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Billet de blog 19 février 2025

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Spectre autistique, spectres asilaires

Un préjugé récurrent traverse le grand public et la sphère politico-médiatique : « les personnes autistes n’auraient rien à faire en psychiatrie ». En réalité, personne n’a rien à faire en psychiatrie quand celle-ci est le théâtre de pratiques maltraitantes.

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Un préjugé récurrent traverse le grand public et la sphère politico-médiatique : les personnes autistes n’auraient rien à faire en psychiatrie.

En réalité, personne n’a rien à faire en psychiatrie quand celle-ci est le théâtre de pratiques maltraitantes. De plus en plus fréquent actuellement. Mettre l’autisme à part reviendrait à dire que les autres personnes, celles qui par exemple présentent des troubles schizophréniques, psychotiques, thymiques pourraient, elles, être maltraitées, isolées, contentionnées sans que cela ne pose tellement de problèmes.

Une télé grillagée, un mot s’échappe : « Déstigmatisation ! ». Sur une autre chaîne : « Inclusion ! »

A contrario quand la psychiatrie joue son rôle d’accueil inconditionnel de l’extrême souffrance psychique, en tant qu’activité de soin de la psyché, elle peut potentiellement concerner tout le monde. Que la personne présente un handicap strictement génétique comme la trisomie 21, un trouble du spectre autistique ou tout autre problème « neuro-développemental », elle a le droit de traverser des moments de souffrance psychique et d’être soignée pour cela.

La déstigmatisation et l’inclusion contemporaine sont vraiment étranges. Résumons. D’un côté, nous avons les malades mentaux, « psychotiques », « schizophrènes » qui pourraient être sous le joug de la psychiatrie asilaire sans que cela ne pose de problème. De l’autre côté, des « personnes autistes » qui n’auraient rien à faire en psychiatrie.

Refuser des soins psychiques - une activité de soin de la psyché - aux personnes autistes n’est-ce pas une autre forme de stigmatisation, d’exclusion ? Leur éviter la maltraitance asilaire, la contention mécanique à outrance et leurs dérivés, les chambres d’isolement et leurs pseudos « soins intensifs » qui se limitent à éviter une crise de violence, leur éviter tout cela donc, c’est juste normal. C’est même désirable d’être accueilli et soigné dignement quand on en a besoin. Mais en réalité, cela ne devrait-il pas être la norme pour nous toutes et tous ?

Tour de passe passe assez étrange.

Refuser les maltraitances, les indignités, les processus de désubjectivation de la psychiatrie asilaire (dans et hors les murs) devient ici un synonyme de refus de la psychiatrie. Et donc d’un refus de soins psys pour les personnes réputées « handicapées » dans le champ de l’autisme.

Si tel est le cas, on ne pourra que s’interroger sur ce modèle du handicap qui dénie une propriété exclusivement humaine, la possibilité d’être habité.e par le tragique de l’existence humaine et ces folies qui nous traversent toutes et tous à des degrés divers, dans certains moments plus ou moins longs de nos vies. Il est vrai que l’on parle maintenant de « co-morbidités » pour éviter de se coltiner le problème général de sens. Et puis le champ de l’autisme est devenu depuis plus d’une décennie un marché pour les entrepreneurs privés.

Ce refus de soins psys sous couvert de refus des maltraitances psychiatriques aura son effet boule de neige pour les premiers concernés. Certes, il satisfait les grands professeurs en blouse blanche, les costumes-cravates des ministères, les pots pourris des délégations gouvernementales aux troubles du neuro-développement et leurs compagnons ainsi que tous les autres poulets en batterie élevés au grain de la norme nous faisant vivre un bel hiver.

Ce refus satisfera aussi les personnes les moins troublées et certaines familles. Certains « Asperger » télégéniques et autres Hauts Potentiels au sommet de la pyramide de l’intelligence, caste supérieure du neuro-développement, pourraient sacrifier sur l’autel de leur propre inclusion les plus fragiles. Le validisme concerne tout le monde. On peut toujours trouver quelqu’un à invalider encore plus qu’on ne l'est soi-même.

Du côté de certaines familles, refuser les soins psychiques peut parfois s’apparenter à refuser la souffrance de leur proche, voire la leur. Faut-il que la société s’organise autour d’un déni ? Déni de la difficulté de faire avec? Faire avec les souffrances engendrées en même temps que les joies et la poésie des « neurodivergents » ?

Parler d’angoisse est même devenu un tabou dans le champ du neuro-développement. Donc certains humains, ici les autistes, n’y auraient pas (plus) le droit. Pourtant, des angoisses archaïques et primitives, même si elles sont déniées par tout ce monde-là, peuvent survenir. Ces angoisses qui décontenancent - qui font perdre le contenant – doivent pouvoir être accueillies, accompagnées voire soignées quand elles existent et qu’elles deviennent trop explosives.

Qu’il n’y ait pas de possibilité de retrouver contenance dans un environnement de soin ne recrée-t-il pas de la violence institutionnelle, de la ségrégation, de l’exclusion ? Celle-là justement que l’on tentait d’éviter avec ces grandes phrases définitives sur : « les personnes autistes n’ont rien à faire en psychiatrie ».

