Retour sur la journée d’étude du 20 octobre 2018 à l’Université Jean Jaurès de Toulouse, soutenue par l’Association des Psychologues du Comminges, l’Association Le Cardo et le pôle 2 du Laboratoire Clinique Pathologique et Interculturelle :
« médecins généralistes, psychologues , psychanalystes, quelles collaboration ? »
Quelques interventions (des intervenants) repérées pour mon propos qui concernera exclusivement le dispositif expérimental de
« PRISE EN CHARGE DE L’ASSURANCE MALADIE DES THÉRAPIES NON MÉDICAMENTEUSES »
- « un langage commun avec plus d’interactions » .
- « collaboration ».
- « une inter professionnalité au service des patients ».
- « le couple réparateur. »
- « l’écoute du sujet pour une réelle demande… »
Pour quoi faire ?
Dans la convention cadre avec l’ARS il y a 4 cases à cocher :
1 : Thérapie comportementale et cognitiviste (TCC)
2 : Psychothérapie psychodynamique ou d’inspiration psychanalytique
3 : Thérapies familiales et systémiques
4 : Psychothérapie interpersonnelle
J’ai coché la 2 et la 4 en estimant que dans ce cadre, sur lequel je reviendrai, je pouvais travailler avec un certain nombre de convictions cliniques et politiques relevant de la psychanalyse et des politiques de santé publique.
Le cadre contraint et les politiques de santé sont contraignantes.
J’ai pendant une vingtaine d’années de direction d’établissements médico sociaux embauché, licencié des psy (psychiatres, psychanalystes, psychologues).
Il a souvent été difficile de leur faire entendre que le cadre institutionnel est, pour eux aussi, pour leurs pratiques, contraignant.
Un contrat de travail, une fiche de fonction ou de poste sont contraignants.
Ce sont des prescriptions.
Nombreux sont les psy installés en libéral qui travaillent en institution.
Ils travaillent sur prescription.
Ce n’est pas toujours possible et jamais facile.
Il s’agit de gérer au mieux un certain nombre de contradictions, c’est parfois possible y compris pour ceux qui portent une critique institutionnelle et une critique des politiques de santé.
Il vaut mieux d’ailleurs qu’ils la portent cette critique.
Ce premier point invalide pour moi les arguments de certains psy opposant qu’ils ne peuvent (?), ne doivent (?) ne veulent (?) pas travailler sur prescription.
Ceux qui avancent ces arguments ignorent qu’ils n’échappent pas eux mêmes a un grand nombre de prescriptions qui sont d’autant plus opérantes qu’elles fonctionneraient à leur insu.
Il est selon moi préférable, de ces prescriptions, d’en faire son propre inventaire ?
Ces prescriptions sont de différents ordres, au plan personnel et institutionnel, au plan idéologique et inconscient.
La convention cadre implique donc une prescription médicale, ce qui est incontournable dans le cadre de la mise en place d’un dispositif relevant des politiques de santé publique.
Il est aussi incontournable que ce dispositif implique, puisqu’il s’agit de santé mentale, les psychiatres.
Sur ce point le concepteur rédacteur a été remarquable.
Le psychiatre est le seul praticien qui n’est pas « figuré » dans le descriptif du dispositif et son implication est « possible ».
L’ensemble du descriptif est dans le détail remarquable à la fois pour noter l’architecture des contraintes liées à nos politiques de santé (dont l’ARS est le garant) tout en laissant prospérer un certains nombre d’imprécisions, d’ambiguïtés, voire de contradictions.
C’est du reste le lot de toutes les prescriptions... on oublie toujours quelque chose.
Dans ces contraintes il y a l’évaluation qui est une obligation.
L’évaluation est souvent une malédiction pour les psy, une malédiction aussi au sens étymologique.
C’est mal dit car dit sur des critères essentiellement quantitatifs, c’est vrai !
La encore le rédacteur a été remarquable.
L’expérimentation souscrit à l’évaluation et l’évaluation pour l’ARS c’est, du moins dans un 1er temps, une évaluation quantitative.
Il s’agit d’évaluer quantitativement des perceptions qualitatives et le patient évalué relève du dispositif en fonction d’un score compris entre une limite inférieure et supérieure.
En deçà, il ne va pas assez mal, au-delà, il va trop mal.
Par exemple pour le PHQ 9 :
Q6 :Avez vous une mauvaise opinion de vous même ou avez vous le sentiment d’être nul ou d’avoir déçu votre famille ou vous même ?
Les réponses sont
0 : jamais
1 : plusieurs jours
2 : plus de la moitié des jours
3 : presque tout les jours
Autrement dit : pas du tout, un peu, beaucoup, passionnément !
La pertinence et la scientificité du questionnaire n’appellent aucun commentaire sinon qu’elle est du niveau d’un magazine de divertissement populaire.
Il en fallait toutefois un !
Le questionnaire de Conners à l’usage des parents d’enfants suspectés d’hyperactivité est du même genre, et pour partie le DSM.
Le GIR détermine le niveau d’autonomie et la tarification pour les placements de personnes âgées dépendantes : pas du tout, un peu...
Ainsi vont les procédures d’évaluation.
Peut on en supposer que pour mettre en place ce dispositif, il a fallu l’habiller et le rendre présentable à l’épreuve des figures imposées de l’évaluation ?
C’est pas impossible, car ce dispositif de « prise en charge par l’assurance maladie des thérapies non médicamenteuses » aurait le double avantage d’être plus efficace que les médications ( études citées par la CNAM) et d’être moins coûteux !
Il a donc de grande chance d’être généralisé.
La question qu’il m’importe de partager est alors, comment s’en servir !
Là sont mes divergences avec les intervenants de la journée promouvant un « langage commun », « une inter professionnalité », une collaboration etc.
Je propose la non communicabilité et donc la non communication.
J’ oppose au commun de l’union ou de l’intersection, la différence symétrique et il me semble que c’est la condition nécessaire pour rester psychanalyste. L’intersection serait une pratique commune au médecin et au psychanalyste. La différence symétrique, c’est tout le contraire, c’est tout ce qui n’est pas commun, ce qui appartient à l’un et pas à l’autre.
Autrement dit, ces 2 pratiques n’ont rien en commun et c’est de cela qu’elles pourraient et devraient se parler.
Il y a une rupture épistémologique radicale entre le savoir du médecin et celui du psychanalyste.
C’est ce qu’il faut dans ce dispositif préserver...autant que faire se peut.
C’est aussi l’enjeu de la psychanalyse en institution.
Cette rupture, elle est évidemment aussi dans la pratique lorsqu’un patient nous tend sa « prescription » et nous interroge, toujours de façon singulière, que j’élude:
« Bon, maintenant qu’est ce qu’on fait docteur ? »
On se trouve parfois dans des situations rappelant ces parents qui viennent pour nous « montrer » leur enfant...qui a des problèmes.
Je me suis installé en 1985, jeune psychanalyste, avec 2 médecins, 1 kiné et 1 psychologue.
C’était un vieux projet d’étudiants : nous avions décidé de nous installer ensemble !
Nous avions créé une association promouvant une « approche globale de la personne humaine » !
Le pléonasme annonçait un malentendu (et des malentendants), fondé sur une amitié et sur une fascination réciproque entre le médecin et le psychanalyste.
Fascination de cette proximité avec la mort et le vivant.
Fascination de cette proximité avec le désir et la jouissance.
Tout cela peut faire connivence.
S’il y a bien quelque chose qui disjoint nos pratiques c’est bien le symptôme.
Je propose donc la non collaboration, mais c’est du travail !
Aucamville le 31 octobre 2018
Michel Cazeneuve