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Billet de blog 5 févr. 2023

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Moi, végane, écolo et fatiguée – 5. Le véganisme est-il soluble dans l’écologie ?

Le véganisme est-il écologique ou anti-écologique par essence ? Peut-on rouler en 4x4 quand on est végane et faire la nique à n’importe quel omnivore sur son vélo ? Quels sont les liens, s’ils existent, entre véganisme et écologie ? Et de quelle écologie parle-t-on exactement ?

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Ce billet fait suite à celui-ci.

Le suivant est .

Une certaine propagande végane présente le végéta*isme et le véganisme comme étant écologiques par nature ; les anti quant à eux résument souvent la nourriture végétalienne à des produits exotiques ou ultra-transformés sous plastique ; ceux qui creusent un peu plus pointent des spécificités du véganisme telles que l’habillement (puisqu’on refuse les matières naturelles comme le cuir et la laine) ou la traction animale.

Alors, qu’en est-il vraiment ? Le véganisme est-il écologique ? Peut-on rouler en 4x4 quand on est végane et faire la nique à n’importe quel omnivore sur son vélo ?

Quels sont les liens, s’ils existent, entre véganisme et écologie ?

Et de quelle écologie parle-t-on exactement ?

Élevage, pêche et écologie

Lorsqu’on affirme que devenir végane fait du bien à la planète, en général c’est l’élevage intensif qui est visé et plus particulièrement ses émissions de GES, son emprise sur les terres cultivables et sa consommation en eau.

Il n’est pas inutile à ce stade de rappeler quelques chiffres : à l’échelle planétaire, ce sont 80 milliards d’animaux terrestres et 300 milliards d’animaux aquatiques qui sont élevés et tués par an. La pêche est quant à elle responsable de + de 1000 milliards d’animaux tués dans une année, dont + d’1/3 est destiné à l’alimentation des poissons d’élevage.
Je vais écrire ces nombres en chiffres, je trouve que c'est plus parlant.

80 000 000 000 + 300 000 000 000 + 1000 000 000 000 d'animaux élevés et tués ou pêchés par an.

Si on zoome sur la France, ce sont 1,2 milliards d’animaux d’élevage qui sont abattus à l’année, soit 3 millions d’animaux terrestres (des poulets pour les 2/3) et 200 000 animaux aquatiques par jour.
En France, plus de 8 animaux abattus sur 10 sont issus d’élevages intensifs.

En Europe – mais c’est à peu près la même moyenne dans le monde – 2/3 des terres agricoles servent à nourrir le bétail ; la moitié est constituée de pâturages, l’autre de terres arables dont près des 2/3 sont cultivées.
Exprimé autrement : 1/3 des terres agricoles totales sont dédiées à l’alimentation humaine, 1/3 sont des pâturages (non cultivables) pour le bétail, 1/9 sont des terres arables non cultivées mais utilisées par l’élevage, et les 2/9 restants des terres cultivées spécifiquement pour le bétail.

En ce qui concerne les émissions de GES, d’après la FAO le secteur de l’élevage représente 14,5 % de toutes les émissions d’origine anthropique, qui se répartissent comme suit : 45 % issues de la production et la transformation du fourrage, 39 % de la digestion des ruminants, 10 % de la décomposition du fumier, et les 6 % qui restent sont dues à la transformation et au transport des produits animaux.

Je ne vais pas argumenter sur la consommation d’eau car j’ai toujours été dubitative à propos des chiffres avancés qui varient fortement selon les sources et les modes de calcul : faut-il vraiment 15 000L d’eau pour produire 1kg de bœuf comme le prétendent les défenseurs des animaux et une bonne partie des écologistes ? Ou 20 à 50 L seulement comme l’avance l’institut français de l’élevage ?
Oui, l’écart est énorme. Mais quand on parle de 15 000L d’eau par kg de bœuf, on prend en compte l’eau de pluie qui tombe sur les surfaces agricoles dédiées à l’élevage, dont les prés : c’est ce qu’on appelle l’eau verte. Ironiquement, plus l’élevage est extensif et plus ce ratio eau/viande sera élevé. Toujours ironiquement, plus l'année est sèche et plus ce ratio s'améliorera.
En réalité ce calcul, le Water Footprint Network, n’a jamais eu comme objectif d’estimer une consommation d’eau par kg de viande mais visait à calculer des flux d’eau virtuels des produits agricoles. Mais l’occasion était trop belle pour les adversaires de l’élevage qui se sont empressés de confondre flux et consommation et de diffuser en masse des infographies trompeuses qui tournent toujours en boucle aujourd’hui. Ne vous laissez pas avoir : s'il existe de bonnes raisons de vouloir réduire voire abolir l'élevage, celle-ci n'en fait pas partie.

