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Billet de blog 22 octobre 2025

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Une réponse de Jérôme Guedj

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le député Jérôme Guedj a réagi à la lettre ouverte qui je lui avais  adressée. Je la publie, accompagnée des remarques suivantes :

- Jérôme Guedj n'assume pas mettre dos à dos ennemiEs des droits humains et leurs défenseurEs. C'est pourtant très exactement ce qu'il fait dans son interview.

- Le député nie avoir insulté les défenseurs des droits humains. Il continue pourtant de le faire en affirmant que le combat porté par toutes les personnes qui aident les migrants relèverait de "discours moralisateurs",  confondrait "générosité et déni" et manquerait de lucidité. Quand on est seul à prétendre faire preuve de lucidité, quand on accuse sans la moindre idée du travail de terrain les militantEs des droits humains d'en manquer, on ne suscite aucun débat, on ne fait qu'étaler son mépris déconnecté des réalités. 

- La santé, la scolarité, le logement, la sécurité sont des droits fondamentaux universels. Les rendre effectifs pour tous et toutes n'est pas de l'ordre du "discours moralisateur",  de la "générosité", de l'exception humanitaire, du caritatif un peu superflu qui s'opposerait à la politique. Jérôme Guedj est-il universaliste ? Si oui, comment ose-t-il parler ainsi de droits humains pour certaines populations ? Et s'il se dit lucide, comment ose-t-il prétendre que la loi républicaine ne s'opposerait pas à l'universalisme, quand tant de lois privent des populations entières de droits fondamentaux, et quand la loi républicaine vient réprimer les personnes qui les défendent ?

- Le député se dit préoccupé des réalités que je nomme dans ma lettre : les morts causées par les politiques anti-migrants européennes, les atteintes aux droits, etc. Mais alors pourquoi n'en parle-t-il pas à chacune de ses nombreuses apparitions médiatiques. Sur France Info, devant des centaines de milliers d'auditeur-rices, l'invisibilisation déshumanisante des milliers de morts, des atteintes aux droits, le mépris affiché pour  les antiracistes, leur mise dos à dos, je persiste, avec les droites extrêmes et le racisme d'Etat ; mais sur un blog confidentiel de Mediapart, l'assurance que si, si, ces vies comptent un peu ? Mais de qui se moque-t-on ?

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Courrier de M. Jérôme Guedj

Cher monsieur,

Je prends connaissance de votre lettre ouverte publiée dans le Club de Mediapart avec l’attention qu’imposent vos mots, votre engagement et la sincérité de votre indignation. Vous enseignez à Saint-Denis, vous accompagnez vos élèves dans leurs droits, et pour cela je vous exprime mon respect. Rien n’est plus noble que de servir la promesse républicaine dans l’école de la République.

Vous me prêtez des propos (tenus lors d’une émission télévisée du 17 octobre 2025, sur France Info) que vous jugez déshumanisants, anti-universalistes, complices d’une dérive xénophobe.

Permettez-moi d’abord de rappeler que je n’ai jamais cessé, depuis mes premiers engagements, de défendre la dignité de chaque être humain, quelle que soit son origine, sa condition ou son parcours migratoire. La fraternité ne se divise pas : elle vaut pour tous, sans frontières.

Mais la fraternité républicaine n’est pas un absolu abstrait. Elle s’exerce dans le cadre du droit, dans le respect de l’État de droit, dans la recherche de solutions concrètes et soutenables. Dire que la France doit accueillir dignement, mais qu’elle doit aussi maîtriser l’immigration, ce n’est pas renier l’universalisme ; c’est chercher à le rendre réel, durable, partagé. Car une République débordée, impuissante ou désunie n’est plus en mesure d’accueillir ni de protéger.

Vous évoquez avec justesse les drames de la Méditerranée et les tragédies aux frontières européennes. J’y vois, comme vous, une faillite collective, celle d’une Europe qui externalise sa responsabilité et détourne le regard. C’est pourquoi je plaide pour une politique d’asile européenne, digne et humaine, fondée sur la solidarité entre États membres et non sur la sous-traitance à des régimes indignes.

Quant à l’Aide Médicale d’État, aux mineurs isolés, aux travailleurs sans papiers, je partage votre inquiétude. Ces situations appellent non pas des discours moralisateurs, mais des politiques cohérentes : régulariser celles et ceux qui travaillent et contribuent, protéger les plus vulnérables, renforcer les moyens de l’accueil et de l’intégration. Comme député dans ma circonscription, c’est chaque jour qu’avec mon équipe nous accompagnons des étrangers confrontés à l’aberration et à l’injustice de leur traitement par les services préfectoraux : pour des demandes d’admission exceptionnelles au séjour (régularisation) comme pour des renouvellements de titre de séjour qui ne viennent pas dans les délais, plongeant dans une précarité administrative et souvent financière (perte du contrat de travail) des étrangers vivant régulièrement sur le territoire national parfois depuis des années. Je pourrais également évoquer les mêmes obstacles administratifs aux procédures de naturalisation.

À ce titre, j’ai récemment interpellé le ministre de l’Intérieur par une question écrite sur la multiplication des demandes de documents de circulation pour étranger mineur (DCEM) et les délais de traitement particulièrement longs à la sous-préfecture de Palaiseau. De nombreuses familles, en situation régulière, se trouvent confrontées à des mois d’attente pour un document indispensable permettant à leurs enfants de voyager et de revenir en France sans risque d’irrégularité. J’y ai souligné la nécessité de renforcer les moyens humains et techniques des services préfectoraux, afin de garantir la continuité des droits et le respect des engagements républicains.

Là encore, je ne plaide pas la fermeture mais la lucidité, sans laquelle la solidarité et l’intégration elles-mêmes se délitent.

Je ne renvoie personne dos à dos : je combats l’extrême droite et ses obsessions identitaires depuis toujours, sans faiblesse. Mais je crois aussi que la gauche n’a rien à gagner à se couper du réel, à confondre générosité et déni, ou à substituer l’incantation à la responsabilité. L’universalisme ne s’oppose pas à la loi ; il s’y incarne. Il ne consiste pas à choisir entre l’humanité et la République, mais à les tenir ensemble, dans la tension exigeante du politique.

Je ne vous crache pas à la figure, Monsieur. Je vous tends la main du débat républicain. Car c’est de la confrontation honnête des convictions, non des invectives, que naît la force des idées. Et dans un moment où la peur et la colère menacent d’emporter la raison, notre devoir commun est de continuer à parler — fermement, humainement, républicainement.

Veuillez croire, Monsieur, à l’assurance de ma considération respectueuse.

Jérôme Guedj
Député socialiste de l’Essonne

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