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Billet de blog 26 avril 2022

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L'évolution de l'extrême droite en France

Cet article présente deux éléments. Premièrement, je déconstruis l’idée reçue qui sous-tend que 42 % de la population française vote pour le RN, une « erreur » instrumentalisée par les élites fascisantes et LREM. Deuxièmement, je présente l’évolution statistique du vote nationaliste aux élections présidentielles en concluant sur une augmentation du nombre de voix de 140 % depuis 2002.

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Cet article traite de l'évolution statistique de l'extrême droite en France à partir des données des élections présidentielles. Tous les scores des élections successives, mais aussi la visibilité voire l’augmentation des activités de groupes fascistes, nous prouvent que nous vivons dans une société où le nationalisme le plus fort se banalise, devient respectable, voire possible. Cependant, si la montée de l’extrême droite – Rassemblement National au première ligne – est une réalité, il ne faut pas non plus tomber dans l’hystérisation à travers le taux de Marine le Pen, lequel est à 42 % pour le deuxième tour de l’élection présidentielle de 2022. Beaucoup trop font inconsciemment l’amalgame entre le taux de suffrages exprimés et l’ensemble des personnes inscrites sur les listes électorales, une erreur bien construite par les élites politiques fascisantes et LREM puisque ça lui permet de se constituer en « muraille » contre le nationalisme, mais également par le champ médiatique.

Dans un premier temps, je présenterai le calcul du taux de vote en France. Ce préambule est important pour éviter toute confusion dans la lecture des statistiques. Dans un deuxième temps, j’exposerai l’évolution des candidats et des candidates d’extrême droite depuis 2012, autrement dit depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la direction du Front National de l'époque. Je prendrai le temps de montrer en quoi le score de 42 % de Marine Le Pen est une construction sociale, par l’amalgame entre le taux de suffrages exprimés et l’ensemble des personnes inscrites sur les listes électorales, ce qui permet de relativiser un tant soit peu son score. Dans un troisième temps, je reviendrai rapidement sur les scores de l’extrême-droite au début du siècle. Contrairement aux idées reçues et malgré la victoire de Jean-Marie Le Pen pour le second tour, les résultats des candidatures fascisantes n’étaient pas exceptionnels. Sa victoire provient d’un fort taux d’abstention et d’une pluralité de candidatures. Pour finir, je présenterai l’évolution du vote nationaliste depuis 2002, qui, force est de constater, a évolué positivement de 140 % !

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1. La statistique de l'élection présidentielle

Dans un premier temps, il faut faire la distinction entre le nombre d’inscrits, le nombre de votants et le nombre de suffrages exprimés. C’est indispensable pour éviter toute erreur sur la statistique de l’élection présidentielle.

Le nombre d’inscrits est la quantité de personnes ayant le droit de voter en France. Le nombre de votants représente l’effectif qui s’est déplacé aux urnes – on retire donc les abstentionnistes. Pour finir, les suffrages exprimés définissent les votes pour tel ou tel candidat – on retire donc les votes blancs et nuls. Dans le système français, on calcule les scores des candidats et des candidates à partir des seuls suffrages exprimés. Je vais prendre l’exemple du premier tour de l’élection présidentielle de 2022. J’arrondis au million pour plus de facilité de lecture et de compréhension) :

  • Le nombre d’inscrits est de 48 millions de personnes.
  • Le nombre de votants est de 36 millions (l’abstention se situe donc à 12 millions).
  • Les suffrages exprimés se situent à 35 millions (nous avons un peu moins d’1 million de votes blancs et nuls).

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Comme nous l’avons vu plus haut, les scores des candidats et candidates sont calculés sur les seuls suffrages exprimés : Emmanuel Macron obtient 27,85 % des voix, Marine Le Pen recueille 23,15 % et Jean-Luc Mélenchon remporte 21,95 %. Cependant, beaucoup trop de personnes font l’amalgame entre la population française en droit de voter (48 millions) et les suffrages exprimés (35 millions), ce qui donne l’erreur suivante : 27,85 % des Français et françaises ont voté pour Macron. Or, si on prend l’exemple du vote Macron, c’est donc 27,85 % de voix sur les 35 millions de suffrages exprimés (on ne compte pas les 12 millions d’abstentionnistes et le million de vote blanc et nul). Ainsi donc, la non-prise en compte de l’abstention, du vote blanc et nul, fait mécaniquement augmenter les statistiques des candidats et candidates. Si on prend en compte ces données, Macron passe de 27,85 % à 20,07 %, Le Pen de 23,15 % à 16,69 %, et Mélenchon de 21,95 % à 15,82 %.