Derniers chiffres de ce préambule pour revenir à un problème réel dont l’élevage est en partie responsable : à l’heure actuelle il ne reste plus que 4 % de mammifères sauvages et 30 % d’oiseaux sauvages sur Terre (en biomasse). Le reste, c’est nous, nos animaux domestiques, notre bétail et notre volaille…

Personnellement c’est cette dernière info que je trouve particulièrement flippante, au coude-à-coude cependant avec le nombre hallucinant d’animaux élevés et abattus pour notre consommation.

Pour ce qui est de la pêche industrielle, elle a tellement d’effets négatifs sur les écosystèmes marins que je ne sais même pas par où commencer : de l’extinction pure et dure d'espèces aux effets sur leur habitat par le raclage des fonds en passant par la pollution y compris due aux pertes de matériel de pêche (elle représente 10 % de la contamination du milieu marin par les plastiques), la mort d’animaux non ciblés (qui sait que des milliers de dauphins sont tués dans l’indifférence générale au large des côtes françaises tous les ans par la pêche industrielle ?), la perturbation des chaînes trophiques, j’en passe et des meilleures.

Végéta*isme, véganisme et écologie

Clairement, l’élevage et la pêche industriels ont un impact énorme sur la planète à plusieurs niveaux, et s’abstenir de consommer ce qui en est issu est un geste qui va dans le bon sens écologiquement parlant.
Fatalement, si on ne consomme plus que des produits animaux issus de petites exploitations locales ou de pêche/chasse artisanales, la quantité de viande/poisson/oeufs/lait par personne va diminuer drastiquement.

Donc oui, végétaliser son alimentation, non seulement c’est ce qu’il faut faire mais en réalité on ne va pas avoir le choix.
Mais ça n’implique pas le véganisme, ni même le végétarisme.

Je l’ai dit dans mon premier billet, j’ai chez moi tout un tas d’animaux de sauvetage qui mènent la belle vie, qui grandissent et vieillissent tranquillement, sans exploitation. D’un point de vue protection animale, c’est super. En revanche si de temps en temps j’en tuais un pour le manger, d’un point de vue purement écologique ça serait intéressant, plus que d’aller acheter l’équivalent en céréales et légumineuses, même bio et locales. Je pourrais manger les vieilles poules qui ne pondent plus, ou sinon tuer mon grand cornichon de bœuf nourri exclusivement à l’herbe et au foin et là j’aurais de la viande pour des lustres. J’aurais pu traire les chèvres en même temps qu’elles nourrissaient leurs petits, ça aurait été plus écolo que de faire mon lait de noisettes maison.
Et si de temps en temps je pêchais un poisson dans le canal à 500m de chez moi ou chassais un lapin, même chose : ça n’aurait rien de végane mais tout d’écologique (à condition d’éviter les munitions au plomb et de ramasser mes douilles ou encore mieux d’opter pour le piégeage ; et pour le poisson de ne pas utiliser de plombs de pêche dont un certain nombre finit au fond de l’eau).

On m’a même fait fait remarquer que mon mode de vie avec mes animaux de ferme sur 24ha posait certains problèmes d’un point de vue environnemental, comme des émissions de GES, un accaparement de surface qui pourrait servir à cultiver de la nourriture pour les humains au lieu de rester en herbe pour les animaux, etc.

