Samedi 26 mars, la porte-parole du Strass (Syndicat du travail sexuel) publie sur Twitter trois captures d'écran montrant qu'elle a fait don d' un euro au Mouvement du nid, à Osez le féminisme et au Parti communiste français. Elle accompagne ces photos du message suivant : « Le travail du sexe est mon unique revenu. À votre tour d'être des proxénètes "selon ce que dit la loi". » Une quatrième capture d'écran cite l'article 225-5 du Code pénal qui définit le proxénitisme. Il s'agit notamment, dans le deuxième alinéa, de « tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution ». En droit, un don d'une personne qui tire ses revenus de la prostitution est donc bien du proxénétisme.
Le Strass (mais aussi Act Up-Paris, voir ce thread très pédagogique) dénonce cette définition trop large du proxénétisme qui sert de fait non à lutter contre l'exploitation et la traite, mais à s'en prendre aux travailleuses du sexe elles-mêmes. Elle permet par exemple d'arrêter deux travailleuses du sexe qui co-louent le même appartement. « Censées nous protéger des exploiteurs, écrit le Strass dans la section 'Décriminalisation du travail sexuel' de son site, [les dispositions contre le proxénétisme] font aussi obstacle à l’exercice de la prostitution en nous refusant la possibilité de nous organiser (en nous empêchant, par exemple, de partager un lieu de travail) ou de bénéficier d’une quelconque aide extérieure. Ces dispositions ont également pour conséquence de nous isoler toujours plus du reste de la population, en accusant de proxénétisme toute personne bénéficiant de nos revenus, y compris les membres de notre famille ou nos amis, à moins de prouver que leur train de vie correspond à leurs ressources. » Dans la section « Droit Commun », le syndicat ajoute : « Le droit pénal français dispose de tous les outils nécessaires pour lutter contre la traite et l’exploitation des êtres humains. La pénalisation du proxénétisme est surabondante et ne sert qu’à stigmatiser les travailleurSEs du sexe. »
Comment défendre des mesures qui stigmatisent, répriment, précarisent les personnes que l'on prétend défendre ? Comment s'imaginer quand l'état actuel de la définition du proxénétisme, on puisse efficacement lutter contre la traite et l'exploitation ? Le PCF et les associations abolo-prohibitionnistes qui l'inspirent se gardent bien de citer l'alinéa 2 et invisibilisent les conséquences matérielles sur les femmes ainsi visées, et leur entourage proche.
Les positions du Strass lui valent depuis longtemps des campagnes de la part de militantEs abolo-prohibitionnistes, notamment au sein du PCF, qui sont bien incapables de répondre sur le fond. Ces campagnes relèvent du mensonge. En 2011, la vice-présidente communiste de la région Ile-de-France avait été condamnée en diffamation, suite à une plainte du syndicat, pour avoir évoqué les assises de la prostitution qu'il co-organisait au Sénat ainsi : « Nous pouvons remercier Sarkozy d'avoir offert aux proxénètes, déguisés en prostitués ou en alias de prostitués, une clé magique qui leur ouvre toutes les portes, notamment celles du Sénat. » Cette condamnation n'a pas découragé les militantEs du parti. En juillet 2020, des élues communistes ont co-signé une tribune mensongère déformant les revendications pourtant très claires du Strass sur le proxénétisme. Plus de 30 organisations, dont le Planning Familial, Aides et Sidaction, avaient défendu le Strass contre ces calomnies. A quelques semaines des élections, il est bon de la relire, et notamment ce passage où les associations répondaient aux pulsions de censures, y compris journalistiques, incompatibles avec les libertés fondamentales : « On ne peut agir politiquement sur un sujet sans les premières concernées. Vouloir faire taire les voix des travailleuses du sexe et leurs organisations par le mensonge et la diffamation, demander aux médias de ne plus recueillir leur parole, militer pour un traitement journalistique unilatéral de la prostitution sont non seulement des revendications ou méthodes illégitimes en démocratie, mais dangereuses pour les combats d'émancipation, de protection sociale, de luttes contre les violences et pour la santé de personnes exclues et précarisées, que l'État français menace, lorsqu'elles sont sans-papier, d'expulsion du territoire au lieu de les protéger. Les signataires de ce texte publié dans l'Humanité le savent. » Voulons-nous vraiment voter pour un parti qui veut interdire aux journalistes de faire leur travail dans le respect du pluralisme des voix ?
