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Billet de blog 10 mai 2016

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Qu'est-ce qu'enseigner de manière républicaine ? n° 1

Comment irriguer ses pratiques par des principes ? La question - Qu'est-ce qu'enseigner de manière républicaine ? - a été posée lors du "Grand débat sur les valeurs de la République" (3 mai 2016), où les propos d'Antoine Prost ont suscité une critique sur le club, en particulier dans le billet d'Amélie Hart-Hutasse, co-signé par Christophe Cailleaux.

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Vous trouverez ce billet  ici.

 La question a été reprise dans le fil des commentaires, ce qui m'a donné envie de répondre : je précise immédiatement que ma réponse contient ce qui a guidé ma réflexion et ma pratique depuis des années, ce n'est ni une vérité, ni un modèle ; c'est plutôt l'outil "politique" que j'ai forgé pour pouvoir travailler et satisfaire à deux besoins : ma soif de liberté et la nécessité de rester dans la légalité.

 Je ne dirai rien des propos d'Antoine Prost (je l'ai fait dans le fil des commentaires) mais je tenterai simplement de répondre à la question posée lors du débat en question.

 Je dois dire d'abord que cette question, je me la suis posée très vite, dès le début de ma carrière, et mon professeur de philosophie de terminale n' y fut pas pour rien : les questions sont plus fécondes que les réponses – puisque pour questionner, il faut d'abord avoir considéré les réponses précédentes – L'autre socle, ce fut à la fois ma politisation rapide dès l'adolescence, et par ailleurs, l'exemple maternel (fille d'immigrés italiens, sortie de son sort de prolétaire grâce l'école républicaine, et plus particulièrement par la minorité de « hussards noirs » qui l'ont aidée en la reconnaissant) : cet exemple, je n'en ai saisi la portée qu'au fil du temps…

A ce qui précède, est venue s'agréger très vite une source de réflexion très féconde et politique : l'héritage historique des pédagogies actives (Freinet, Montessori, Deligny etc.), en particulier celui de la Pédagogie Institutionnelle (Fernand Oury) qui se développe après la guerre. Pour dire vite, après la Libération, les rencontres entre novateurs de la pédagogie et de la psychiatrie se multiplient et toute une réflexion se développe sur les moyens de briser l'école-caserne et l'hôpital psychiatrique-prison (deux pays très actifs dans ce domaine : la France, l'Italie // et trois domaines mis en écho : approche politique, psychanalytique, pédagogique). Je ne développerai pas les diverses secousses de ce mouvement, mais ce qui, dans son corpus de théorie et d'expériences, m'a aidée à forger une conception de la fonction-enseignante. Je rajoute que cette source me fut rendue accessible parce que j'ai commencé ma carrière par une formation d'institutrice en Ecole Normale avant de poursuivre mes études en travaillant : ce sont les écoles primaires (campagnes et zones urbaines difficiles) qui furent le terreau de ces expériences aussi politiques que pédagogiques, et non pas les lycées, irrigués par une culture beaucoup plus bourgeoise. Par chance, certaines Ecoles Normales furent de véritables lieux de formation à ces approches aussi subversives que réflexives (grâce à une forte autonomie de formation)… Avec les IUFM et les années 80 (entendez ici leurs caractéristique politiques – c'était le démarrage de TINA, There Is No Alternative – ), cette source s'est peu à peu perdue dans les sables.

 Je reprends donc la question : Qu'est-ce qu'enseigner de manière républicaine ? Et je vais répondre très simplement ainsi : c'est enseigner et se positionner dans l'institution sans jamais oublier la devise – Liberté, Egalité, Fraternité – c'est à dire en se demandant comment sa pratique professionnelle va incarner ces trois « valeurs », comment chaque décision, chaque action peuvent faire vivreces idées. Chaque terme a l'intérêt de pouvoir se prendre dans sa dimension individuelle (qu'en est-il pour le sujet lui même?) et sa dimension collective (qu'en est-il dans mon groupe, mon école, mon institution …?) : ici se combinent donc la question de la responsabilité de chaque sujet dans l'expérience singulière (sujet pensant, rationnel mais pas que …) et celle de l'analyse politique de l'institution (de la classe à l'énorme institution) où l'on travaille.

 Je ne vais pas faire un récit complet bien trop long, mais à partir de chaque terme de la devise, je vais expliquer comment je m'en suis saisi, donner quelques exemples et souligner leur implication politique (politique : entendu comme l'art de faire cité, groupe, société).

 Il me faut d'abord présenter la Pédagogie Insitutionnelle (P I) et son « esprit », je vais être brève et n'exposer que ses principes.

 Son inventeur, c'est Fernand Oury, frère du psychiatre Jean Oury – 1920 1998 – (et son incroyable expérience de psychiatrie alternative de La clinique de La Borde).

 Ce n’est pas par hasard que Fernand Oury écrit déjà, en 1967 : " Où allons-nous ? Vers une pédagogie qui met en cause l’Institution.  L’Institution, avec un grand I. L’Institution figée, bloquée, parce que le paradoxe est là : mettre en cause l’Institution c’est refaire de l’Institution, c’est restaurer l'Institution, c’est faire de l’Institutionnel."

  " La Pédagogie Institutionnelle est un ensemble de techniques, d’organisations, de méthodes de travail, d’institutions internes, nées de la praxis de classes actives (voir Freinet). Elle place enfant et adultes dans des situations nouvelles et variées qui requièrent de chacun engagement personnel, initiative, action, continuité. Ces situations souvent anxiogènes (...) débouchent naturellement sur des conflits (...). De là cette nécessité d’utiliser, outre des outils matériels et des techniques pédagogiques, des outils conceptuels et des institutions sociales internes capables de résoudre ces conflits par la facilitation permanente des échanges matériels, affectifs et verbaux. » (OURY F. et VASQUEZ A., Vers une pédagogie institutionnelle)

 La Pédagogie Institutionnelle tend à « remplacer l’action permanente et l’intervention du maître par un système d’activités, de médiations diverses, d’institutions, qui assurent d’une façon continue l’obligation et la réciprocité des échanges, dans et hors du groupe. » (OURY F. et VASQUEZ A., De la Classe Coopérative à la Pédagogie Institutionnelle).

 Ce qu'on appelle « le trépied » de la P I :

 • sa dimension matérialiste : le matériel, les techniques - qui commandent les types d’organisation - déterminent les activités, les situations, les relations.

  • … sociologique (et politique, au sens large) : la classe, groupe et ensemble de groupes, fait partie d’autres ensembles (comme l'école où l'on est, l'institution) qui la déterminent en partie.

  • … psychanalytique : reconnu ou nié, l’inconscient est dans la classe et parle... Mieux vaut l’entendre que le subir.

  Il ne s'agit pas de penser que la P I, c'est tout (une école entière, toute l'institution, même si c'est un objectif) ou rien (et découragé, chacun rentre chez soi) ; comme pour la pédagogie Freinet, ses principes sont féconds : s'en saisir, c'est se donner une chance de voir les choses autrement et de passer de la passivité à l'activité (et son potentiel inoui d'inventitivité).

 Dans le billet suivant, je donne des exemples de cette irrigation de la pratique par des principes.

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