Oui, les ruminants émettent du méthane, chez moi comme ailleurs, et en plus ceux-là on ne les mange même pas.
Au problème de la surface « perdue » je réponds en deux temps.
Premièrement, nous sommes des particuliers et si nous avons pu acheter ces terres, ce qui s’est fait en 4 fois sur une durée d’un peu plus de 5 ans, c’est parce qu’aucun agriculteur aux alentours n’en voulait.
Deuxièmement, d’autres prés, juste de l’autre côté de la route, ont été loués à un agriculteur l’été dernier. En deux temps trois mouvements tout était retourné, arrosé de pesticides, semé en tournesol et tassé par les tracteurs. Alors ok, ça a produit de la nourriture végétale (quoique, avec les sécheresses et canicules de l'été dernier ça n'a pas été la réussite du siècle) mais la biodiversité en a pris un méchant coup : les 10ha gorgés de vie sont devenus morts et mornes en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Et encore ce n’était pas le pire car l’agriculteur en question n’a pas touché aux haies. Mais plus loin dans mon village, c’est plus d’une centaine d’ha qui ont été retournés cette année par un autre céréalier, et des km de haies ainsi que tous les bosquets ont été arrachés.
Bref, en terme de GES, je ne sais pas, mais de mon point de vue l’écologie ne se résume pas au bilan carbone : les problèmes environnementaux actuels sont infiniment plus larges que le seul changement climatique. En tout cas, en terme de biodiversité c’était bien mieux quand il y avait le bocage et ses troupeaux au lieu de la mini-Beauce qui a pris sa place…
Rappelons aussi que si j’ai des animaux de ferme chez moi, c’est seulement parce qu’il y a élevage et maltraitance, abandon ou mise à mort. Sinon je n’en aurais pas. J’aurais préféré ne pas avoir à en sauver en réalité et me contenter de cohabiter avec les animaux sauvages.

Bref, assez parlé de mon cas.
Diminuer sa consommation de produits animaux et surtout supprimer tout ce qui vient d’élevage ou de pêche intensifs, oui, c’est écolo. Donc être végane, au moins du point de vue alimentation, devrait l’être automatiquement.
Sauf que beaucoup prétendent que les véganes/végétaliens mangent essentiellement des cochonneries industrielles pleines d’additifs et d’ingrédients qui ont fait 3 fois le tour de la planète. Certains affirment même qu’il est impossible d’être végétalien sans cela.

Végétalisme = nourriture qui vient de loin / ultratransformée ?

C’est un cliché qui a la peau dure et qui est largement alimenté par les gammes toujours plus étendues de produits industriels estampillés « vegan », ainsi que les recettes à base de noix de cajou et autres ingrédients peu locaux qui fleurissent sur le net.

Mais en réalité le coeur de cible des industries qui produisent et vendent des plats labellisés « vegan », ce sont les flexitariens qui cherchent à réduire leur consommation de viande. Autrement dit la grande majorité des consommateurs de ces produits ultratransformés ne sont pas véganes.
Bien sûr d’autres le sont mais ils étaient probablement tout aussi consommateurs de bouffe industrielle avant, simplement en version carnée au lieu de végétale. Parce qu'on est d'accord quand même je suppose : à l'heure actuelle les plats industriels labellisés « vegan » ne représentent qu'une infime partie de la production de l'agro-industrie.

Pour ce qui est des recettes à base d’ingrédients exotiques, oui, il y en a. J’ai cité la noix de cajou car elle est très utilisée, on pourrait aussi parler de l’huile de coco.
Encore une fois les produits exotiques ne sont pas l'apanage des véganes, et surtout rien de tout ça n’est obligatoire : pour ma part je suis locavore à 95 %. À part le chocolat, les mandarines en ce moment, le beurre de cacahuète et les épices, tout ce que je mange provient de France, pour la grande majorité de mon département ou des départements voisins, et au niveau fruits et légumes on tape à 99 % dans un rayon de 10km autour de chez moi, dont une bonne partie issue de mon potager normalement. Je cuisine quasiment tout à partir de produits bruts, en vrac essentiellement. Je ne vais plus au supermarché depuis des mois. Je fais mon pain depuis des années, mon lait de noisettes, mon seitan et mon tofu (à partir de graines de soja français) à l’occasion, etc.

Bref, on peut tout à fait être végétalien et manger « écolo ». Cet argument n’est donc en réalité qu’un faux-nez.

