C'est ce jour que je suis rentré à Act Up-Paris. Privé de l'enterrement de mon ex mort du sida, j'attendais du PaCS cette reconnaissance dont la République m'avait privé, moi et tant d'autres, au prix de notre dignité, de nos droits, de notre santé, de nos vies.
Ainsi donc, malgré l'hécatombe du sida décimant les gays, et qui aurait dû, à défaut d'une vision politique combattant les hiérarchies homophobes, donner au moins aux parlementaires socialistes les affects nécessaires pour aller voter, ils nous abandonnaient à Christine Boutin.

Cette homophobie socialiste, elle était déjà perceptible dans les atermoiement d'Elisabeth Guigoux, ministre de la justice qui entendait épargner « l'ordre symbolique de la société », en écho aux homophobes de droite qui eux parlaient d'ordre naturel ou divin. Dans les hésitations de Lionel Jospin. Dans le dégoût affiché du ministre de l'intérieur, de la « gauche » plurielle, l'homophobe Chevénement (qui recommençait à expulser des malades du sida dans des pays où ils ne pourraient se soigner, Macron n'a pas imité que son homophobie).
Act Up-Paris n'a pas gentiment demandé le PaCS. Elle n'a pas gentiment demandé le mariage. Nous avons déployé une immense banderole « Homophobes » à la manif de Boutin. Nous avons interpellé la hiérarchie catholique par des actions, par exemple en célébrant un mariage lesbien à Notre-Dame. Nous avons occupé Solférino pour interpeller des « socialistes » sur leur homophobie et leur programme politique refusant l'ouverture du mariage, maintenant donc les inégalités en fonction des orientations sexuelles. Nous avons zappé de nombreux médias pour protester contre leur homophobie sans attendre qu'on nous donne la parole. Nous avons porté plainte contre Vanneste, développé une expertise sur l'effet de l'homophobie sur la santé.
Le militantisme évolue, les actions changent, mais j'ai l'impression que nos luttes sont effacées et qu'on ne tire pas compte des erreurs passées. On laisse croire que des gentils politiques ont voté le Pacs, puis le mariage, et que leur travail a été compliqué par des méchants homophobes, un peu agités, désuets, mais inoffensifs. Mais l'homophobie structure la société, attendre de représentantEs politiques ou des médias qu'ils s'en défasse et qu'ils nous en débarrasse sans intervenir vigoureusement dans l'espace public est vain. Quel sens ont des rassemblements dont le message est "l'amour vaincra" alors qu'il n'est pas question d'amour mais de droit, de société et de politique, d'une homophobie qui structure la politique, l'Etat, les médias ? Si je veux vois l'amour gagner, je lance une pétition pour qu'il y ait enfin un couple homo dans les Feux de l'amour. Si je veux lutter contre l'homophobie d'où découle le refus de la PMA, celui de la Manif pour tous, de Charlie Hebdo ou de Macron, je ne dis pas gentiment "l'amour vaincra" !
La semaine dernière, SOS Homophobie remettait un prix à Christiane Taubira. L'ex Garde des Sceaux a subi sexisme et racisme en défendant notamment le mariage pour tous et mérite de la gratitude. Mais elle vient d'une force politique qui a maintenu les hiérarchies lesbophobes et transphobes en ayant refusé la PMA et le changement d'état civil pour les trans. Elle vient d'un groupe sur lequel il aura fallu travailler 10 ans pour qu'il accepte que, oui, les homos puissent se marier. Pourquoi récompenser des politiques qui arrivent une fois le combat achevé, et ne jamais rappeler le combat au long cours des militantEs anonymes qui se sont tapé tout le travail préalable, dans la haine et l'ingratitude générale, y compris parfois celle de leur propre communauté ? Comment tirer les leçons de nos luttes passées si nos propres représentants associatifs les effacent et entretiennent l'idée que le progrès tombe du ciel grâce à des responsables politiques ? A quoi sert de célébrer un film comme 120 Battements par Minute si c'est pour masquer la nécessité de l'activisme, dans toutes ses formes et de s'en tenir à une confiance dans nos dirigeants politiques qui ne nous a jamais rien apporté?
Ce que nous apprend l'anniversaire du 9 octobre, c'est que nous n'avons rien obtenu sans lutter. Pas en demandant gentiment à un Macron, maintenant ouvertement les hiérarchies homophobes et transphobes par pur calcul politicien, d'avoir du « courage » - comme s'il était question de courage ici. Pas en starifiant des personnalités politiques qui n'ont fait que finir un long travail de fond commencé par des anonymes. Mais en luttant, en perturbant, en s'imposant par tous les moyens dans un espace public, médiatique, politique qui nous exclut.