Plan de l'écrit
- Introduction
1. Une évolution dans l'image du délinquant
2. Comprendre l’origine des carrières délinquantes
a. La délinquance, de l'ADN à l'environnement social et territorial
b. Trois types de situation délinquante
c. L'école et la famille, deux grands facteurs de carrières délinquantes
3. La bande et le territoire : une ressource et une revalorisation identitaire
a. La bande anesthésie la souffrance par une vitalité collective
b. Le territoire comme unité de la bande
c. La bande repose sur valeurs, règles et rapports de domination
d. Délinquant pour devenir quelqu’un
4. La délinquance des immigrés
5. En conclusion
- Introduction
 
Contrairement à l'idée reçue, la délinquance n'est pas un phénomène social homogène. Elle recouvre une multitude d'attitudes, de comportements, de dynamiques, qui traversent l’ensemble des classes sociales, mais son traitement pénal diffère selon les pratiques et les individus (col blanc, classes aisées et entreprises). Alors que les classes populaires subissent la majorité de la répression, les classes dominantes s’octroient un processus de décriminalisation et de dépénalisation de leur délinquance.
Pour ce billet, c’est une certaine forme de délinquance qui sera étudiée, la plus « populaire » : la délinquance des jeunes en bande, dans un aspect psycho-sociologique. Il n’y aura pas de moralité dans ce qui suivra ci-dessous, pas la moindre dénégation de l’expérience sensible des victimes. Ceci est important à préciser puisque c’est une critique récurrente qui traverse l’ensemble des plateaux de télévision, le champ politique, mais également le sens commun. L’aspect psycho-sociologique de la délinquance subi sans cesse la critique de l’excuse et du déni des victimes, les propos de Manuel Valls et Emmanuel Macron en sont deux exemples. Or expliquer n’est pas excuser l’acte. On ne naît pas délinquant, on le devient. Ainsi, il est important de comprendre les mécanismes sociaux, économiques, culturelles et psychologiques qui poussent une personne à choisir le chemin de la délinquance, afin d’infléchir autant que possible les trajectoires déviantes.
L'hypothèse de cet écrit s'inscrit dans la logique de l'école de Chicago : la bande, et l'activité délinquante au sein de celle-ci, est d'une part un espace de socialisation pour ses membres, et d'autre part un espace de re-valorisation et de construction identitaire.
1. Une évolution dans l'image du délinquant
Pendant les « 30 glorieuses », la délinquance n’est pas à l’ordre du jour politique. Contrairement aux forces militantes et révolutionnaires de gauche, elle n'est pas perçue comme un danger pour la société et pour sa cohésion, mais plutôt comme « une réponse aux tensions issues de la contradiction entre un idéal de réussite et les inégalités réelles qui empêchaient d'y parvenir[1] ». Les actes délinquants sont donc la traduction d'effets pathogènes de l'environnement social et affectif dans lequel la personne vit.[2] Or, un retournement s’est produit dans les années 80. Le chômage de masse s'installe et les jeunes sont particulièrement touchés par l’inactivité. Leur pauvreté double entre 1984 à 1994, et la multitude des dispositifs d'insertion ayant pour objectif de les insérer dans les rouages sociaux et professionnels de la société s'essouffle dans les années 90.[3]. Mais ce qui fait la différence pendant cette période est surtout une transformation de l’Etat calquée sur le modèle de la gouvernance d’entreprise. Un nouvel imaginaire politique qui trouve sa source dans le libéralisme le plus violent. Avec l’émergence de ce nouvel état néolibéral qui refuse la régulation du marché afin d’assurer l’objectif du plein-emploi, les individus deviennent les seuls responsables de leur situation et de leur place dans la stratification sociale.