Dans cette même dynamique, on peut rapidement comprendre qu’une candidature qui n’évolue pas positivement en terme de voix peut tout de même augmenter en pourcentage en fonction du taux d’abstention, du vote blanc et nul. Par exemple, un candidat qui fait 5 000 000 de voix en 2017, obtenant 10 % des suffrages exprimés, peut en 2022 rester à 5 000 000 de voix mais obtenir 15 % grâce à un plus fort taux d’abstention. Autrement dit, le taux d’abstention, de vote blancs et nuls, parce qu’ils ne sont pas comptabilisés, sont des modulateurs des statistiques des suffrages exprimés pour les candidats et candidates. Autrement dit, la prise en compte de l’abstention, du vote blanc et nul, fait donc relativiser la légitimité des hommes et des femmes politiques.

Maintenant que les bases sont posées, je voudrais présenter la montée de l’extrême droite en France, notamment du Rassemblement National, en montrant la différence de perception entre le taux de suffrages exprimés, et le réel taux de personnes françaises qui votent pour ces partis.

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2. La montée des candidats de l’extrême droite

Dans un premier temps, regardons les chiffres habituels des élections présidentielles.

Illustration 1

Dans un second temps, voici les taux réels des candidats, c’est-à-dire en comptant l’abstention, le vote blanc et nul.

Illustration 2

Bien que les taux restent relativement hauts pour des partis fascisants, les chiffres s’effondrent lorsqu’on prend en compte les trois données Abstention-Blanc-Nul. En effet, si on les rassemble, le taux s’élève :

  • À 10 millions de personnes en 2012 (22 % de la population en droit de voter),
  • 11 millions au premier tour de 2017 (24 %) et 16 millions de personnes au second tour (34 %),
  • 13 millions au premier tour de 2022 (26 %), pour monter jusqu’à 16 millions au second tour (36 %).

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Autrement dit, la non-prise en compte de l’abstention, du vote blanc et nul fait gonfler la statistique de l’extrême droite en leur conférant une plus grande légitimité. Par ailleurs, il faut constater que si on considère juste l’abstention, c’est le premier « vote » des français depuis une vingtaine d’années ! Il est encore plus pertinent de regarder le nombre de « personnes physiques » qui ont voté pour les candidats nationalistes (tableau 3), puis le suivant (tableau 4) offre une synthèse de l’ensemble des candidats d’extrême droite.

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Illustration 3

Dans le tableau ci-dessus, on constate une évolution en continu de Marine le Pen, mais surtout de l’extrême droite en général. L’arrivée de Zemmour en 2022 n’a pas fait fondre le nombre de votants pour Le Pen qui a maintenu un certain électorat populaire, et qui a gagné 500 000 voix entre 2017 et 2022. En réalité, Zemmour a consumé l’effectif de Dupont-Aignan, il a également récupéré les extrémistes de la droite dure des Républicains, mais aussi les abstentionnistes fascisants déçus de la fébrilité de Marine Le Pen – il parait même qu’elle est de gauche selon eux -, qui représentent l’électorat des petits-bourgeois blancs masculinistes inquiets pour leur « race blanche » et leur bonne masculinité tant décriée par ces néo-féministes misandres en quête de vengeance, un portrait dont François Bégaudeau a parfaitement dressé dans son livre « Notre joie », mais que j’ai aussi réalisé dans mon dossier d’introduction au masculinisme.

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Illustration 4

Dans le tableau ci-dessus, j’ai synthétisé l’ensemble des votes de l’extrême droite depuis 2012. On constate que depuis l’arrivée de Marine le Pen en 2012 au Front National, le taux d’évolution de l’extrême-droite au premier tour entre 2012 et 2022 a augmenté de 60 % (+ 4,3 millions de personnes). Pour le second tour entre 2017 et 2022, le taux d’évolution est de 25 % (+ 3 millions de personnes). Pire encore, si on prend le taux de personnes, depuis 2012 jusqu’à 2022, susceptibles de voter pour l’extrême droite (indépendamment des deux tours donc), il a augmenté de 88 % (+ 6 millions de personnes).