Peut-on dire pour autant qu’être végétalien est plus écologique qu’être omnivore ? De mon point de vue, entre un omnivore qui ne se soucie pas d’écologie et un végane qui ne s’en soucie pas plus, c’est sans doute le végane le « moins pire » car il ne consomme rien qui soit issu d’élevage intensif dont on a vu les conséquences sur l’environnement au début de ce billet. Mais dire comme certains que du moment qu’on est végane on peut bien tout acheter industriel et sous plastique et que ça sera toujours plus écologique qu’un omnivore qui achète local et en vrac, non, désolée mais c’est faux.

De mon point de vue le végétalisme et l’écologie ne sont ni antagonistes ni alliés mais indépendants.

D’ailleurs, moi qui me dis écolo, rien de ce que je mets en œuvre n’est vraiment lié au fait que je sois végane. Les toilettes sèches, la bouffe locale sans emballage ni pesticides, le potager et le verger en permaculture, la récupération d’eau de pluie pour l’arrosage et les abreuvoirs, la plantation d’arbres et de haies, la douche et la cuisson solaires quand le temps le permet, le fait de ne rien acheter de neuf et tout le bataclan, ça n’a absolument rien à voir avec mon véganisme.

Le véganisme et certaines de ses spécificités face à l’écologie

En revanche, certaines pratiques spécifiquement véganes, hors alimentation, ne sont peut-être pas franchement écologiques.
Comme le fait de renoncer à porter du cuir, de la fourrure ou de la laine, matières naturelles, ce qui se traduirait automatiquement par un recours accru aux matériaux issus de la pétrochimie comme le polyester, la polaire et cie.
On nous avance aussi que si on n’utilise plus de fumier il faudra automatiquement avoir recours aux engrais de synthèse sous peine d'une famine généralisée.
Et enfin on nous achève avec la fameuse traction animale.
Passons donc en revue ces 3 principaux arguments.

  • Habillement

Parenthèse sur le cuir, la laine etc dans le véganisme. Comme pour la partie alimentation on trouvera des variantes plus ou moins subtiles. Ainsi en devenant véganes, certains se sépareront d’une partie de leur garde-robe et ne supporteront plus le moindre contact avec ces matières. D’autres continueront à porter leur vieux blouson de cuir ou leur pull en laine préféré tricoté avec amour par mamie. Pour certains ce sera possible pour la laine qui n’implique pas directement la mort de l’animal, mais pas pour le cuir ni la fourrure. Pour d’autres en revanche, ça sera acceptable d’acheter des chaussures en cuir si elles sont d’occasion.
Dans tous les cas, l’idée est de ne plus soutenir l’exploitation animale en finançant les industries du cuir, de la fourrure, de la laine ou de la soie, donc en achetant des produits neufs.
Certains véganes critiquent ceux qui continuent à porter des matières animales en arguant que leur attitude continue à alimenter une vision de la normalité basée sur l’exploitation animale. C’est vrai. Et cela participe sans doute aussi parfois à la confusion dans l’esprit de certains : « ah ben moi je connais un.e végane qui porte des chaussures en cuir ».

Revenons-en à l’écologie.

Première chose : il existe des matières naturelles végétales : le lin, le chanvre, le coton (avec un gros bémol question écologie et aussi droits humains sur ce matériau). D’autres sont en développement, comme les « cuirs végétaux » à base de déchets végétaux (ananas, banane, raisins…) ou de champignons et dont le procédé de fabrication pour bon nombre utilise des produits naturels non toxiques.
(Pour info, je découvre que PETA vient de lancer un concours pour inventer une « laine végane », avec à la clef 1 million de dollars pour le gagnant. Alors si vous avez des idées, n’hésitez pas à m’en parler.)

Mais effectivement, je ne pense pas que beaucoup de véganes s’habillent intégralement en matières naturelles – pas plus que les non-véganes, d’ailleurs : que ceux qui ne portent rien issu de la pétrochimie lèvent le doigt.