Ce nouvel imaginaire se répercute sur l’image du délinquant. Sous l’ère néolibérale dans laquelle autonomie et responsabilité deviennent les maîtres mots, les délits sont désormais commis par un acteur rationnel et responsable.[4] Dans ce nouvel imaginaire que le sociologue Alain Ehrenberg nomme le « Culte de la performance », les politiques publiques de délinquance se modifient progressivement à partir des années 80 avec l'émergence du paradigme sécuritaire, faisant perdre peu à peu la valeur des réponses éducatives. Les agents politiques vont utiliser l'arme pénale pour maintenir leur autorité face au chômage, la pauvreté, et à la désillusion des jeunes prolétaires devant les promesses d'une société égalitaire et les inégalités réelles. Ce paradigme sécuritaire se caractérise par une inflation législative qui explose depuis 1981 en élargissant le champ de judiciarisation des actes, et par une augmentation massive de l'incarcération. Ces réformes répressives seront surtout dirigées vers les mineurs et l'immigration clandestine. Ceci est assez paradoxale puisque qu'au sein de la délinquance générale, les délinquances des jeunes et des immigrés sont rangées majoritairement dans les catégories d'infractions les moins graves.[5]
Le retour de la droite en 2002 produit une nouvelle répression contre la délinquance mais sans grande efficacité. Entre 2002 et 2010, le niveau de répression a augmenté de 75 % pour l'usage des stupéfiants, de 50 % pour la police des étrangers, ainsi qu’une augmentation de 72 % des gardes à vue entre 2001 et 2009[6]. L’augmentation croissante du budget de la police n’y changera rien. La réalité est que ce système de répression est avant tout une réponse symbolique des agents politiques pour affirmer leur légitimité au pouvoir.[7] Une loi est la meilleure image pour montrer que l’on s’intéresse à un problème écrivait Robert Linhart. Par ailleurs, les années 2000 marquent une véritable « frénésie sécuritaire » pour reprendre les propos de Laurent Mucchielli. L'ordre politique va mettre en place des politiques visibles pour la population. C'est pourquoi, le commerce industriel de la vidéo-surveillance a explosé depuis 20 ans[8], et encore plus sous l’ère sarkozyste. Entre 2008 et 2012, le Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance (FIPD) a utilisé 2/3 de ses fonds pour l'aide à l'installation des caméras au détriment de la prévention spécialisée. Par ailleurs entre 2007 et 2013, c'est 150 millions € recouvrant 80 à 90 % des communes en zone urbaine qui furent utilisés pour une efficacité très discutable. En effet, la vidéo-surveillance ne diminue pas la délinquance. Elle ne peut qu'aider la police après le délit, mais sans jamais l'éviter. D’autre part, elle produit un déplacement de la délinquance vers des zones plus reculées. Elle est efficace seulement dans les espaces clos comme les parkings sous-terrain.[9]
2. Comprendre l’origine des « carrières délinquantes »
a. La délinquance, de l'ADN à l'environnement social et territorial
Au 18ème et 19ème siècle, la criminologie règne sur la vision de la délinquance. Selon cette science, la criminalité provient tout droit d'une nature biologique, séparant ainsi le monde en deux : les bons et les mauvais par nature. Cette vision manichéenne est restée influente jusqu'en 1945, avant qu’en France la notion d'éducabilité entre en jeu avec l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Cependant, c’est aux USA avec la première école de Chicago (1910-1940) que la nature biologique de la criminalité sera radicalement remise en cause. En effet, l’école va mettre l'accent sur le rôle prédominant de l'environnement social et familial. Ainsi c'est un certain type de territoire qui favorise la délinquance et non un certain type d'individu.[10]
La deuxième école de Chicago (1940-1970) va développer cette idée qui encore aujourd'hui, se relève être un horizon indépassable de la sociologie. Edwin H. Sutherland démontrera que la délinquance est un phénomène social. Elle est l'apprentissage d'un métier, au contact d'autres délinquants, recouvrant des comportements, des attitudes, des valeurs et des techniques, donc un mode de vie général. Selon lui, la famille est un premier milieu potentiel de délinquance, la périphérie du centre-ville est le deuxième.[11] Ainsi, l'environnement familial et le territoire dans lequel l’individu s'inscrit seraient deux facteurs importants menant aux processus des carrières délinquantes. On démontrera plus tard que l’échec scolaire favorise au même niveau ces carrières déviantes.
b. Trois formes de délinquance
Le sociologue Laurent Mucchielli indique qu’il y a 3 grandes situations délinquantes : l’initiatique, la pathologique, et l’exclusion. Ces 3 formes peuvent se succéder et parfois même se cumuler (notamment la pathologique et l’exclusion). Le tableau délinquant est donc multiple et varié.