Un jour viendra où le refus de soin organisé par les pouvoirs publics et leurs complices arrivera à monsieur et madame tout le monde. Ce jour-là, on dira au quidam qu’il n’a rien à faire aux urgences. On lui refusera l’entrée soit parce que les urgences sont fermées soit parce qu’il n’est pas assez comme ceci ou comme cela. On entourera de plein de justifications ce refus. Mais je m’égare certainement, ce jour ne viendra probablement pas

Donc, si les personnes autistes très mal en point dans leurs grandes angoisses archaïques n’ont rien à faire en psychiatrie, alors Grand Professeur en Blouse Blanche (GPBB), où vont les personnes autistes les plus en souffrance ? Dans des unités « sur-spécialisées » qui peuvent cachetonner, isoler, attacher (à l’abri des regards et sans encadrement légal). Unités qui s’occupent du corps physique à défaut du corps psychique. Une nouvelle filière d’enfermement et de ségrégation se crée dans ces petites unités : les URAT (prononcer : « uratte »), les PUR.

Ca sonne drôle aux oreilles, non ?

Car, bizarrement, pas grand monde ne veut travailler dans ces endroits qui ne pensent que trop rarement les ambiances institutionnelles, les micro-violences du quotidien et leur traitement permanent. Faire une psychothérapie institutionnelle on dirait près de chez moi.

« Non recommandé ! » gueulent les pots pourris.

Un case manager étatique apparaît : « Problème de flux ? Réduisons le stock ! »

Tiens, dans l’une des versions du projet de loi sur la fin de vie en juin 2024, les personnes psychiatriques et les personnes handicapées avaient été remises dans les bénéficiaires potentiels. Pratique1. C’est inclusif non de se faire « mourir dans la dignité » ? Nihilisme ? Pas du tout : déstigmatisation. D’ailleurs, « la maladie mentale est une maladie chronique comme les autres ». Donc dans les cas complexes devenus cas insolubles, ça peut être utile.

Grand Professeur en Blouse Blanche et Costume Cravate en larmes, grands discours télégéniques.

Compassion, empathie : « Parfois, ne vaut-il pas mieux mourir dans la dignité ? »

Tu m’étonnes, quand les soins sont indignes, plus que la mort pour être digne ! Premier pas vers ce nihilisme : la psychiatrie asilaire et sa culture de l’entrave non traitée. Les Dévalideuses ont bien raison d’alerter sur le validisme de cette « aide à mourir » qui touchera d’autant plus les personnes déclarées « inutiles », « improductives ».

Illustration 1
Les murs de l’asile, Roger Gentis, édition Maspero

Pour l’asanté-mentale, grande cause nationale décrêtée par Michel Bayronier, le risque n’est-il pas de continuer de refuser l’humanité aux uns et aux autres ? Relégués dans la sous-humanité, les infra-humains pour la norme dominante n’ont pour les uns pas le droit de posséder une intériorité psychique douloureuse ; et pour les autres, obligations de se contenter des maltraitances asilaires.

Un ministre à la télé : « ces ratés font des ratages psychiatriques ».

A force de ne pas faire ce travail de contenance, et de se contenter d’un abêtissement généralisé sous forme de remédiation-normalisation-médicamentation-inclusion-poudre-aux-yeux, ces gamins hantés par le spectre autistique deviennent ados. Ils vont de plus en plus mal voire ils sont de plus en plus violents.

Blouse-Blanche-Costume-Cravate : « Accompagnement personnalisé ! »

Les efforts de socialisation pour les autistes ? Pas besoin, ils sont dans leur bulle. Donc on les extraie juste de leur Bubble à force de duels mano à mano qui prennent le nom générique de « rééducations ». Pas besoin de collectif, plus besoin d’institutions. Juste des « paniers d'accompagnements » avec des intervenants privés qui n’existent même pas dans les déserts médicaux. On résoudra le problème en créant des « plateformes » pour faire semblant de faire quelque chose. On donnera du fric aux « accompagnants » pour qu’ils se démerdent dans les prises de charge de leur proche. La plupart deviendront invisibles soit enfermés soit abandonnés. Pour une minorité, quelques plateaux télés pour faire bien.

PLOC

Pour certains, à un moment, la Bubble elle explose à la gueule de tout le monde. Et là, pas question de savoir ce qui a produit cette violence non canalisable. On sortira le joker du « cas complexe » sans se poser la question de nos responsabilités collectives à vouloir ne pas soigner, quand elles en ont besoin, les personnes en souffrance d’enveloppes psychiques.

Mathieu Bellahsen, le 19 février 2025

1- Roger Gentis, les murs de l’asile, Maspero (1973) : « Je jure que si demain on parlait de liquider en France, par des moyens doux, cinquante à quatre-vingt mille malades mentaux et arriérés, des millions de gens trouveraient ça très bien, et l'on parlerait à coup sûr d'une œuvre humanitaire, et il y en a qui seraient décorés pour ça, la légion d'honneur et le reste. J'affirme qu'on trouverait des psychiatres pour dresser la liste des malades donnant droit à euthanasie. Qui est fou, qui ne l’est pas»

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