expliquer les inégalités scolaires, je vais mobiliser deux argumentaires. Le premier est relatif à la classe. Depuis Pierre Bourdieu, nous savons que c’est le facteur le plus déterminant. Cependant, il n’explique pas tous les écarts puisque même après avoir neutralisé cette variable, on constate toujours des inégalités entre les élèves originaires d’Afrique subsaharienne et du Maghreb avec la population majoritaire. C’est pourquoi, je vais principalement mobiliser la question ethno-raciale, d’autant plus que c’est la finalité de ce dossier de recherche sur la domination raciste.
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Le facteur de classe
L’enquête TeO 1 montre que « Si les catégories sociales d'employés et d'ouvriers représentent un peu moins de la moitié des positions sociales des parents des enquêtés de la population majoritaire (47 %), plus de 65% des enfants d'immigrés et 80% des descendants d'immigrés d’Algérie et d'Afrique sahélienne ont grandi dans des familles populaires. » (Beauchemin et al., 2016, p178). Par ailleurs, si seulement 14% des jeunes de la population majoritaire ont des parents ne possédant aucun diplôme, ils sont plus de la moitié parmi les descendants d'immigrés de Turquie (64 %), d'Afrique sahélienne (57 %), d'Algérie (56%), du Maroc et de la Tunisie (54%) (Beauchemin et al., 2016, p178). Autrement dit, les descendants d’immigrés – et les enfants immigrés - subissent les mécanismes de reproduction sociale, principalement par la faiblesse des capitaux économiques et culturels de la famille et de leurs conditions matérielles qui ne favorisent pas leurs trajectoires scolaires.
Contrairement à l’idée libérale, le poids de la classe sociale est toujours déterminant, comme le démontre le sociologue Camille Peugny dans ses travaux sur la reproduction sociale. Il montre que « sept enfants de cadres sur dix exercent un emploi d’encadrement quelques années après la fin de leurs études. À l’inverse, sept enfants d’ouvriers sur dix demeurent cantonnés à des emplois d’exécution. » (Cité par Moraldo, 2013). Ainsi, il conclut que le « déterminisme de la naissance [fait] voler en éclats le mythe de la méritocratie » (Cité par Gadrey, 2019).
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Le facteur ethno-racial
En France, les études ethno-raciales sur l’école sont rares. L’imaginaire de l’école républicaine, avec ses valeurs universalistes tant en matière d’égalité que d’intégration, conduit à favoriser l’occultation des discriminations et des inégalités ethno-raciales qui traversent l'institution (Fassin & Fassin, 2013). Par ailleurs, les conceptions marxistes et du déterminisme social, si elles ont permis de révéler les mécanismes sociaux qui produisent les inégalités scolaires ainsi que la violence symbolique qui s’exerce à l’école, elles ont malheureusement participé à minimiser les analyses liées à la race. Le déni de ces analyses est dommageable, d’autant plus pour les chercheurs Van Zanten, de Rudder, et Vourc’h qui considèrent que la dimension raciale constitue « une dimension centrale du fonctionnement actuel du système scolaire, notamment dans les villes. » (in Fassin & Fassin, 2013, p203-204)
Pour comprendre les logiques raciales à l’école, il faut considérer le racisme comme un système de domination structurelle. Il renvoie donc à des mécanismes collectifs, à des pratiques institutionnelles, à des normes de fonctionnement et à des corps professionnels. Ainsi, comme l’exprime Fabrice Dhume, parler « d’école raciste » n’a aucun sens car c’est faire peser sur l’institution une intentionnalité de discriminer, y compris de la part des agents éducatifs (dans Cafépédagogique, 06/22). Le racisme structurel n’est pas équivalent d’un Etat raciste.
Dans un premier temps, je vais présenter certains mécanismes ethno-raciaux qui pourraient jouer dans l'aggravation des inégalités scolaires. Dans un second temps, j’exposerai d’autres formes de racialisation institutionnelles qui altérisent les groupes sociaux racisés.