La première forme de délinquance est initiatique. Les personnes commettent des actes interdits sans avoir connu de traumatismes psychologiques ou des ruptures dans leur processus de socialisation primaire (enfance et adolescence.) Les actions entreprises sont peu graves et sont perçues comme une expérimentation personnelle à la marge de la société, par l’influence d’un petit groupe ou pour tester l’autorité des adultes (vols dans les magasins, bagarre, fraude dans les transports, insultes envers l’enseignant…). La délinquance initiatique se révèle être un accident de parcours. La judiciarisation de l’acte est rare, tout au plus l’adolescent subira une sanction éducative qui fera cessait les comportements incivils. Par ailleurs, c’est dans cette catégorie que les jeunes filles sont les plus présentes.[12]
Une deuxième forme de délinquance est pathologique. Ces jeunes sont en grande difficulté psychologique et leur trajectoire de vie est fait de ruptures et de traumatismes dans la socialisation familiale (décès, abandon, maltraitance en tant que victime ou témoin de violence), avec souvent des carences éducatives liées aux difficultés des parents (maladie, dépression, addictions…). La famille est très souvent connue des services sociaux et vit dans la précarité. Cette forme de délinquance est caractérisée surtout par des garçons commettant des actes de violences physiques et sexuelles. [13]
La troisième forme de délinquance est celle qui amène l’individu à l’exclusion du monde « normal ». Le monde se sépare en deux : il y a « eux » et « moi (nous) ». Dans cette forme de délinquance, les individus sont des populations précaires issues de quartiers souvent prioritaires de la politique de la ville. C’est l’exclusion socio-économique et l’expérience de l’école qui va favoriser une culture de la rue, et une entrée dans la carrière délinquante[14]. La délinquance d’ « exclusion » est celle qui va entraîner une inscription dans la bande, comme tentative de construire un nouveau monde en face de celui dont on a le sentiment d’être exclu.
c. L'école et la famille, deux grands facteurs de carrières délinquantes
Les carrières délinquantes au sein des bandes se construisent au regard de deux expériences : les difficultés familiales et les difficultés scolaires, dont celles-ci œuvrent très souvent à la périphérie de la ville au sein d'habitat social.
La première grande violence surgit au sein de la famille. La précarité économique, le chômage, la dépendance envers les services sociaux, font passer les familles de l'injustice à l'humiliation sociale et à la violence symbolique. Il y a également des violences intrafamiliales qui peuvent exister (maltraitances, traumas...), et dont celles-ci peuvent être augmentées par la précarité économique et la disqualification sociale. La deuxième grande violence se déroule à l'école. L'échec du jeune dans la concurrence scolaire représentée par le classement des notes lui fait vivre une deuxième humiliation sociale et symbolique.[15]
Pour certains jeunes, ces deux expériences vont les faire plonger dans la déviance et dans une culture de la rue pour tenter de se revaloriser. En effet, la délinquance serait avant tout un « processus psychosocial qui passe par la rationalisation de l'opposition à un modèle jugé inaccessible et qui vise une revalorisation identitaire du sujet[16] ». On deviendrait délinquant pour éviter de baisser la tête, pour sortir de la honte en tentant de s'affirmer dans un contre-modèle. La délinquance serait donc une activité sociale, supposant un apprentissage de savoir et un nouveau réseau de sociabilité.[17] Le psycho-sociologue Charles Rojzman explique qu’il y a quatre besoins fondamentaux pour vivre et s’estimer : la valorisation, la reconnaissance, la sécurité et l’amour. Le délinquant, confronté à des expériences de socialisation qui ne lui permet pas de se construire positivement et de trouver sa place dans la société (la famille et l’école), peut réussir à trouver ces besoins indispensables dans la déviance délinquante. Nous le verrons ci-dessous : le groupe de pairs déviant, par son activité délinquante apporte valorisation et reconnaissance mutuel aux individus le constituant. Tout comme le besoin de sécurité qui s’opère dans la bande. On défend les membres de la bande et notre territoire face aux autres, et à toute intrusion venant de l’extérieur. Dans les besoins fondamentaux, l’amour n’y est pas présent. La bande est également régie par des rapports de domination où les valeurs de virilité sont dominantes. L’amour est marque de faiblesse, et c’est pourtant ce sentiment qui est déterminant dans la construction personnelle d’un individu.[18]
