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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 17 novembre 2025

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Le portrait ponceau

Un célèbre portrait de Manuelita Rosas inspire une pièce au Teatro Cervantes de Buenos Aires sur les liens entre l'art et la politique: El retrato punzó

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Début 1851, peu de temps avant sa défaite par les Unitaires et son départ en exil, le dictateur fédéraliste Juan Manuel de Rosas (1793-1877) avait commandé au jeune peintre en vue Pridiliano Pueyrredon (1823-1880) un portrait en pied de sa fille Manuelita (1817-1898). Il comptait présenter cette peinture lors d'une grande fête dont l'objectif aurait été d'introniser Manuelita comme candidate naturelle à sa succession.

Rosas, accompagné de Manuelita et du fiancé d'icelle, emporta le fameux tableau en Angleterre et ce tableau ne revint à Buenos Aires qu'un demi-siècle plus tard quand les fils de Manuelita en firent don au Museo de Bellas Artes où je l'ai découvert il y a un an car il était l'une des pièces maîtresses de l'exposition consacrée à Pueyrredon pour le bicentenaire de sa naissance:

Illustration 1

Sur cet arrière-plan historique, la pièce brode avec beaucoup de fantaisie autour de trois personnages: Manuelita et Pridiliano ainsi qu'un personnage fictif nommé Joaquin décrit comme le tuteur de Manuelita (mais à 34 ans celle que son redoutable père empêchait encore de se marier n'avait plus besoin d'un tuteur). Manuelita apparaît ici comme une post-adolescente tantôt mutine et tantôt impérieuse, alors que c'était une femme de tête qui bénéficiait d'une véritable popularité grâce à sa capacité d'atténuer la sauvagerie répressive de son dictateur de père.

Lors d'un hilarant dialogue initial, Joaquin est chargé d'informer Pridiliano des contraintes très politiques que Rosas veut lui imposer quant au choix des couleurs du tableau.

Le jaune et le vert sont bannis car brésiliens, et le bleu parce qu'à la fois brésilien et français (l'expédition militaire franco-anglaise contre l'Argentine était alors toute récente.)

Bref la couleur dominante doit être le rouge ponceau (rouge coquelicot en français, mais le "punzó" du titre original désigne aussi le rouge carmin en espagnol) flamboyante couleur des Fédéraux.

Pridiliano proteste et menace de renoncer à cette commande mais Joaquin lui fait comprendre qu'il pourrait arriver malheur à sa famille (une menace à ne pas prendre à la légère car, au temps de Rosas, la funeste Mazorca terrorisait et assassinait les opposants, jouant le même rôle que le FSB chez Poutine.)

Arrive Manuelita qui explique à Pridiliano que c'est elle qui l'a choisi car ils étaient amis d'enfance (la différence d'âge rend cette relation intime peu plausible même si le fils du dirigeant politique et général de l'Argentine révolutionnaire fraîchement indépendante Juan Martin de Pueyrredon (1776-1850) et la fille de Juan Manuel de Rosas se connaissaient forcément un peu.)  Cette relation inventée permet de donner un tour ludique à la pièce avec des numéros de saute-mouton et de menuet destructuré (sic).

Cette pièce loufoque et décousue est sauvée par le talent de ses trois acteurs mais le texte est malheureusement loin de la qualité littéraire et de l'intensité dramatique de El Farmer qui faisait, en 2015 au Teatro San Martin, monologuer Rosas en exil au seuil de la mort dans une remarquable adaptation du roman éponyme d'Andrés Rivera que j'ai lu par la suite.

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