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- Des mécanismes ethno-raciaux contre la réussite scolaire
Dans les pays anglo-saxons, des travaux en psychologie sociale tentent de démontrer les effets cognitifs négatifs produits par les expériences de discrimination. Selon Steele (1997), une société stigmatisante, en représentant certains groupes minoritaires comme incapables de réussir à l’école, produit des effets négatifs sur leurs résultats scolaires et académiques en raison d’une intériorisation des stéréotypes ethno-raciaux qui les infériorisent (Safi, 2013, p75). Ceci rejoint le concept de violence symbolique de Bourdieu. Par un phénomène d’introjection, la personne dominée intègre les données extérieures imposées par les dominants, ici la blanchité, qui justifie sa dévalorisation : « Le dominé se voit lui-même au travers des catégories mentales (des « lunettes ») des dominants, et participe dès lors, bien souvent à sa propre domination (en se dominant lui-même) » (Lemoine, 2020, p16). Autrement dit, la violence symbolique est l'intériorisation, par les dominés, des structures de domination qui les dominent.
Un autre argument est lié aux agents éducatifs. Selon les sociologues Fabrice Dhume, Xavier Dunezat, Camille Gourdeau, Aude Rabaud, des enquêtes sociologiques montrent qu’une partie du corps enseignant considère que des enfants ont des dispositions innées. Autrement dit, il existe toute une production symbolique intériorisée par les agents, qui hiérarchise les capacités d’un élève à réussir à l’école, en fonction de sa classe, de son genre ou de sa catégorie ethno-raciale (Dhume et al., 2020, p128). Dans ce classement essentialiste, ce sont les familles africaines qui sont les plus discriminées. Ainsi, sur « une échelle de l'évolution, tout en bas de laquelle sont placées les familles « maliennes » (et, avec une moindre fréquence, mauritaniennes et sénégalaises) » (de Rudder. et al., 2000, p155). Cette représentation mentale de l’innée engendrerait donc, inconsciemment, des comportements différents de certains professeurs envers les élèves en fonction de leur prétendue potentialité ou non de réussir à l’école, qui aurait pour conséquence d’une part de ralentir la progression des enfants des groupes infériorisés, d’autre part de défavoriser celles et ceux qui sont déjà en difficultés.
Un troisième facteur d’inégalités ethno-raciales est lié à la sur-orientation des enfants racisés au sein d’espaces moins valorisés comme l'enseignement professionnel, ou d’espace « à part » comme les dispositifs spécifiques - classes spécialisées, SEGPA etc. (Dhume et al., 2020, p130). Deux paramètres sont à signaler : premièrement, il ne faut pas négliger le rapport de classe. Si les adolescents racisés sont surreprésentés dans les baccalauréats professionnels ou les filières courtes, c’est principalement car ils sont surreprésentés dans la classe ouvrière. Deuxièmement, s’ils sont surreprésentés dans les fractions les plus précaires de la classe ouvrière, c’est principalement à cause du racisme structurel. Autrement dit, s’il y a une centralité à appréhender ici, c’est celle du capitalisme racial.
Par ailleurs, à partir d’enquêtes auto-reportées, l’enquête Teo1 révèle que parmi les personnes interrogées, 21% des élèves descendants de l'immigration - contre 9% de la population majoritaire - ont l’impression d’avoir subi au moins une forme d’injustice dans leur scolarité, principalement pour l’orientation professionnelle, mais aussi pour la recherche de stages (Beauchemin et al., 2016). Si tous ces processus altèrent la réussite scolaire des enfants racisés, d’autres formes de racialisation semblent traverser l’école.