3. La bande et le territoire : une ressource et une revalorisation identitaire
a. La bande anesthésie la souffrance par une vitalité collective
Contre l’angélisme, il faut partir du principe que même si un individu vit dans un environnement social délétère, s'engager dans une bande et ses activités délinquantes reste un choix. Ce choix ne repose pas seulement sur la fuite d'un monde qui ne lui correspond pas, mais sur la volonté d'en créer un qui apporte satisfaction. Dans ce nouveau monde, la bande devient un remède, un médicament contre la souffrance individuelle par une certaine vitalité collective[19]. Ses membres deviennent une famille par défaut, et pour rester en son sein, il faut suivre les autres dans les activités délinquantes pour ne pas se sentir une nouvelle fois rejeté.[20] Il n’y a donc pas de désocialisation chez les personnes délinquantes puisque celle-ci mène plutôt à l'inertie et à la dévitalisation. La bande est justement une alternative à la socialisation « normale », soit une nouvelle forme de socialisation où la puissance et vitalité collective vont caractériser le groupe. Yazid Kherfi témoigne parfaitement de ce sentiment lorsqu'il écrit que lorsqu’il était dans la bande, il éprouvait la nuit, un « sentiment de toute puissance (...), d'être maître de la ville ».[21] L’activité délinquante tout comme la violence, au contraire, est le signe de la puissance et de la vie et non de l’inertie.[22]
b. Le territoire comme unité de la bande
La dimension territoriale, le quartier, est le cœur du processus de construction des bandes : « la bande n’existe pas en dehors du territoire auquel ses membres s’identifient, prolongeant un quartier valorisant et valorisé »[23]. Ce sentiment d'appartenance des jeunes à leur territoire est souvent rappelé et valorisé. Les affrontements entre les jeunes de différents quartiers témoignent de cet attachement à l'égard de leur espace territorial qu'ils sont prêts à défendre pour préserver la réputation et l'intégrité du quartier, donc de la bande, donc de soi[24]. La bande valorise le quartier et le quartier valorise l’individu en retour. Parazelli explique bien que l'espace de la rue est un point de repère central dans la construction identitaire des jeunes : « Lorsque le lien social se fragilise, l’appropriation de l’espace devient un point d’appui élémentaire de la réalisation de soi »[25].
c. La bande repose sur valeurs, règles et rapports de domination
Les valeurs liées à la masculinité hégémonique sont dominantes. En effet, les valeurs d'honneur, de force, de virilité, de courage et de réputation sont particulièrement valorisées.[26] L’incorporation de ces valeurs à la culture de rue va mettre en place dans certains territoires une invisibilisation marquée d’une catégorie de personnes : les jeunes femmes. C’est l’une des raisons de l’absence des femmes dans les quartiers, la rue est avant tout le territoire des hommes.
La bande n'est pas une organisation anomique. Outre les valeurs de virilité, elle repose sur des règles et des codes singuliers selon les bandes. Par exemple lorsque le trafic structure la bande, il y a une division du travail, des rôles spécifiques, un marché, des clients… C’est une réelle organisation du travail basé sur le trafic. Aussi il faut rendre compte de la socialisation particulière qui structure ces bandes. Cette socialisation a recours à la loi du plus fort. Même s'il n'y a pas vraiment de ‘’hiérarchie’’ avec un chef proclamé, il y a tout de même la présence de leaders qui s'affirment par l'intermédiaire de pression ou de mises à l'épreuve[27]. C’est dans ce sens que T. Sauvadet parle d’une gestion collective des rapports de domination : « La loi du plus fort reste déterminante dans l’attribution de ces places et se manifeste par des pressions d’ordre physiques, des intimidations et l’affirmation d’une réputation qui permettra de maintenir sa « face » dans le jeu des interactions de la bande et du quartier[28] ». Par exemple, l'école va permettre la construction d'un statut valorisant et valorisé. En effet, l'école est le lieu pour mettre en spectacle des comportements déviants et conflictuels envers l'institution scolaire, envers les adultes et la société, permettant d'une part de ne pas perdre ''la face'' dans la bande, et d’autre part de construire et de développer son « statut dans la hiérarchie de domination liée à la loi du plus fort[29] ».
