Je vous souhaite de traverser cette pandémie sans dommage et vous propose de poursuivre cette réflexion sur Daniel Defoe en vous recommandant la lecture des aventures extraordinaire de Robinson Crusoe et celle de Vendredi ou les limbes du pacifique de Michel Tournier dont nous parlerons dans le prochain billet.
Robinson Crusoé ou les limbes du confinement (2/3)
voir le chap précédent 1/3 : https://blogs.mediapart.fr/michel-joli/blog/280320/robinson-crusoe-ou-les-limbes-du-confinement-13
Une dissidence religieuse bien dissimulée…
C’est en avril 1719 que fut publié Robinson Crusoe. Daniel Defoe ne se présente pas comme l’auteur mais seulement comme l’éditeur, et explique dans la préface qu’il s’agit d’une autobiographie. Mais on apprit très vite que Robinson Crusoe n’avait jamais existé et que Defoe s’était inspiré de l’aventure d’un marin nommé Selkirk abandonné sur l’ile de Juan Fernández pendant plus de 4 ans. Defoe l’admit et fut reconnu sans conteste comme l’auteur du roman. Pourtant des rumeurs circulaient sur son compte, largement entretenues par Jonathan Swift (Gulliver) et par Charles Gilson, un critique de l’époque. On l’attaqua vivement sur ses capacités d’écrivain, son style d’« illettré»... Pourquoi tant de haine contre un livre d’aventures ? Ses supporters n’hésitèrent pas, en retour, à comparer Daniel Defoe à Charles Dickens, ce qui était tout aussi excessif.
En fait Defoe était un journaliste pamphlétaire, provocateur, souvent condamné au pilori, un type très moderne, curieux, sans préjugés, courant toujours après l’argent... Un homme de l’espèce dérangeante. Devant le succès de son Robinson il écrivit deux suites sans intérêt (dit-on, je ne les ai pas lues), puis il fit d’autres romans peu connus et poursuivit une brillante et controversée carrière de journaliste et de polémiste.
Defoe, officiellement rationaliste, était très proche du mouvement Quaker dont il connaissait parfaitement les pratiques et les théories. En 1705 il prend même part à une polémique pour défendre les Quakers, auxquels on reproche régulièrement d’avoir une foi chrétienne hétérodoxe. Il semble en effet que les Quakers aient une position pour le moins réservée au sujet de la divinité du Christ et que cette histoire de Lumière intérieure ait troublé les tenants de l’orthodoxie.
Victime d’une apoplexie, en 1715, Defoe fut visité pendant toute sa maladie par un Quaker qui « lui fit une grande impression » –on ne sait pas malheureusement laquelle.
Tout cela pour dire que D.D. a forcément connu le conte d’Ibn Tufail. Pourquoi n’en parle-t-il pas et donne-t-il seulement la source « Selkirk » ? Pour éviter de mettre trop en évidence un parallèle dangereux ? Pour garder pour lui seul la « propriété morale et littéraire » ? Les deux explications ne s’excluent pas, mais quelque chose me dit que la première nous conduira sur une piste intéressante.
J’en veux pour preuve que l’un des préfaciers de Robinson Crusoe nommé Pocock (préface d’une édition du début du XIXe siècle) évite soigneusement toutes références au conte arabe et limite son commentaire sur les sources au récit de Selkirk.
Par ailleurs, si D. Defoe avait voulu simplement romancer l’aventure de Selkirk, pourquoi a-t-il isolé Robinson pendant 28 ans alors que quelques années suffisaient pour faire l’apologie du courage, de la ténacité et de la débrouillardise d’un homme. En racontant une aventure de 28 ans, il prenait le risque d’affaiblir son crédit, et il faut donc admettre que Defoe, à travers une forme de promotion de la débrouillardise, a voulu faire passer un message à caractère philosophique.
Tout se passe donc comme si Robinson Crusoe avait été écrit sous l’influence d’un courant de pensée, inspiré par Hayy Bin Yaqzan et qu’on se soit employé, jusqu’au début du XIXe siècle, à dissimuler cette influence, soit pour protéger la « pureté » occidentale de l’inspiration de l’auteur, soit pour protéger l’anonymat et les intentions de quelqu’un (ou quelques-uns). À elle seule une menace d’hérésie peut expliquer la prudence des Quakers et celle de Defoe, toute référence à une source symbolique ou mystique non chrétienne risquant de déclencher une condamnation. Mais que sait-on au juste des Quakers ? Est-ce bien dans cette direction qu’il faut chercher ?
C’est là qu’intervient « ma » découverte : les initiales du héros RC et l’anagramme «Cœurs» de Crusoe, sont-ils les fruits du hasard ? Peut-on penser, sans pousser trop loin le bouchon, que Robinson Crusoe est bien autre chose qu’un livre pour enfants et même se demander si Daniel Defoe en est bien l’auteur, ou le seul auteur.
Il se peut en effet que derrière Defoe se trouvent les Quakers, ou, plus probablement les Rosicruciens (c’est peut-être la même chose, je n’en sais rien), ou bien même quelque chose qui pourrait être un début d’expression maçonnique dans un pays où les premières loges se sont développées à l’ombre des mouvements religieux dissidents ; Defoe ne professait-il pas avec constance des convictions syncrétiques, théistes, naturalistes et les vertus de la tolérance ? Enfin, la qualité de l’œuvre et sa grande diffusion au XVIIIe siècle ne s’accorde pas avec la médiocrité littéraire du reste de la production de Defoe. Manifestement le succès du roman a dépassé le romancier.
Jean-Jacques Rousseau, dans Émile, recommande la lecture de Robinson Crusoe alors qu’il déconseille, en règle générale, la lecture des romans. Là encore on peut penser que ce n’est pas l’art de survivre qui séduisit Rousseau dans ce livre, mais autre chose...
(À suivre…)
Michel Joli
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