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- Domination symbolique et assimilation
Analyser l'enseignement de l’histoire est important puisqu’il nous permet de comprendre comment le « Nous » national se représente. En effet, l’école permet de faire intérioriser à la population un roman national, autrement dit, une narration romancée, voire fantasmée du passé de la nation qui légitime ses valeurs et ses institutions. C’est pourquoi, le nationalisme et le racisme ont autrefois été véhiculés par l’institution pour relativiser ou justifier les séquences coloniales et impérialistes. Néanmoins, les manuels scolaires ont nettement évolué, même si certains auteurs observent des tentatives de retour à une identité nationale racialisée dans les années 2000 (Dhume et al., 2020). Ainsi, en 2005 le gouvernement de Raffarin tente, sans succès, de transformer les programmes scolaires afin qu’ils reconnaissent « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Si la représentation du « Nous » dans les manuels scolaires a évolué d’un « Nous » Gaulois à un « Nous » européen ou occidental, elle transmet toujours une forme implicite de hiérarchisation des civilisations entre le Nord et le Sud en dépréciant ces derniers. La domination symbolique des anciens territoires colonisés est donc toujours d'actualité, et ce processus peut engendrer chez les enfants racisés des formes de dépréciations identitaires (Dhume et al., 2020, p137-138).
Pour finir, si l’école fait la promotion de l’antiracisme, ce volontarisme n’est pas exempt de critiques. En effet, Fabrice Dhume montre que l’émergence des programmes antiracistes dans les années 80 repose principalement sur un antiracisme abstrait proche de l’assimilationniste, et non sur la reconnaissance concrète des discriminations vécues par les élèves dans et en dehors de l’espace scolaire. A cette époque, le modèle d’intégration française explique les traitements inégalitaires des immigrés et de leurs descendants par un manque d'assimilation de leur part. Ainsi, le discours antiraciste de l’école est réduit à une dynamique d’éducabilité des racisés qui seraient victimes de discrimination, parce qu’insuffisamment intégrés. Dans les années 2000, cette vision française de la discrimination change radicalement. On passe d’une logique d’intégration à une reconnaissance formelle de la discrimination raciste. Néanmoins, si l’école suit cette évolution, les programmes antiracistes se tournent principalement vers la lutte contre le communautarisme, les filles voilées et l’Islam en général (Dhume et al., 2020, p133-137).
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4. La ségrégation socio-spatiale
Dans le cadre des inégalités scolaires, on observe principalement deux processus ségrégatifs : une ségrégation externe (ségrégation résidentielle), et une ségrégation interne à l’école (répartition sociale inégale des élèves dans les classes).
Dans un premier temps, la classe moyenne supérieure et la petite bourgeoisie mettent en place un ensemble de stratégies pour rester “entre-soi” afin de garantir, selon eux, le meilleur enseignement scolaire pour leurs enfants. La sociologue Agnès Van Zanten montre que ces stratégies sont mises en place dès l’entrée du secondaire par des déménagements familiaux dans les endroits où les établissements sont les mieux notés (Van Zanten, 2012). Ces familles justifient leurs pratiques d’évitement en critiquant les pratiques éducatives de la classe ouvrière et de la population immigrée. Selon elles, la mixité sociale et ethnique engendrerait des impacts négatifs sur l’acquisition des apprentissages, le développement cognitif et intellectuel de leurs enfants (Van Zanten dans Fassin & Fassin, 2013, p216).
En ce qui concerne les effets ségrégatifs sur les enfants, on observe une diminution de la réussite scolaire des milieux populaires et immigrés en raison de la concentration d’élèves en difficulté, mais aussi une perpétuation des stéréotypes sociaux et ethno-raciaux aussi bien chez le corps enseignants, chez les enfants eux-mêmes, que dans la société tout entière (Van Zanten dans Fassin & Fassin, 2013, p218). Les effets de la ségrégation ont également d’autres impacts sur les établissements scolaires comme le manque d’enseignants expérimentés, le non-remplacement des absences et la moindre qualité des établissements (Blum Le Coat & Eberhard, 2014, p112).
