[Je mets en illustration de cet article quelques captures d'écran des posts du Planning familial des Bouches-du-Rhône, qui permettront à chacunE de juger du niveau d'entrisme des "islamistes" décrit par Naëm Bestandji.]
Une campagne de diffamation, relayée sans prudence par Marianne, touche le Planning familial et vise à faire croire qu'il serait infiltré par des militantEs « islamistes ». Au coeur de cette campagne grotesque, un bloggueur qui se dit féministe et laïque.
Un modèle de rhétorique complotiste
Les textes de Naëm Bestandji, dont celui repris dans l'article de Marianne, sont des modèles de rhétorique complotiste. Il écrit par exemple le 22 septembre : « certains Plannings de province abandonnent progressivement leurs valeurs historiques pour se rapprocher des valeurs de l'intégrisme musulman. »
En dehors des Bouches-du-Rhône, on n'aura aucun exemple concret de Planning se rapprochant des « valeurs de l'intégrisme musulman ». L'affirmation « certains plannings » n'est donc pas étayée. Ces « valeurs » ne sont évidemment pas définies, permettant de faire passer le simple respect de la liberté de conscience prévue par le droit français comme de l'intégrisme. Tout peut donc devenir signe d'intégrisme. L'adverbe « progressivement » permet de laisser croire à un long processus, parfois invisible. C'est bien pratique quand on n'a aucun fait à apporter. Si je vous montre la campagne relayée par le Planning de Marseille sur la sous-représentation des minorités sexuelles comme preuve de l'absurdité d'un quelconque entrisme opposé aux droits des personnes, on pourra me répondre : "mais c'est progressif, attends, il y a des signes".
On est donc en pleine rhétorique du doute, qui permet de porter des accusations sans preuve au nom d'un long processus « progressif » tout en s'abstenant de décrire les étapes de ce processus. Et cela permet d'englober toute la structure associative (« certains »), tout en se ménageant une porte de sortie en cas d'objection patente.
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C'est ce ce que ne manque pas de faire Naëm Bestandji dans son post du 25 septembre : « je n'ai jamais dit que l'ensemble du Planning Familial soutient l'excision », écrit-il, ce qui n'est pas faux. Il avait simplement écrit à propos de l'excision le 22 septembre : « J'aimerais savoir si le siège à Paris cautionne ces nouveaux idéaux. ». Il posait donc comme hypothèse plausible le fait que le siège national puisse soutenir l'excision. Le 25 septembre, il écrit : « Il est évident que le Planning a toujours combattu ces mutilations. » Le 22 septembre, le feministe aurait donc aimé savoir ce qui était évident le 25. Très cohérent.
En trois jours, donc, le militant se contredit sur les positions du Planning, et ses contradictions relèvent du fait, documenté, prouvable, non d'une rhétorique du doute à laquelle lui se tient.
Sur l'excision
En dehors de cette rhétorique, le militant produit un échange sur le compte Facebook autour de la notion de « liberté de choix » et de l'excision. Or, comme le reconnait lui-même l'intéressé, l'excision n'est pas une pratique religieuse. Qu'importe à Bestandji dont on peut résumer la pensée ainsi : " c'est quand même du patriarcat, je nuance un peu, donc c'est pas pareil que l'intérisme musulman, mais je le mets quand même." Toujours très cohérent, Bestandji regrettera le 25 septembre l'amalgame entre sa critique de visuels mettant en scène une femme portant le voile et la question de l'excision, amalgame qu'il a été le premier à faire. Et il reprochera au Planning de se défendre sur cette dernière question et non sur la première (ce qui est au demeurant faux) , alors même que l'accusation de complaisance envers de telles violences mérite largement la priorité.
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J'ai déjà analysé cet échange et rappelé que la réponse du Planning des Bouches-du-Rhône était très claire : les excisions sont des violences faites contre les femmes, contre leur gré. En défendant le libre choix, le Planning s'oppose bien à l'excision. La réponse est donc bien plus large que la réponse attendue, mais ne l'exclut pas, bien au contraire. Comme je l'avais déjà indiqué, la généralisation de la réponse tient peut-être aussi au refus de rentrer dans le piège tendu par l'internaute ou par le fait que la position du Planning est si évidente qu'il n'y a pas besoin de la rappeler et que l'autrice de la réponse a préféré insister sur la notion plus générale de choix, notion excluant de façon évidente l'excision.
Bestandji, qui se rappelle opportunément le 25 septembre l'évidence de la condamnation de l'excision par le Planning n'a pas daigné songer le 22 septembre que cette évidence expliquait la réponse sur Facebook, bien mieux que l'hypothèse absurde d'une quelconque complaisance. Un détail, sans doute.