Le problème des vêtements synthétiques est double : leur énergie grise d’un côté et la pollution de l’environnement qu’ils occasionnent lors des lavages ou lors de leur fin de vie. À la maison, excepté les sous-vêtements et les chaussettes on n’achète que du seconde main, en friperie ou sur les brocantes. Et rarement : j’ai dû m’acheter 2 pantalons et 3 hauts l’an dernier, mes achats précédents (2 pantalons) remontaient à 5 ans auparavant. Donc pour l’énergie grise, je pense être correcte.
Pour la pollution lors des lavages, d’après un rapport de l’OPECST de 2020, elle a essentiellement lieu au début : 60 à 80 % des fibres seraient libérées lors du premier lavage, ensuite ça diminue de façon exponentielle. Donc si on se fie à ce rapport, pour des vêtements qui ont déjà été lavés moult fois le relargage des micro-fibres est quasiment nul. Quelqu’un sur facebook m’a contredite sur ce sujet sans répondre à ma demande de lien vers une étude affirmant le contraire, donc si l’un ou l’une de vous a des informations sur le sujet, je suis preneuse.

Vous me direz peut-être, ok, acheter d’occasion c’est super mais on ne peut pas tous faire ça. Si tout le monde devenait végane, ça ne serait pas un système durable. C’est vrai, mais si tout le monde était végane, les alternatives dont je parlais plus haut comme les cuirs végétaux ou autres auraient déjà été développées depuis bien longtemps.

Et puis examinons-les de plus près, ces matières animales naturelles. En fait, quand on se renseigne un peu, on se rend vite compte que la production du cuir pollue énormément : outre les problèmes dont on a déjà parlé relatifs à l’élevage, l’étape du tannage du cuir utilise majoritairement tout un tas de produits toxiques dont le chrome, qui sont ensuite relargués sans précaution dans l’environnement (le tannage est le plus souvent délocalisé dans des pays comme l’Inde pour éviter les contraintes environnementales). Les tanneurs non protégés peuvent souffrir de maladies respiratoires, de problèmes de peau, de vue, de reins et de cancers entre autres joyeusetés.
Donc en fait, entre des chaussures en cuir ou des chaussures 100 % synthétique, les plus polluantes ne sont pas forcément celles qu’on croit (on commence aussi à voir apparaître des chaussures à base de matériaux recyclés).

Et la laine, alors ? Eh bien même si c’est moins polluant que le cuir, les différentes étapes pour arriver à la pelote de laine toute douce et joliment colorée à partir de la toison tout juste tondue font également intervenir un certain nombre de procédés ou produits problématiques : par ex pour enlever les débris végétaux des toisons, on va utiliser de l'acide chlorhydrique ou sulfurique, dans la phase de lavage on peut utiliser des solvants pas toujours inoffensifs. Et puis bien souvent la laine est teinte, et alors là on va parfois d'abord la blanchir avec des composés soufrés, utiliser du chrome préalablement à la teinture pour bien la fixer, et pour la teinture en elle-même, eh bien dans l'industrie elle fait souvent appel à des produits chimiques dont certains sont toxiques et / ou polluants. Et sans parler du transport entre la tonte, les différentes étapes et l'endroit où vous achèterez votre pull.

On n'est plus exactement dans l'image d'Épinal de nos ancêtres qui cardaient, filaient et teintaient sur place la laine de leurs moutons avec des outils en bois et des chardons.

  • Fumier vs engrais de synthèse

Dans un monde végane, est-ce que nous serions condamnés soit à des rendements agricoles en chute libre, soit à un recours accru aux engrais de synthèse ?

Contrairement aux idées reçus, les sols n’ont pas besoin d’apport de fumier pour être fertiles. Si on regarde par exemple ce qui se passe dans les forêts, où a priori personne ne vient déverser des tonnes de fumier tous les ans, on voit bien que la réalité est toute autre. Il y a bien quelques déjections d’animaux sauvages, mais la quasi-totalité de la fertilité du sol est due à la décomposition de la végétation sur place et au fait que le sol ne soit pas retourné.

Il existe déjà des tas de techniques pour assurer une bonne fertilité à un sol sans apport de fumier ni d’engrais chimiques, la première étant de ne pas le labourer. Ensuite on va pouvoir mettre en œuvre le paillage, le compostage à chaud ou à froid, les engrais verts (dont les légumineuses pour l’azote), les lasagnes en maraîchage, le semis sur sol couvert, les cultures associées… Gageons qu'on en découvrira de nouvelles à l'avenir.