Le harcèlement, la calomnie et la volonté de faire taire le Strass se sont fait particulièrement intenses ces dernières semaines. Un petit groupe de militantEs du Mouvement des Jeunes Communistes, ou de l'Union des Étudiants communistes, dont certainEs disposent de mandats locaux ou nationaux engageant donc la structure entière, s'active sur Twitter pour relayer diffamations et menaces, y compris de goulags, comme le propose un responsable des étudiants communistes .

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Évoquant des « menaces » du syndicat, dans une inversion accusatoire typique des harceleurs, son homologue parisien appelle les militantes du Strass les « strasseux » au masculin, alors que l'association est composée de femmes. La transphobie traverse tous les tweets où il est question des « hommes du Strass », expression qui ne peut que désigner les femmes trans qui y militent. C'est par exemple cette dénomination qu'utilise une responsable parisienne du mouvement des jeunes communistes. De son côté, le secrétaire de section d'Orléans, et responsable nationale de la communication de l'UEC propose de prendre la digne suite de Gérald Darmanin, et, après le CCIF ou Nantes Révoltée, de dissoudre le Strass. L'individu, qui assume son cumul des mandats, se déclare aussi coordinateur fédéral des JC et membre du bureau du PC du 45.

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Le tout est évidemment dit sur le ton de l'humour, dans la tradition issue de l'alt-right US du Connard de Shrödinger, cette stratégie qui permet de proposer les pires horreurs et de se rétracter ensuite si les protestations sont trop violentes. Ces responsables de structures jeunesses du PCF peuvent compter sur le relai de spécialistes de cette stratégie, les confusionnistes rouge brun qui se disent membres du parti, et donc certains ont fait partie de la « Charlosphère », ce groupe de jeunes mecs blancs qui, au printemps 2020, ont constitué un groupe de cyberharcèlement ciblant notamment des féministes et des militantEs LGBTQI. Le fondateur de ce groupe a lui-même relayé un de ces mensonges de militantEs. Alors que le Strass appelait les travailleuses et travailleurs du sexe ukrainienNEs à s'informer de leurs droits en France, dans une démarche d'auto-support, Camarade Charles, inspiré par les mensonges des organisations abolitionnistes et des cyberactivistes du PCF, a qualifié le Strass de « syndicats de proxénètes ». Le « féminisme » des Jeunes Communistes est ainsi relayé par un individu qui a pu écrire que « le patriarcat est une théorie du complot socialement acceptable ». Cela n'empêche pas ces mêmes militantEs communistes de dialoguer avec lui – tout en refusant la parole aux femmes du Strass. De même que Roussel a débattu avec Pécresse, mais refuse tout dialogue avec les travailleuses du sexe.
En dehors d'Act Up-Paris, ciblée elle aussi par les mêmes militantEs et par une plainte baillon d'une élue PC parisienne, les associations portant les mêmes positions que le Strass ne sont pour le moment pas visées par ces campagnes. Il est vrai qu'il serait plus délicat de traiter le Planning familial, Aides ou Médecins du Monde de « proxénètes ». C'est le signe que ce qui est visé, c'est bien la parole des premières concernées, des femmes précaires qui mènent des luttes autonomes, en s'auto-organisant. C'est bien cela que le PCF vise aujourd'hui.
Victimes ou coupables. Le procédé de disqualification est classique. On le voit particulièrement à l’œuvre pour empêcher les femmes portant le voile de parler en leur nom : elles seraient ou bien aliénées par leur entourage masculin, ou bien complices de l'islamisme et du patriarcat. C'est bien ce qui se joue aussi dans les campagnes de harcèlement organisées par les jeunes communistes et leurs associations alliées. Certaines se chargent de dire qu'on ne doit pas écouter les travailleuses du sexe car elles seraient traumatisées ou contraintes. Les communistes se chargent de dire que celles qui n'ont pas le discours autorisé par le parti sont des proxénètes, des coupables. La qualification de la prostitution comme « viol tarifé » sert aussi à cela. En toute logique, les abolo-prohobitionnistes devraient dire que c'est le recours à la prostitution qui serait du viol tarifé. En qualifiant ainsi la prostitution elle-même, le PCF rend les travailleuses du sexe complices de ce « viol ».
Pour connaître les positions exactes du Strass, le mieux est encore d'aller sur leur site. Je recommande notamment cette page qui répond aussi à un autre mensonge colporté par le PCF : « Ni abolitionnistes, ni réglementaristes : syndicalistes ! »