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Billet de blog 30 novembre 2025

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Sida : poussée d’obscurantisme chez un ponte de l’APHP

Analyse d’une poussée obscurantiste d’un ponte de la médecine française en matière de lutte contre le sida.

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Le 1er décembre est la journée mondiale de lutte contre le sida. Au deuil, aux morts auxquels on pense, à la nécessité de se battre encore et toujours se rajoute la colère face aux régressions. Trump a asséché les moyens à la prévention et à l’accès aux traitements. Partout, l’extrême-droite impose son agenda, stigmatisant un peu plus les populations-clés de l’épidémie (personnes LGBTQI, usagErEs de drogues, travailleuses du sexe, migrantEs, prisonniErEs). En France, les municipales s’ouvrent, et la plupart des partis de gauche continuent d’ignorer le consensus scientifique et les recommandations des expertEs de la lutte contre le sida, quand il s’agit des politiques à mener à l’égard des travailleuses du sexe (voir le cas du PCF par exemple ici) ou des usagEres de drogues : ils rivalisent de propositions réactionnaires qui compromettent la prévention, le dépistage et l’accès précoce à des traitements.

Illustration 1

Dans notre pays, les diagnostics de VIH chez les jeunes hommes ont augmenté de 41 % en 10 ans selon Santé Publique France. Ce chiffre terrible, annoncé il y a une semaine, n’a que trop peu fait réagir : signe d’une indifférence coupable qui a toujours marqué la lutte contre le sida, et contre laquelle les activistes d’Act Up-Paris ont toujours eu à combattre ? Conséquence des budgets austéritaires votés sans cesse depuis 10 ans ? Effets de la stigmatisation raciste et xénohobes des lois et pratiques administratives qui excluent de plus en plus les jeunes récemment arrivés en France, particulièrement touchés par le phénomène ? Insuffisance des moyens dévolus à la prévention à l'école ? Le sujet mérite un débat public, et des solutions.

Le député LFI Andy Kerbrat est une des rares personnalités à avoir relayé l’alerte le 26 novembre sur Twitter / X : « Cette hausse des contaminations ne doit pas surtout être prise à la légère. On crève de l’indifférence. Il est primordial d’investir (enfin) des moyens importants dans la prévention, l’éducation sexuelle et le dépistage du VIH et des autres IST. Le mot d’ordre n’a pas changé depuis les années 80 : silence = mort » (slogan fondateur d’Act Up-Paris)

Illustration 2
Titre de l'Huma, 26 novembre 2025

Chef du service des urgences d’un hôpital de Saint-Denis et personnalité souvent invitée des médias, Mathias Wargon a choisi de discréditer le relai de cette alerte. Il retweete le 26 novembre le message du parlementaire accompagné du commentaire suivant : « Par un mec qui pratique le chemsex. Qui est source de contamination ».

Illustration 3

A plus d’un titre, ce court message est irresponsable, stigmatisant et obscurantiste1.

Irresponsable, puisque Mathias Wargon décide de discréditer une alerte de santé publique. Il use de sa capacité d’influence, de sa position dans le débat public, pour faire du chemsex pratiqué par un gay le problème central. L’explosion du nombre de cas de VIH chez les jeunes ne serait donc plus un problème digne d’être abordé2. Dans les journées qui suivent, l’urgentiste continuera de minimiser l’alerte de santé publique. Il relaie ainsi pour s’en moquer un compte qui a mal compris l’augmentation de 43 % et déforme l’information dans un sens exagéré. Mathias Wargon reprend ainsi une pratique rhétorique courante sur les réseaux sociaux réactionnaires pour moquer une alerte ce qui contribue à empêcher que soit abordée la réalité préoccupante des données épidémiologiques. 