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3. L'extrême droite au début du siècle

Dans cet écrit, j’ai pris comme point de départ l’arrivée de Marine le Pen à la direction du Front National (2012), puisque c’est la « figure de dédiabolisation » qui permet de comprendre le poids grandissant de l’extrême droite dans le paysage politique français. En effet, Marine Le Pen est la figure de l’extrême droite qui a permis au Front National, et à l’extrême droite, de se dédiaboliser, de paraître respectable, justifiable et possible. Cependant, il est également pertinent de prendre la date de 2002 qui restera une date importante dans l’histoire de la politique par la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour.

Si on prend en compte le taux de l’ensemble des voix, (donc avec l’abstention, le vote blanc et nul), pour l’année 2002 Jean-Marie Le Pen obtient au premier tour un score de 11,66 % (4 804 713 de voix) et Bruno Mégret, autre candidat nationaliste 1,62 % (667 026 de voix). Ensemble, les deux candidatures fascisantes obtiennent 13,28 % (5 471 739 de voix) au premier tour, et Jean-Marie Le Pen ne fera pas mieux au second. En 2007, les représentants de l’extrême-droite sont Jean-Marie Le Pen et Phillipe de Villiers. Au premier tour, le premier candidat obtient 8,62 % (3 834 530 des voix), et le deuxième 1,84 % (818 407 des voix). Toutes candidatures confondues, l’extrême droite obtient donc un score de 10,46 % (4 642 937 des voix), soit une diminution de 900 000 électeurs et électrices en comparaison de 2002.

En réalité, la puissance de l’extrême droite au début du siècle est à relativiser. La victoire au premier tour de Le Pen provient d’une part d’un très fort taux d’abstention (28 %, soit 11 millions de personnes), mais aussi du grand nombre de candidats et candidates (16 inscrits).

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4. L’évolution de l’extrême droite depuis 2002

Pour finir ce billet, je vais exposer l’évolution de l’extrême droite depuis le début du 21ème siècle. Pour rendre le tableau plus souple (tableau 5), j’ai rassemblé les taux des partis d’extrême droite pour les premiers tours (2007-2012), et j’ai privilégié les taux des deuxièmes tours lorsque qu'ils se sont qualifiés pour la finale (2002-2017-2022). Ainsi, nous pouvons constater l’évolution du taux de personnes susceptibles de voter pour l’extrême droite.

Illustration 5

Le constat est glacial, le taux d’évolution de personnes susceptibles de voter pour l’extrême droite a augmenté de 140 % (+ 7,7 millions de personnes) en l’espace de 20 ans. Nous sommes donc dans un constat paradoxal. Dans un premier temps, les médias et les élites politiques capitalistes et fascisantes nous font croire qu’au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2022, 42 % de la population française votent pour l’extrême droite, en faisant l’amalgame – volontaire ? – entre population totale en droit de voter (48 millions) et les suffrages exprimés (32 millions). Ainsi, ce n’est pas 42 % de la population qui votent RN au second tour (ce qui voudrait dire plus de 20 millions de personnes), mais 27 %, soit 13 millions de personnes. C’est un chiffre élevé pour un parti nationaliste, certes, mais c’est toujours 15 % de moins. Mais surtout, ça permet de contrer la propagande du clan fasciste qui va nous faire croire que près de la moitié des français et françaises se reconnait dans leur programme.

Néanmoins, si nous pouvons prendre un peu de distance et relativiser un tant soit peu, ce n’est pas pour longtemps. En effet, j’ai montré l’évolution grandissante de l’extrême-droite depuis l’arrivée de le Pen et son opération de dédiabolisation. En effet, en 20 ans le taux de personnes susceptibles de voter RN a augmenté de 140 % (7,7 millions de personnes). Ainsi, si le constat est que Marine Le Pen est encore loin de convaincre rien qu’un tiers de la population française, elle augmente en continu. Néanmoins depuis 10 ans, l’extrême droite ne perd jamais, en réalité elle gagne à chaque fois en se renforçant.

Pour finir, si son fameux score de 42 % en suffrages exprimé est un double drame, c’est parce qu’une candidature raciste peut gagner l’élection avec peu de voix, grâce à un fort taux d’abstention, de votes nuls et blancs, provoqué par un choix dichotomique terrible : le capitalisme mondialisé ou le capitalisme nationaliste. Je ne suis pas un adepte de la politique politicienne, étant moi-même un communiste révolutionnaire, je sais que le capitalisme ne serait pas dépassé par la loi électorale et le réformisme. Cependant, il serait temps qu’un mouvement de gauche – il est déjà dur de la trouver - se constitue pour défendre le droit des prolétaires et des minorités, au risque de voir une voie royale bien tracé pour Marine le Pen et l’ensemble de l’extrême droite fascisante.

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