Au sein de cet univers qui a recours à la loi du plus fort, la bande est aussi une source de protection contre autrui. Si un des membres est attaqué, tout le monde va intervenir pour le défendre. Ces liens permettent à chacun d'affirmer son attachement et son appartenance à la bande. La bande recouvre donc en son sein un paradoxe : la loi du plus fort et la solidarité agonistique.
d. Délinquant pour devenir quelqu’un
Dans son livre « Repris de Justesse », Yazid Kherfi écrit que la délinquance devient valorisante quand il n’y a plus d’autres valorisations. La justesse de ce propos est étonnante. La délinquance demande effectivement des aptitudes et des qualités, ce qui permettra à un membre de se démarquer des autres et de monter en notoriété dans la bande. Ainsi les aptitudes et les compétences telles que la fiabilité, la force physique, la discrétion, l'éloquence, la ponctualité, le courage, la réflexion, la patience sont particulièrement estimées et valorisées.[30] On pourrait donc conclure que l'inscription de l'individu dans une bande dont l’activité délinquante ne concerne qu’une partie de son activité, est d'une part un processus de socialisation et d'autre part un processus de re-valorisation identitaire. Dans la déviance, l'individu recherche la construction d'un monde qui fait sens pour lui et dans lequel il pourra devenir quelqu'un d’estimé. L’affirmation du stigmate peut paradoxalement devenir une (fausse) ressource pour le délinquant. En effet, il retournera le processus de stigmatisation qu'il subira de la part de la société en brandissant le drapeau de son stigmate dans sa construction identitaire. F. Dubet l’explique très bien : « lorsqu’un groupe est stigmatisé, une des manières d’échapper à l’étiquetage consiste à revendiquer pour soi le stigmate négatif, à l’exacerber afin de le retourner contre ceux qui stigmatisent[31]. ».
Par ailleurs, l'existence des bandes ne serait-elle pas l'un des aspects du culte de l’apparence contemporain au sein duquel l'activité délinquante serait l'expression du désir d'être acteur de sa propre vie comme l'exige la société ? C’est ce que conclut Alain Ehrenberg dans ses recherches sur les hooligans. Le sociologue pense justement que la violence hooligan est un désir de l'individu de sortir de l’anonymat et de l'indifférenciation des masses[32] : « Dans une société où l'image, le spectacle, l’apparence dessinent les nouveaux repères de la vie (…) la violence constitue une spectacularisation efficace de la conduite, un supplément d'identité sociale pour ceux qui ne pensent pas pouvoir la trouver ailleurs et autrement. »[33].