Stigmatisante, puisque l’hospitalier fait d’un homme gay pratiquant le chemsex les responsables de la dynamique de l’épidémie et leur signifie qu’à ce titre, ils et elles ne devraient pas relayer des alertes de santé publique3. Or, si la pratique du chemsex peut accroître divers risques en santé, dont celui d’une infection au VIH ou à des IST, la mise au pilori public à laquelle Mathias Wargon se livre n’a rien à voir avec un message de prévention, et reflète des biais homophobes et toxophobes, sans doute inconscients, mais bien effectifs. Je n’ai trouvé aucun message de l’urgentiste pour signaler à un parlementaire hétérosexuel, buvant de l’alcool acheté sur fonds publics à la buvette de l’Assemblée nationale, qu’il ne doit pas parler de prévention des cancers, ni pour lui imputer la responsabilité de ces cancers. Et si Mathias Wargon se défend de toute stigmatisation, comment peut-il justifier relayer un compte d'extrême-droite raciste, obscurantiste et homophobe, sous prétexte qu'il dit du mal du député ? Et comment peut-il se permettre d'insulter celles et ceux qui l'alertent sur la teneur de son message, allant même à les comparer à des terroristes qui voudraient sa mort ?

Illustration 4
Illustration 5

Obscurantiste, puisque le message contredit le consensus scientifique et les recommandations médicales établies dans la lutte contre le sida, et qui appellent non seulement à lutter contre la stigmatisation des populations-clés, mais aussi à les intégrer au débat public et à la prise de décision. Ronald Reagan ou Jean-Marie Le Pen tenaient les usagErEs de drogues pour des irresponsables vecteurs du sida. Pourtant c’est en prenant en compte leurs paroles, via les associations activistes, en réduisant la répression pour permettre l’échange de seringues et les autres pratiques de réduction des risques, et en s’appuyant sur une évaluation scientifique qu’on a pu diminuer drastiquement les contaminations au sein des usagers injecteurs. Comment Mathias Wargon peut-il répandre des messages dignes des pires ignares des années 80 ?

La question est d’autant plus brûlante que l’urgentiste s’est notamment fait connaître pour avoir combattu l’obscurantisme antivaxx et les pro-Raoult, y compris au prix de procédures judiciaires contre lui. Comment peut-il dès lors verser dans ce qu’il a combattu quand il s’agit de VIH, de sexe gay et de drogues ?

Ce message envoyé par un urgentiste peut avoir un autre impact : comment une personne qui aurait pris un risque après une soirée où elle a couché et pris des produits pourrait-elle aller aux urgences prendre un traitement préventif (TPE)4 si elle craint d’y être jugée par les personnes d’un service dont le responsable use de son exposition sur les réseaux pour tenir de tels propos ? Les TPE sont sous-utilisés, notamment chez les jeunes chez qui on a constaté cette explosion alarmante des diagnostics VIH +. Urgentiste, Mathias Wargon ne pourrait-il pas mettre à profit son impact sur les réseaux sociaux pour en assurer la promotion et garantir un accueil sans stigmatisation, au lieu d’étaler ses préjugés réactionnaires ?

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1Mathias Wargon a supprimé le tweet avec cette précision : « Je le fais parce qu’il était maladroit pour certains de bonne foi. » Il déviera par ailleurs du problème posé par son premier tweet en rappelant qu’Andy Kerbrat a acheté de la drogue à un mineur avec de l’argent public. Or ce rappel légitime n’a rien à voir avec le message initial de Mathias Wargonn et a aussi pour effet de toujours plus éloigner la question de santé publique que le député voulait mettre en avant.

2Mathias Wargon recommencera quelques jours plus tard en s’en prenant à nouveau à Andy Kerbrat quand il lance une alerte sur l’Aide Social à l’Enfance dans sa circonscription et la mise en danger des mineurs placés ou isolés. Pourquoi l’urgentiste a-t-il besoin de faire des écrans de fumée pour des alertes concernant la santé et la sécurité des plus jeunes ?

3Mathias Wargon prétendra dans les jours suivants que son tweet exprimait un regret que le député ne témoigne pas à la première personne du risque auquel l’exposerait la pratique du chemsex à l’égard du VIH, plutôt que de parler « des autres », les jeunes. Outre que rien dans le message initial ne confirme cette interprétation a posteriori, il s’agit encore d’intimer à un député ce qu’il doit ou ne doit pas dire en fonction de ses pratiques jugées indignes. C’est bien encore de la stigmatisation :

4Pris très rapidement après une prise de risque, le Traitement Post Exposition (TPE) permet d’éviter une contamination.

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