Canto selvaggio
Ho gridato di gioia, nel tramonto.
Cercavo i ciclamini fra i rovai:
ero salita ai piedi di una roccia
gonfia i rugosa, rotta di cespugli.
Sul prato cribellato di macigni,
su l capo biondo delle margherite,
sui i miei capelli, sul mio collo nudo,
dal cielo alto si sfaldava il vento.
Ho gridato di gioia, nel discendere.
Ho adorato la forza irta e selvaggia
che fa les mie ginocchie avide al balzo;
la forza ignota e vergine, che tende
me come un arco nella corsa certa.
Tutta la via sapeva di ciclami;
i prati illanguidivano nell'ombra,
frementi ancora di carezze d'oro.
Lontano, in un triangolo di verde,
il sole s'attardava. Avrei voluto
scattare, in uno slancio, a quella luce,
e sdraiarmi nel sole, e denudarmi,
perchè il morente dio s'abbeverasse
del mio sangue. Poi restare, a notte,
stesa nel prato, con le vene vuote:
le stelle -- a lapidare imbestialite
la mia carne disseccata, morta.
Pasturo, 17 Luglio 1929
Chant sauvage
J'ai crié de joie dans le crépuscule.
Je cherchais les cyclamens entre les ronces:
j'étais montée aux pieds d'un rocher
boursouflé et rugueux, débâcle de buissons.
Sur le pré criblé de cailloux,
sur la tête blonde des marguerites,
sur mes cheveux, sur mon cou nu,
Depuis les hauteurs du ciel le vent s'émiettait.
J'ai crié de joie, au cours de la descente.
J'ai adoré la force échevelée et sauvage
qui rend mes genoux avides de bondir;
la force inconnue et vierge, qui me tend
comme un arc dans sa course certaine.
Tout le chemin avait la saveur des cyclames;
les près s'effaçaient dans l'ombre,
frémissant encor de caresses d'or.
Au loin, dans un triangle de verdure,
le soleil s'attardait. J'aurais voulu
m'élancer, en un bond, vers cette lumière,
et m'allonger au soleil, et me dénuder,
pour que le dieu mourant s'abreuve
de mon sang. Puis rester, à la nuit,
étendue dans le pré, avec les veines vides:
les étoiles -- enragées à lapider
ma chair desséchée, morte.
Notes sur le texte et la traduction:
Ce limpide poème en vers libres est d'une qualité remarquable pour une autrice âgée de seulement dix-sept ans; il pose peu de difficultés de traduction.
Le début du texte évoque les courses en montagne de Pozzi (qui pratiquait l'alpinisme) tout comme le poème ultérieur "Sentier" que j'ai précédemment traduit (voir ici). Les derniers vers de ce poème-ci paraissent être une anticipation du suicide de l'auteur une décennie plus tard (couchée en pleine nature, Antonia Pozzi se laissera mourir après avoir absorbé des barbituriques.)
'tramonto': c'est le coucher du soleil, le crépuscule du soir, et c'est aussi le déclin ("il tramonto dell' ideologia' est un essai politique de Lucio Colletti); en français, le 'crépuscule' peut être du matin ou du soir, mais la plupart du temps, c'est le crépuscule du soir dont on parle. Je n 'ai donc pas jugé utile d'ajouter cette précision, malgré le "Crépuscule du soir" de Baudelaire.
'ai piedi': j'ai conservé en français le pluriel "aux pieds" qui tend à transformer le rocher en une statue de divinité animiste.
'rotta' peut vouloir dire 'route', 'cap' ou bien 'rupture', 'défaite', 'débâcle' (cf. déroute) mais aussi 'rompue'. Cette dernière interprétation étant proscrite par le complément "di cespugli' (seul un complément d'agent "da cespugli" aurait un sens ici: "rompue par des buissons"), il reste à choisir entre la route et la déroute; on ne voit pas bien en quoi ce rocher nu serait une route de buissons; en revanche, il est concevable que sa surface rugueuse ne permette pas aux buissons d'y pousser, les mettant en déroute.
ciclamini/ciclami: j'ai décalqué en français le doublet italien; 'cyclames' existe bel et bien en français mais il est aussi peu usité que 'ciclami' en italien.
"si sfaldava": littéralement "se clivait", "se divisait", avec une connotation de fragilité.
"nel discendere": littéralement "dans le descendre"; comme le français, l'italien peut nominaliser les infinitifs mais pas toujours les mêmes ("il bere e il mangiare" = "le boire et le manger"; "il sapere" = "le savoir") ; ici, on peut percevoir une nuance dans l'usage de l'infinitif 'discendere' à la place du nom: "nella discesa" ("dans la descente"). L'utilisation du verbe insiste sur le processus de la descente sans dénoter son extension spatiale. J'ai pour cette raison choisi d'étoffer ma traduction en: "au cours de la descente" afin de bien marquer cette dimension temporelle.
'irta': littéralement 'hérissée' mais "la force hérissée" ne va pas bien en français pour évoquer cette idée d'une libération d'énergie brute et désordonnée.
'via': traduire 'via' par 'route' serait peu adéquat au contexte; 'chemin' voire 'sentier' conviennent mieux.
'illanguidivano': littéralement "s'affaiblissaient"; j'ai choisi en français un verbe qui rende mieux l'effet visuel. On pourrait dire aussi "se noyaient dans l'ombre".
"a lapidare imbestialite": j'ai envisagé de traduire par "acharnées à lapider", mais la 'carne' du vers suivant en devenait un écho indésirable.