4. La délinquance des immigrés
Avant de conclure, une petite précision est nécessaire sur la délinquance des immigrés puisque régulièrement, le facteur ethnique est mis sur le devant de la scène médiatico-politique pour expliquer les phénomènes de délinquance. Ainsi, on revient au 19ème siècle avec la nature biologique de la criminalité inscrite dès la naissance dans l'individu. Le délinquant serait avant tout de telle nationalité avant d’être pauvre, prolétaire, chômeur… Or, la sociologie de la délinquance nous ramène à la conclusion suivante : les causes de la délinquance des étrangers ne sont pas différentes de celles des français. Ainsi, on s'aperçoit que sous le facteur ethnique se dissimule trois réalités : le lieu de résidence (le quartier), le résultat scolaire (l’échec) et la taille des fratries (familles nombreuses). Ainsi, c'est bien l'environnement social, économique et familial qui favorise les dynamiques délinquantes.[34] Par ailleurs pour les jeunes issues de l'immigration, ils subissent trois fragilités que sont la précarité économique et la disqualification sociale ; le déclin du mouvement ouvrier et des organisations de gauches ; et la violence du racisme pouvant favoriser les conduites délinquantes.[35]
En conclusion
La délinquance en bande recouvre un tableau divers et varié dont il faut comprendre les spécificités et les mécanismes qui permet son existence. Devant la compréhension des divers processus de déviance, il semble inefficace de penser que le paradigme répressif et sécuritaire fonctionnerait. Il fait plutôt l’impasse sur les dimensions sociales, économiques, culturelles, éducatives et symboliques qui ne permet pas de réaliser des politiques de prévention nécessaire afin de diminuer la pratique délinquante. La justice a un rôle indispensable à jouer, tout comme les travailleurs sociaux, l’école, les politiques publiques d’emploi etc. Tout ceci sera exprimé dans un prochain billet qui questionnera la sortie de la délinquance, et les mesures sociales pour infléchir les dynamiques de déviances de ces jeunes vivant à la marge et dans la transgression des normes de la société.
[1] Dubet F, Les places et les chances. Repenser la justice sociale, Paris, Seuil, 2010, p97
[2] Véronique Le Goaziou, Éduquer dans la rue, Presses ESP, 2015, 126 Pages
[3] Catherine Tourillhes, Innovation et rupture avec les jeunes en difficultés
[4] Véronique Le Goaziou, Éduquer dans la rue, Presses ESP, 2015, 126 Pages, p33
[5] Laurent Mucchielli, L'invention de la violence, Fayard, 2011, 344 pages, p51
[6] Ibid, p294-295
[7] Laurent Mucchielli, Sociologie de la délinquance, Armand Colin, 2018, 224 pages, p54
[8] Ibid, p176
[9] Ibid, p178
[10] Ibid, p28
[11] Laurent Mucchielli, L'invention de la violence, Fayard, 2011, 344 pages, p33
[12] Laurent Mucchielli, Sociologie de la délinquance, Armand Colin, 2018, 224 pages p81
[13] Ibid, p79
[14] Ibid, p82
[15] Ibid, p61
[16] Ibid, p64
[17] Ibid, p67
[18] Yazid Kherfi, Guerrier non violent, La découverte, 2017, 160 pages, p66
[19] Yazid Kherfi, Repris de justesse, La découverte, 2003, 196 pages
[20] Yazid Kherfi, Guerrier non violent, La découverte, 2017, 160 pages, p30
[21] Ibid, p30
[22] Yazid Kherfi, Repris de justesse, La découverte, 2003, 196 pages
[23] Les bandes de « jeunes » : exclusivité adolescente ou groupes intergénérationnels ? 2006, p. 3.
[24] Les bandes de « jeunes », exclusivité adolescente ou groupe intergénérationnels ? Colloque « Adolescence : entre défiance et confiance », 2006, Roubaix
[25] Michel Parazelli, La rue attractive. Parcours et pratiques identitaires de jeunes de la rue. 2002, p.47
[26] Les bandes de « jeunes », exclusivité adolescente ou groupe intergénérationnels ? Colloque « Adolescence : entre défiance et confiance », 2006, Roubaix
[27] Ibid
[28] B. Moignard, Les bandes de « jeunes » : exclusivité adolescente ou groupes intergénérationnels, 2006, p. 5.
[29] Les bandes de « jeunes », exclusivité adolescente ou groupe intergénérationnels ? Colloque « Adolescence : entre défiance et confiance », 2006, Roubaix
[30] Yazid Kherfi, Repris de justesse, La découverte, 2003, 196 pages
[31] F. Dubet. A propos de la violence et des jeunes, Cultures & Conflits 1992/2 (n° 6)
[32] Alain Ehrenberg, Le culte de la performance, Hachette Pluriel Reference, 2011, 336 pages, p51
[33] Ibid, p63
[34] Laurent Mucchielli, L'invention de la violence, Fayard, 2011, 344 pages, p 90
[35] Ibid, p 93-97