Il faut donc être d'une parfaite malhonnêteté pour voir dans cet échange la preuve d'un « intégrisme musulman ». Si on lui appliquait d'ailleurs sa malhonnêteté, on pourrait noter que dans son texte du 25 septembre, il relativise la gravité de l'excision : « Focaliser sur la mise au point sur l'excision (...) permet au Planning d'esquiver le sujet de fond qu'est son rapprochement avec le religieux, sujet central de ma publication. » Le militant féministe écrit noir sur blanc que la question de l'excision n'est pas un sujet de fond. Imaginez ce que cela donnerait si le Naëm Bestandji du 22 septembre lisait la prose du Naëm Bestandji du 25 avec la même malhonnêteté. Mais les méthodes dégueulasses valables pour le Planning familial appliquées à Naëm Bestandji susciteraient un tollé mérité ; elles ont été applaudies pour le Planning. L'universalisme est un métier.
Sur le voile et la nudité
Autre « preuve » de Naëm Bestandji, quatre visuels d'une campagne anglo-saxonnes, montrant respectivement une femme en sous-vêtement, assez grosse, assise en tailleur, avec un message en anglais : « La nudité renforce le pouvoir (empowers) certaines femmes » ; une femme portant un voile et parlant au téléphone, avec comme message : « la modestie renforce le pouvoir de certaines femmes » ; un message unique indiquant : « différentes choses renforcent le pouvoir de différentes femmes » ; et un dernier message : « le féminisme est leur droit de choisir ».
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Le 22 septembre, ce visuel inspire au militant féministe les analyses suivantes : « mettre sur le même plan la nudité et le voile est bien un raisonnement d'islamistes obsédés par leur libido. » Or rien dans la campagne relayée par le Planning ne fait référence au désir sexuel des hommes, puisqu'il n'y est question que du choix des femmes dans ce qui leur donne du pouvoir. L'introduction de la libido est donc particulièrement gênante. Est-ce la seule présence de nudité féminine qui déclenche ce réflexe chez le militant féministe ?
Cette gêne se confirme dans son post du 25 septembre. Naëm Bestandji y décrit ainsi le premier visuel : « Ce dessin met en scène une femme ronde, blanche, en sous-vêtement dans une attitude dévalorisante. » Or, la femme est assise en tailleur. Quel souci faut-il avoir avec la représentation d'une femme ronde en sous-vêtements et assise pour la juger « dévalorisante » ? On ne le saura pas.
Quoi qu'il en soit, en introduisant la libido (celle des islamistes, mais qui de toute évidence sert de relais à celle de l'auteur du billet) ou ce regard jugeant une femme assise et en sous-vêtement « dévalorisant », c'est bien le regard d'un homme jugeant des femmes que réintroduit Naëm Bestandji. La campagne vise précisément à valoriser des formes différentes d'assumer son corps et sa tenue face au regard des hommes. Naëm Bestandji fait de son regard d'homme assignant aux femmes tenues et positions. Ce n'est pas du féminisme, c'est la base du machisme.
Dès lors, la construction fantasmatique de ces visuels comme propagande d'un « intégrisme musulman », totalement démentie par les messages portés, n'est même plus le centre du problème. C'est bien l'authenticité du féminisme du militant qui est en cause, tant sa prose transpire le jugement sur les tenues et l'apparence qu'ont les femmes, et son désir de les normer à leur place.
Assumer ses responsabilités ?
Ces derniers jours, l'antenne visée par la campagne complotiste, celle du Bouche-du-Rhône lançait un visuel « Ma chatte, mon choix », célébrait la légalisation de l'IVG en Irlande, mettait en avant une campagne sur la sous-représentation des personnes LGBT dans l'espace public, etc. Autant de preuve du ridicule des accusations hors-sol de Naëm Bestandji : à moins bien sûr d'imaginer un scénario à la OSS 117, où les agents secrets, peut-être dormants, des Frères musulmans, prennent le contrôle du Planning familial (et d'Act Up-Paris, hein, n'oublions pas....) pour y faire la promotion de l'IVG, défendre les droits des homos, des trans et des intersexes, et crier « Ma chatte, mon choix ».
Le caractère grotesque n'a pas arrêté la campagne. Au point que Marianne remette en cause la rigueur des interventions du Planning à l'école, rejoignant ainsi la Manif pour tous dans ses attaques hors-sol, mais aux conséquences bien réelles, contre l'éducation à la sexualité. Au point que la ministre de la santé Agnès Buzyn indique sur BFM TV qu'elle prend au sérieux ces calomnies et qu'elle va les étudier. Le Planning familial doit notamment faire face aux difficultés dans l'accès concret à l'avortement (baisse de financement, liberté de conscience des médecins), les politiques ne réagissent pas sur la question, mais la ministre de la santé pense plausible la campagne de diffamation. Avec quelles conséquences ? Des baisses de budget ? Le militant féministe, en utilisant l'arme de la calomnie au lieu d'un débat rigoureux et respectueux des diverses formes de féminisme, aurait réussi un beau record : ce que Marion Maréchal (Le Pen) avait promis, baisser les subventions du Planning du 13, le féministe universaliste l'aura peut-être obtenu. Mais ce n'est qu'un exemple d'une longue liste de la convergence des attaques de l'extrême-droite et des faux universalistes contre la diversité du féminisme, comme de l'antiracisme.