Comme tous les dirigeants d’un régime autoritaire, l’Homme Fort (*) abhorrait ces campagnes électorales où il fallait feindre d’être à l’écoute de la plèbe et prétendre prendre en compte les besoins des gueux. Mais puisque cela était important pour son image à l’étranger – la seule chose qui le préoccupât réellement -, il s’y plia de mauvaise grâce.
Un satrape qu’il avait reçu avec faste dans le plus grandiose palais du Macronistan lui rendit un fier service en déclenchant une guerre deux mois avant l’élection. Les courtisans expliquèrent aux folliculaires de la Cour que la gravité de la situation internationale ne lui laissait pas le loisir d’aller battre les estrades pour convaincre ses sujets de lui renouveler leur confiance. Quant à débattre avec les autres candidats, c’était évidemment hors de question. Lui discutait avec ses pairs, les Grands de ce monde, et il n’allait tout de même pas se mettre au niveau de médiocres politiciens. La photographe officielle de l’Homme Fort fit des merveilles pour alimenter les gazettes de la Cour : on le vit le visage grave, avec les traits tirés et une barbe de trois jours, vêtu d’un sweat à capuche. Il fallait qu’on sût dans toutes les chaumières qu’il travaillait jour et nuit à sauver la paix dans le monde.
Il gagna assez facilement l’élection. Les médias appartenant aux oligarques proches de l’Homme Fort avaient assuré pendant cinq ans la promotion d’une candidate dont ils vantaient les mérites afin qu’elle fût de nouveau sa principale adversaire. Elle avait hérité un parti politique de son père, un riant humaniste ayant pratiqué la torture dans une ancienne colonie du Macronistan. Une fois assurée sa présence au second tour, les mêmes médias dirent pis que pendre de celle qu’ils encensaient depuis cinq ans. L’Homme Fort fut réélu sans que quiconque sût quel était son programme, si ce n’est qu'au chapitre de la justice sociale, les pauvres devraient travailler plus longtemps afin que les riches paient toujours moins d'impôts.
La suite, les élections à la Chambre d’Enregistrement, ne devait être qu’une formalité. Pendant cinq ans, des députés dociles avaient fait ce que l’Homme Fort attendait d’eux et ce pour quoi il les avait choisis : lui obéir. Il en irait donc de même pour les cinq années à venir. Il prit son temps pour nommer au poste de Première ministre une femme à qui de méchants courtisans attribuaient « un charisme de gastéropode ». Puis il tarda à nommer les ministres, de mauvaises langues prétendant qu’il essuyait beaucoup de refus. Tous les ministres sortants ayant maille à partir avec la justice furent reconduits et un transfuge d’un parti d’opposition accusé de viol fit son entrée au gouvernement afin que le ministre de la police ne fût plus seul dans ce cas. Au Macronistan, on ne transige pas avec les valeurs actuelles du régime.

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Et puis, ce fut la catastrophe : le parti de l’Homme Fort n’obtint pas la majorité des sièges, pas même avec l'appui de quelques partis croupions destinés à donner l’illusion d’une pluralité d’idées dans un régime où les seules idées qui comptent sont celles du Génie de la Somme (*). Plusieurs des courtisans les plus en vue de la Cour furent battus. La Chambre d’Enregistrement allait redevenir une Assemblée Nationale ! Quelle horreur ! Aussitôt, les medias des oligarques morigénèrent cette plèbe ignorante qui avait rendu le pays « ingouvernable ». Cette fois, le peuple avait perdu la confiance du régime et il allait devoir travailler dur pour la regagner.
L’Homme Fort consulta. A certains de ses adversaires, il fit des clins d’œil, de l’œil droit uniquement car il avait perdu la vue de son œil gauche il y a bien longtemps. Il tenta d’en attirer quelques-uns en leur promettant un maroquin. Ses courtisans répétèrent en boucle que la priorité était de « faire avancer le pays ». Vers quoi, personne ne le savait mais on devait lui faire confiance. Rien n’y fit. Il dut se résoudre à conserver sa Première ministre charismatique et à replâtrer son gouvernement. Le ministre accusé de viol fut débarqué un mois après avoir été nommé. Pour faire bonne mesure, quelques homophobes entrèrent au gouvernement. Les valeurs, toujours les valeurs ! Le ministre de la police, lui aussi accusé de viol, conserva son poste et se vit confier en plus la responsabilité des colonies que le Macronistan conserve dans diverses parties du globe. Les indigènes qui les peuplent se montrant parfois indociles, il était prudent de les placer sous la tutelle d’un homme à poigne dont la main ne tremblerait pas s’il fallait mâter quelque rébellion.
Les amateurs de « plans à trois » furent rassurés de voir leur égérie réintégrer le gouvernement alors qu’elle en avait été évincée quelques semaines plus tôt. Des ministres furent nommés à des postes pour lesquels ils n’avaient strictement aucune compétence mais cela était sans importance : tout le Macronistan sait que tout se décide au Château et que les ministres ne sont que des ventriloques. L'Homme Fort avait beaucoup inquiété la Cour quand il s'était mis à parler de « planification écologique » entre les deux tours de l'élection présidentielle, dans un soudain accès de verdissement. Fort heureusement, ce n'était qu'un leurre destiné à appâter quelques gogos qui confondent l'écologie et le jardinage. De planification écologique, il n'en restait plus rien, même à l'état de traces.
Le Génie de la Somme feint d’ignorer qu’il avait subi un camouflet. Or il fallait à tout prix faire voter par cette fichue Assemblée les lois qu’il avait promises à ses amis oligarques. Les médias de ces derniers se remirent à louer l’adversaire préférée de l’Homme Fort. Et à vilipender les « rouges », ces ennemis du régime qui veulent que les riches paient leur juste part d’impôts et que les pauvres puissent prendre leur retraite avant de mourir. Les députés élus sous la bannière d’un parti dont les idées fleurent bon le racisme, le négationnisme et la nostalgie des guerres coloniales, se virent soudainement courtisés par les affidés d'un régime qui prétendait leur « faire barrage » il y a quelques semaines.
Voilà plusieurs mois qu’aucune loi antisociale, ou restreignant un peu plus les libertés publiques ou stigmatisant immigrés et musulmans n’avait été promulguée par l’Homme Fort : il devenait urgent de faire à nouveau « avancer le pays ».
En attendant de dissoudre le peuple ?
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(*) La Somme est un département du Nord du Macronistan qui est la terre d’origine de l’Homme Fort. Éblouis par le génie de leur Maître, ses affidés le surnomment affectueusement le « Génie de la Somme ».
Nous avions déjà publié plusieurs billets sur le Macronistan : voir ici la chronique précédente.
Mes remerciements à Fred Sochard à qui j'ai emprunté le dessin.