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"Rejoins-nous !"
Voici ce que disent les iraniennes aux hommes et aux femmes qui restent sur les trottoirs à les regarder défiler et à se faire tabasser. Matraquage, tir de gaz lacrymogène, tir à balles réelles. Tout est de mise et le nombre des morts et blessés augmente à chaque heure sans qu’il y ait un comptage officiel. Aujourd’hui, 5 jours après l’annonce de la mort de Mahsa (Zhina) Amini, 22 ans, originaire de Saqqez au Kurdistan, assassinée par la police des mœurs, le pays s’embrase. Les manifestations, plus cantonnées au villes kurdes au début, s'étendent partout en Iran. Les manifestants entonnent: Kurdistan, la prunelle des yeux de l'Iran.
La contestation élargit ses demandes. On protestait d'abord pour rendre justice à Mahsa (Zhina) Amini, mais aujourd'hui, on invoque la dictature, on interpelle Khamenei. Les femmes défilent, avec et sans foulard. Beaucoup brûlent leur voile, d’autre coupent leurs cheveux en se filmant.
L’internet est coupé dans plusieurs villes du Kurdistan, dont Sanandaj et Saqqez. Et le débit est plus lent partout en Iran.
Hier soir, les hacktivistes de Anonymous ont fait tomber le portail national du gouvernement iranien.
Les vidéos des manifestations inondent le net. Beaucoup de villes se lèvent aux côtés du Kurdistan et la gronde s'élargit. C’est trop tôt encore pour juger de la dynamique du mouvement protestataire, mais par moments on retrouve des images qui rappellent la vague verte en 2009 où les manifestants arrivent à faire reculer les forces de l’ordre, comme ici à Rasht.
Impossible de décoller les yeux de la timeline twitter et de l’avalanche des vidéos qui arrivent de l’Iran. Dans les vidéos, la présence féminine domine les voix aigues des femmes couvrent souvent les voix masculines. On a la gorge serrée et les yeux qui brûlent, comme si le lacrymaux se propageait à travers la toile.
Voici la liste des villes où l’on manifeste : Arak, Bandarabbas, Birjand, Bukan, Gohardasht, Gorgan, Hamédan, Ilam, Ispahan, Kerman, Kermanshah, Kish, Marivan, Mashhad, Qazvin, Qom, Rasht, Sari, Sabzévar, Sanandaj, Saqqez, Shiraz, Tabriz, Téhéran, Yazd, Zanjan. Et la liste n’est pas exhaustive.
Le nombre exact des victimes est difficile à annoncer, mais on compte parmi elles un enfant de dix ans blessé et une vieille femme décédée à la suite d’un coup sur la tête.
Mais la violence des forces anti-émeutes contre les manifestants est comme toujours gratuite et sans borne. Elles sont beaucoup plus organisées qu’en 2009 et leurs habits se sont uniformisés.
Et puis, il y a aussi des images qui donnent de l’espoir, comme ici à Sari (Région de Mazandarane au bord de la Caspienne), où une jeune femme jette son foulard dans les flammes en faisant une pirouette.
La beauté de cet élan libertaire est décuplée par sa volonté d’être inclusif. Les iraniennes demandent à avoir le choix. Non pas d’interdire le port du voile, mais de le rendre « non obligatoire ». J’insiste sur la nuance, subtile, mais néanmoins très importante. Être libre de choisir son style vestimentaire, avec ou sans voile, voilà ce que les iraniennes réclament. Cela montre la maturité et le sens civique du mouvement contestataire qui fait trembler l’Iran depuis plusieurs jours et qui ne s'arrête pas qu'au port du voile.
Après de nombreuses vagues de protestations matées dans le sang, dont les plus saillantes restent celles de 2009 et 2019, les iraniennes, et les iraniens à leurs côtés, tentent une nouvelle fois, de se défaire de la dictature religieuse qui les opprime depuis 1979.
Quelque soit le résultat des émeutes actuelles où les femmes sont en première ligne, cela constituera une avancée pour le droit des femmes en Iran.