Ensuite, tous les véganes ne sont pas forcément contre tous les types d’élevage, même si ce n’est pas exactement le terme à employer.

Déjà, ce qu’il faut réaliser c’est que pour avoir du fumier on n’a pas besoin de tuer des animaux. Ce sont les animaux vivants qui en produisent, pas les morts.
Je reprends mon cas : quand on cure les écuries des chevaux et des ânes ou les abris des chèvres et des moutons, on récupère des tonnes de fumier. Ce fumier-là, il est végane vu qu’il n’est pas issu de l’exploitation animale.
Donc du fumier issu de refuges, pourquoi pas.
Et même, maintenir de petits troupeaux où les animaux seraient soignés, non exploités pour le lait/la viande, où ils vieilliraient tranquillement en entretenant les prés, les endroits difficiles d’accès, les vergers ; on ferait de l’écopâturage finalement, mais d’une façon qui se rapprocherait de leur nomadisme d’origine (c-à-d qu’on ne se contenterait pas de les faire tourner sur 2 ou 3 prés à l’année). Ma foi là aussi, pourquoi pas…
Dans ce cas, si on considère que le fumier est une ressource indispensable ou du moins très intéressante ou, comme certains le clament, si l’entretien des paysages est si important, si continuer à voir des vaches et des moutons dans les prés l’est également, eh bien payons des éleveurs pour produire du fumier, pour entretenir les paysages et pour continuer à voir des vaches et des moutons dans les prés. Mais sans exploitation ni mise à mort. Et avec une diminution drastique des cheptels afin de laisser les animaux sauvages reprendre la place qu’on leur a prise.

Cependant il reste le problème évoqué dans le billet précédent concernant les zoonoses qui accompagnent automatiquement tout type d’élevage : donc est-ce une bonne idée de garder des troupeaux ou vaudrait-il mieux renoncer à tous les animaux domestiques ? La question reste ouverte.

En tout cas dans un monde totalement ou même juste majoritairement végane, nous ne serions pas condamnés à utiliser des engrais de synthèse.
J’ose d’ailleurs espérer que si un jour on effectuait un changement de cap de cette ampleur on en profiterait pour sortir de l’agriculture intensive industrielle et ses magnifiques monocultures, ses pesticides et ses gros tracteurs qui défoncent tout pour adopter une agriculture radicalement différente respectueuse du vivant.
Sinon je ne vois pas bien l’intérêt.

Et puisqu’on parle de tracteurs qui défoncent tout, cela nous amène au sujet qui fâche vraiment : la traction animale :)

  • Traction animale vs … ?

On va commencer par une évidence : la traction animale n’est pas végane puisque l’idée est d’exploiter un animal pour sa force, que ce soit pour nous transporter, trimballer des charges lourdes ou nous aider à cultiver.

A priori dans un monde végane, pas de débardage avec un Auxois, pas de travaux des champs derrière un Ardennais, on n’ira pas non plus faire ses courses tiré par un Cob normand et on ne montera pas sur un Apaloosa pour faire le tour de la ferme et vérifier que tout va bien (races présentes plus ou moins pures ou en mélange chez les chevaux qui sont chez moi, oui on s’en fout mais ça m’a fait plaisir de leur faire ce petit clin d’œil).
On est donc condamnés à la voiture et au gros tracteur qui tasse et qui pue.

On est d’accord que pour ce qui est de l’écologie, le véganisme est le grand perdant dans l’histoire.

Mais bon, vous commencez à me connaître, j’aime bien chercher la petite bête (normal pour une végane) donc je ne vais pas rester sur cette affirmation binaire.