Pour finir, le sociologue Mathieu Ichou (2020) expose qu’il y a des mécanismes ségrégatifs internes à l’institution scolaire. Afin d’empêcher la “fuite” des enfants des classes supérieures, certaines écoles développent des politiques internes pour inciter ces enfants issus des « bonnes familles » à rester. Ainsi, ces établissements mettent en place des options rares qui aboutissent à une homogénéisation sociale dans les classes. Autrement dit, on obtient des classes structurées en fonction de la classe sociale, les enfants de la classe moyenne supérieure et de la petite-bourgeoisie se retrouvant exclusivement ensemble, donc « protégés » des milieux populaires et immigrés.
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5. Conclusion
Le racisme est un système social qui traverse l’ensemble de nos institutions. En toute logique, l’école n’y échappe pas. Si la classe reste le facteur déterminant des inégalités scolaires, des inégalités ethno-raciales fragilisent également la scolarité des enfants racisés, qu’ils soient immigrés ou français. Parmi ces processus ethno-raciaux, on peut noter la surreprésentation d'enfants racisés dans des classes spécifiques, leur sur-orientation dans les filières professionnelles et la discrimination dans l’accès aux stages, l’existence chez le corps enseignant de stéréotypes raciaux et classistes sur les prétendues facultés des élèves, des stratégies d'évitement des familles des classes supérieures, la répartition sociale inégale des classes, l’instrumentalisation de la cause antiraciste etc. Parce que l’école est un lieu essentiel pour les enfants, on ne peut plus faire l’impasse sur le fait qu’elle est traversée par des logiques discriminatoires, quand ce n’est pas elle qui les coproduit.
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Bibliographie
Beauchemin, C., Hamel, C., Simon, P. (2016). Trajectoires et origines. Ined. (Enquête TeO)
Blum Le Coat, J.-Y., Eberhard, M. (2014). Les immigrés en France. La documentation française.
De Rudder, V., Poiret, C., Vourc’h, F. (2000). L'Inégalité raciste. Presses Universitaires de France.
Dhume, F., Dunezat, X., Gourdeau, C., Rabaud, A. (2020). Du racisme d'Etat en France ?. Le Bord de l'eau.
Fassin, D., Fassin, E. (2013). De la question sociale à la question raciale. La découverte.
Lemoine, S. (2020). Découvrir Bourdieu. Les Editions sociales.
Safi, M. (2013). Les inégalités ethno-raciales. La Découverte.
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Webographie
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Cafépédagogique. (26 juin 2020). Fabrice Dhume : Du racisme d'Etat en France ?. Interview par fjarraud. Consulté le 06/08/2022. https://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/06/26062020Article637287534241766840.aspx.html
Gadrey, J. (2019). La méritocratie contre l’égalité, contre la démocratie, et contre… les gilets jaunes. Alternatives Economiques. 21/02/2019. Consulté le 08/08/2022. https://blogs.alternatives-economiques.fr/gadrey/2019/02/21/la-meritocratie-contre-l-egalite-contre-la-democratie-et-contre-les-gilets-jaunes
Ichou, M. (2020). Les enfants d'immigrés à l'école : entretien avec Mathieu Ichou. SES-NS. 27/06/2020. Consulté le 15/08/2022. https://ses.ens-lyon.fr/articles/les-enfants-dimmigres-a-lecole-entretien-avec-mathieu-ichou
Marcuss. (09/22). Épistémologie de la discrimination raciste (2/15). Blog de Marcuss. Le Club de Médiapart. Médiapart. https://blogs.mediapart.fr/marcuss/blog/010922/epistemologie-de-la-discrimination-raciste-215
Moraldo, D. (2013). « Camille Peugny, Le destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale », Conférences [En ligne], Critiques, Mis en ligne le 02 avril 2013, consulté le 10 août 2022. DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.11102
Steele, C. M. (1997). A threat in the air: How stereotypes shape intellectual identity and performance. American Psychologist, 52(6), 613–629. https://doi.org/10.1037/0003-066X.52.6.613