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Billet de blog 16 mai 2024

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Nouvelle-Calédonie : retour à la case coloniale

En décrétant l’état d’urgence sur le fondement d’une loi promulguée pendant la guerre d’Algérie, M. Macron replace la Nouvelle-Calédonie dans le cadre colonial dont les accords de Matignon et de Nouméa avaient tenté de la sortir.

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Selon Mme Backès,  présidente macroniste de la Province Sud et figure de la droite dure anti-indépendantiste, « la ville de Nouméa et ses alentours [...] sont dévastés par des actes terroristes, organisés par le bras armé du mouvement indépendantiste ». « Il ne peut pas y avoir de dialogue dans la chienlit », a affirmé le président du groupe LR au Sénat Bruno Retailleau. Mme Le Pen s’est contentée plus sobrement de déclarer que « la gravité des violences qui se déroulent en Nouvelle-Calédonie nécessite la proclamation de l’état d’urgence » , s’offrant même aujourd’hui le luxe de proposer la tenue d’un 4ème référendum !

M. Macron s’est donc exécuté un décrétant l’état d’urgence et a déclaré de ce ton martial qu’il affectionne que « toutes les violences sont intolérables et feront l’objet d’une réponse implacable pour assurer le retour de l’ordre républicain ». Et « en même temps », le président-pyromane qui s’est attaché avec constance à jeter de l’huile sur le feu depuis plus de deux ans rappelait « la nécessité d’une reprise du dialogue politique ».

Ce « dialogue politique » s’engage sous les meilleurs auspices avec un ministre de l’Intérieur qui s’en prend à la Cellule de coordination des actions sur le terrain (CCAT). Selon lui, cette organisation « est mafieuse, violente, commet des pillages, des meurtres » et n’est « pas politique ». Le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, a déclaré de son côté que « la CCAT est une organisation de voyous qui se livre à des actes de violences caractérisées avec la volonté de tuer des policiers, des gendarmes, des forces de l’ordre […] Cette structure de la CCAT n’a plus lieu d’être ». Mme Backès s’est empressée de demander sa dissolution tandis qu’une dizaine de ses dirigeants ont été assignés à résidence. Cette « organisation mafieuse » et « pas politique » est pourtant à l’origine de manifestions réunissant plusieurs dizaines de milliers de personnes à Nouméa contre le projet de révision constitutionnelle voulu par le gouvernement. Cela fait beaucoup de « mafieux » et de « voyous ».

Le cadre juridique de l’état d’urgence, c’est celui de la loi du 3 avril 1955 utilisée trois fois pendant la guerre d’Algérie puis en 1984 … en Nouvelle-Calédonie (déjà) et en 2015 à la suite des attentats du 13 novembre. Dès lors, les révoltes de ces derniers jours à Nouméa sont très clairement situées par M. Macron dans un cadre qui est celui du colonialisme et du terrorisme. Il ne manque plus qu’une déclaration telle que « La Nouvelle-Calédonie, c’est la France et la seule négociation, c’est la guerre » et la boucle sera bouclée. Patience, il en est capable.

Face à des mouvements sociaux d’ampleur, les analyses faites par M. Macron et son gouvernement sont toujours d’une grande profondeur intellectuelle. En 2018, les gilets jaunes, qualifiés de « foule haineuse », étaient manipulés par la Russie à travers les chaines RT et Sputnik (voir ici). Les révoltes des banlieues en juin 2013, c’était la faute des jeux vidéo et des réseaux sociaux. Et voici que, selon le ministre de l’Intérieur, les « voyous » et les « mafieux » kanak seraient à la solde de … l’Azerbaïdjan.

Pour lutter contre cette cinquième colonne, le gouvernement a interdit Tiktok en Nouvelle-Calédonie par « crainte de désinformation sur les réseaux sociaux venant de pays étrangers pour attiser les tensions ». Ce qui ne manque pas de piquant de la part d’un exécutif qui est un robinet de désinformation 365 jours par an. Même un député macroniste comme M. Bothorel émet des doutes sur l’efficacité de la mesure en soulignant qu’il suffira de se reporter sur d’autres plateformes (quelle perspicacité !). Il s’inquiète surtout du risque « d’alimenter le narratif de ceux qui cherchent à nous nuire en désignant l’État français comme liberticide ». Que quelqu’un veuille bien éclairer ce monsieur, ce n’est ni un « risque » ni un « narratif ». C’est un fait bien établi et documenté depuis sept ans : le régime macroniste est liberticide. La France est d’ailleurs le premier de l’Union Européenne à prendre une telle mesure et s’inspire ainsi de riantes démocraties comme l'Afghanistan. On est « disruptif » et « sans tabou » ou on ne l’est pas ! Le blocage des réseaux sociaux est une obsession de M. Macron qui l'avait déjà évoqué lors des révoltes de banlieue en juin 2013. Les dispositions de l’état d’urgence lui permettent de le faire en Nouvelle-Calédonie et il y a fort à parier qu’il proposera prochainement une nouvelle loi pour introduire cette possibilité dans le droit commun. Il devrait demander conseil à son ami Narendra Modi, expert en contre-insurrections et pogroms, qui avait totalement bloqué l’accès à Internet au Cachemire pendant cinq mois en 2019.

Politique colonialiste, criminalisation d'organisations politiques, arrestations arbitraires de leurs dirigeants, militarisation du maintien de l'ordre, atteintes aux libertés publiques : la réaction de l’exécutif à la situation en Nouvelle-Calédonie - dont il est l'unique responsable - est en tous points conforme aux fondamentaux du macronisme. La capacité de ces gens à mettre le feu à tout ce qu'ils touchent est proprement sidérante.

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© Allan Barte (@AllanBARTE)

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