La Trousse à projets est un groupement d’intérêt public (GIP) créé par un arrêté du ministère de l’Éducation Nationale du 2 mai 2017. C’est une plateforme de financement participatif qui est dédiée aux projets éducatifs et pédagogiques de la maternelle au lycée, un KissKissBankBank de l’Éducation Nationale en quelque sorte. Selon l’arrêté, l’objet du groupement est de favoriser :
- l’accompagnement des porteurs de projets et l’échange d’expériences entre eux ;
- la collecte participative de fonds ;
- la mise en place de mécanismes de redistribution en faveur des élèves issus de catégories socio-professionnelles défavorisées.
La Trousse à projets est présidée depuis sa création par Jérôme Saltet, co-fondateur et co-gérant de Play Bac. Cette société est à l’origine du jeu éducatif Les Incollables (l'un des plus vendus au monde avec près de 50 millions d'exemplaires) et des journaux quotidiens pour enfants et adolescents (Mon quotidien, Le Petit Quotidien). Un chef d’entreprise pour présider un Groupement d’intérêt public, c’est dans l’air du temps. Qui plus est, ce monsieur mentionne une seule personne dans les « top voices » de son profil LinkedIn : Emmanuel Macron. Il a donc toutes les qualités requises.
Selon le rapport d’activité 2023 de la Trousse à projets, 1024 projets ont été financés par 1,37M€ de fonds collectés auprès de 21 925 donateurs. A titre de comparaison, l’État a attribué 140M€ en 2023 au Service National Universel (que de fort mauvaises langues ont qualifié de version macroniste des Chantiers de la Jeunesse). Ce budget aurait donc permis à l’État de financer non pas 1024 mais 100 000 projets pédagogiques d’un montant équivalent à ceux qui passent par la Trousse à projets. Mais le lever des couleurs et la marche au pas, ce sont des compétences essentielles dans la France de M. Macron.
Certes les montants collectés sont pour l’instant très faibles. Notons toutefois qu’ils ont doublé en 2023 par rapport à 2022 et vont probablement encore doubler en 2024. Les coupes dans les budgets de l’État et des collectivités locales ne feront qu’accentuer le recours à ce type de financement qui est donc amené à prendre de l’ampleur dans les années à venir. Ainsi, dans le descriptif d'un projet pédagogique dans une école primaire, il est indiqué que la demande de subvention à l’Éducation nationale a été refusée. Pour un autre projet, le financement participatif viendra compléter une subvention insuffisante de l’Éducation Nationale et de la mairie. Il s’agit donc bien de pallier au désengagement de l’État qui a choisi de déverser des dizaines de milliards d’aide aux entreprises, lesquelles finissent en grande partie dans les poches des actionnaires au détriment des services publics.
Le rapport d’activité se félicite que les élèves ont été, dans une très grande majorité, engagés dans les campagnes de collecte. En effet, impliquer les enfants dès l’école primaire dans la collecte de fonds pour financer des projets, comment ne pas s’en réjouir dans la « start-up nation » ? Plus grands, « ceux qui réussissent » auront déjà les bons réflexes pour financer leur start-up.
Selon ses promoteurs, la plateforme est censée aider les écoles « pauvres » à boucler leur budget pédagogique. Il est permis d’en douter. Prenons le cas d'un élève d’un établissement scolaire dans le département le plus pauvre de France, la Seine-Saint-Denis. Les pouvoirs publics lui consacrent en moyenne 6 263 euros par an soit 30% de moins que la moyenne nationale (8 860€). Cet établissement a de grandes chances d’être situé dans une commune pauvre, disposant de peu de budget pour financer des projets pédagogiques. Et les parents des élèves qui y sont scolarisés n’ont pour beaucoup d’entre eux pas les moyens de faire des dons. Et ceci d'autant moins que ces dons ne donneraient pas lieu à une réduction d’impôt car ces parents font probablement partie des 50% de ménages qui ne paient pas d’impôt sur le revenu. Cet élève cumule donc tous les handicaps.
A l’inverse, un élève issu d’une famille disposant de revenus élevés, résidant dans une commune riche et ayant bénéficié des baisses d’impôt décidées par M. Macron va cumuler les avantages : plus de budget par élève, plus de financement de la commune de résidence pour l’établissement et les parents n’auront aucune difficulté à y ajouter des dons pour les projets proposés par les enseignants, lesquels dons seront défiscalisés à hauteur de 66%.
Autant dire que ce n’est pas la Trousse à projets qui va corriger un tant soit peu les inégalités du système éducatif, elle va au contraire contribuer à les accentuer. Pas du tout rétorqueront ses promoteurs puisqu’il y a un mécanisme de redistribution des fonds collectés pour un projet n’atteignant pas son objectif financier minimum à l’issue de la période de collecte. Selon le rapport d’activité 2023, le montant redistribué cette année-là était de … 126 437€, soit moins de 10% du total des dons. Ce n’est un échec mais cela n’a pas marché comme dirait le président de la République.
Qu'à cela ne tienne, un enseignant enthousiaste d’une école REP expliquait au Café pédagogique que « la Trousse à projets, c’est la possibilité d’élargir le nombre de contributeurs et de nous mettre au niveau des écoles plus favorisées ». Imaginons en effet une famille aisée d’un quartier huppé de l’ouest parisien dont les rejetons sont scolarisés à l’école Sainte-Marie de Truc-Muche. Comme tous « ceux qui réussissent », ces parents tentent chaque année de soulager les atroces souffrances qu’ils endurent dans cet enfer fiscal qu’est notre beau pays. Supposons qu’ils n’aient pas encore atteint le plafond de réduction d’impôt en effectuant des dons à des organisations défendant leurs valeurs telles que Radio Courtoisie ou l’IFRAP. Vont-ils faire un don pour financer le projet pédagogique d’une école publique située dans un de ces « quartiers » qu'ils n'aperçoivent qu'en prenant l'autoroute pour aller à l'aéroport ? Les paris sont ouverts.
La Trousse à projets est un cas d’école d'une politique publique inégalitaire qui se déroule comme une valse à trois temps. Premier temps : baisser les impôts des entreprises et des ménages les plus aisés. Deuxième temps : tailler dans les budgets des services publics pour réduire les dépenses car nous vivons au-dessus de nos moyens, enfin ! Troisième temps : mettre en place et subventionner des financements privés permettant aux plus riches de compenser (pour leur caste) la dégradation de ces services publics tout en bénéficiant … de nouvelles réductions d’impôt. Et la valse continue. Le mécénat et la charité (défiscalisés bien entendu) se substituent ainsi progressivement au financement public par un impôt progressif.