Une première remarque, c’est qu’en général ceux qui accusent le véganisme de ne pas être écologique parce qu’il refuse la traction animale ne la pratiquent absolument pas eux-mêmes. Ils conduisent leurs voitures, leurs tracteurs s’ils ont des terres, utilisent des tondeuses pour leur pelouse et j’en passe. Pas sûre non plus qu’ils seraient d’accord pour aller à leur travail à cheval. Finalement, dans 99 % des cas on est en plein dans le mythe de la pureté : on accuse les véganes de ne pas être plus écolo que soi-même sur un point précis et on en conclut que le véganisme n’est pas écologique. Cherchez l’erreur…

Mais il y a le 1 % restant, ceux qui mettent en œuvre avec succès la traction animale dans leur petite ferme et oui, ça fait réagir négativement pas mal de véganes.

Je trouve ça con. Franchement.

À mes yeux l’écologie est au moins tout aussi importante que la cause animale – surtout que sauver des animaux d'un côté pour dévaster leur habitat de l'autre me semble contre-productif, pour rester polie. Et quand on s’investit dans plusieurs causes, il faut parfois trouver des compromis lorsqu’elles rentrent en conflit.
D'ailleurs à quel point y a-t-il conflit ici ? Si on arrête de se focaliser sur ce pauvre cheval qui bosse quelques heures de temps en temps et qu’on élargit un peu le regard aux oubliés du véganisme, finalement on va se rendre compte qu’en terme d’impacts sur les animaux aussi la traction animale est le plus souvent gagnante.

Entre le tassement des sols par les tracteurs toujours plus énormes, la pollution (sonore également), les animaux tués car ils n’ont pas le temps de s’enfuir – les faons lors de la moisson ou du fauchage par exemple, qui restent couchés et se font déchiqueter, et là on ne parle que des grosses bestioles mais on dézingue aussi une sacrée quantité d’oiseaux et d’invertébrés –, toutes choses qui ne se produisent pas avec la traction animale… Si on réfléchit 5mn on se dit que même pour les animaux peut-être vaut-il mieux atteler un cheval que monter sur son tracteur.

Alors certes si on revient à des pratiques plus raisonnables, avec des petits engins plus légers, qu’on va doucement ou qu’on prend certaines précautions, on peut minimiser les dégâts. Par exemple, des associations commencent à se créer qui survolent les champs prêts à moissonner avec des drones pour détecter et déplacer les faons juste avant le passage de la moissonneuse-batteuse. C’est une entreprise louable et que je soutiens. Mais il faut reconnaître que c’est quand même bien compliqué, consommateur d’énergie, qu’il faut que l’agriculteur soit demandeur, et que ça ne repère que les gros animaux. Alors qu’en moissonnant ou en fauchant au rythme d’un cheval de trait, petites et grosses bestioles ont le temps de se mettre à l'abri.

Autre solution : le travail manuel, sans traction animale et non mécanisé. Pourquoi pas. De plus en plus de jeunes s’installent sur des très petites exploitations et se bricolent des outils low-tech sur mesure. Pour du maraîchage, c’est nickel. Sur des champs de céréales, c’est plus compliqué.
Mais peut-être faudrait-il arrêter de se reposer autant sur les céréales et davantage s’orienter sur des cultures pérennes de type forêt comestible... mais c’est encore une autre histoire.

Pour conclure cette partie, il me semble donc que la traction animale pourrait être acceptée dans le cadre d'un véganisme pas trop psycho-rigide à certaines conditions : que les animaux travaillent peu et soient bichonnés en retour avec le cadre de vie qui va bien (le minimum syndical ^^) et au prix d'un dressage non coercitif ; que ce qui est réalisable manuellement le soit ; et que la traction animale soit réservée aux cas où la balance avantages/inconvénients en terme d’impact sur les animaux penche nettement en sa faveur.
Je ne prétends toutefois pas que ma position sur le sujet soit représentative de celles de la majorité des véganes.

Conclusion : véganisme et écologie ?

J’ai été bien bavarde encore une fois bien que non exhaustive alors je vais faire court et vous laisser conclure vous-mêmes.

Qu’en pensez-vous ? Véganisme et écologie, même combat ou frères ennemis ? Alliés opportunistes ou simples passagers sur le même Titanic ?


Dans le prochain billet, on se focalisera sur l’éthique – il fallait bien que ça arrive un jour ;).
Véganisme, antispécisme, carnisme, sensibilité, sentience… seront ainsi au menu.

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