« Si je peux faire plus qu’une phrase…. » Jacques Derrida
« Il y a des limites au désespoir. Il n'y a pas de limites à l'espérance. » Edmond Jabès
« Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille » Louis Aragon
L'écrit est peut-être le meilleur lieu de l’écoute. Surtout en ce moment où les oreilles sont fermées à la parole de l’autre, surtout si elle différente de son propos et de celui de sa famille de pensée. Sur une feuille de papier ou un écran, personne n’interrompt ni n’élève le ton pour coloniser l’espace sonore. La possibilité de laisser glisser du silence, de la respiration, du doute, des questions, entre les mots et l’œil lecteur. L’écriture me semble être le territoire intime de l’écoute du plus profond de soi, de l’autre, et de son époque. Sans subir la pression de devoir rendre l'antenne ou courir après l'audimat souvent bouffeur de pensée. Ni de raccourcir sa pensée pour la faire rentrer dans les cases à cocher. Libre de pouvoir aller plus loin, plus profond, que l'émotion en direct. Là où le complexe n'est pas nécessairement synonyme de compliqué. Et le simple de simplisme. complexité et simplicité peuvent cohabiter. Loin des raccourcis et impasse de notre ère de la réduction de la pensée. Et artifice de l'intelligence creuse. L'écrit et la lecture: les derniers espaces de la pensée longue ?
C’est la réflexion que je me suis faite dans la pénombre du silence, après une conversation avec des copains. Un échange très joyeux autour d’un excellent repas, de bons vins et un ti-punch dosé juste pour avoir l’ivresse sans besoin de Doliprane. Que demande de plus le peuple de l'amitié. Puis retour à domicile. Avec encore des rires et des mots dans l'habitacle. Puis, pendant ma nuit-omnibus, la machine à penser contre moi a commencé son boulot. Certes pas toujours agréable. Mais nécessaire pour penser plus loin que ses certitudes. Balayer un peu devant le seuil de son égo et nombril. Que de poussières de vanités en un seul être. À défaut d’être plus intelligent, tenter d’être moins con qu’hier. Et ce n’est pas toujours gagné.
Quelle a été ma première pensée contre moi ? De constater que je ne cessais de critiquer le « niveau du débâcle » d’aujourd’hui et, dans ma foulée donneuse de leçons, d’apporter ma pierre à ce que je déplore : s’écouter parfois - trop souvent ? - parler sans laisser le temps à la pensée de l’autre de venir nous visiter. N'offrant pas la possibilité à ses oreilles de profiter du paysage mental proposé par l'interlocuteur ou interlocutrice. Que le premier qui n’a pas voulu avoir le dernier mot me jette la première phrase. Sûr de ne pas recevoir de projectile. Pourquoi notre réflexe plus ou moins récurrent d’enfiler des « gants de mots » lors d’un échange ? Par peur d’être convaincu et perdre les racines de sa pensée ? Ne pas trahir sa part d’orgueil et de certitudes rassurantes ? Sans doute plusieurs pensées mêlées. Tout ça en fait pour parler de vous, JLM. Certes, pas tout le repas. Mais une grande partie de fin de soirée. Un échange pas avec n’importe qui.
L’un des militants de votre mouvement. Comme de très nombreux dans son cas, une présence plus ou moins visible à vos côtés. Un très grand admirateur de votre pensée, votre parole écrite et parlée ; levant le bras au-dessus de sa tête vous pour situer le niveau de votre réflexion. Pour la faire court, vous n’êtes pas n’importe qui pour lui. Sans doute pour ça qu’il est si désemparé. Pour paraphraser un célèbre philosophe, un militant avec le regard déçu d’un gosse constatant le crépuscule de son « idole de combat politique ». Témoin impuissant d’une chute publique. Attristé par la tournure que prend la trajectoire de l’homme dont il a porté les idées sur le monde, de marché en boîte aux lettres. Infatigable transmetteur d’idées auxquelles il croit encore. Contrairement à ce que vous incarnez désormais.
L'homme auquel il a pourtant tant cru. Si heureux de suivre le sillon de votre voie et voix de tribun- locomotive notamment de l’espoir de toute une jeunesse. Enfin, le pays, le monde, pourrait être repeints aux couleurs du matin du grand commun copropriété de huit milliards d’histoires uniques. La construction d’un espace où même en désaccord, chaque individu passager du siècle, quel qu’il ou elle (les autres genres aussi) soit, pourrait être une de ses teintes républicaines. Le matin du grand soi (du matin au soir) dans une communauté sans frontières. Belle idée toujours d’actualité. Même si le matin du grand réchauffement est à l’ordre du jour. Combien de temps encore à s'entretuer avant la mort de notre espèce ?
Le visage de ce militant marqué par la désillusion. A quoi bon, inscrit entre ses paupières. Même s'il conserve un sacré sens de l'humour. Sans doute sa manière de chialer sans déranger les larmes. Quelle surprise en le voyant désemparé politiquement. Sans pouvoir lui apporter un quelconque soutien. Si ce n'est que quelques mots. En rentrant, j’ai eu un échange avec ma carte électorale. Elle a eu un haussement d’épaules résigné en se disant « ça y est, je suis reparti pour un long sommeil dans un tiroir ». Pourtant, elle les aime bien nos balades du dimanche. Et le vote blanc, me rétorque-t-elle. Pugnace ce petit carré républicain. À mon tour de hausser les épaules. Oui, mais s’il est comptabilisé. Ce qui est promis, mais jamais réalisé. Un point pour moi. Tenter de me convaincre ? Elle a senti que ce n’était pas le moment. Mon passeport démocratique est retourné dormir dans son tiroir. Et moi à ma déception. Vite mue en colère.
Notamment contre vous, JLM. Pourquoi avoir cassé un si beau jouet ? D’autant plus incompréhensible que vous avez indéniablement énormément contribué à le construire. Quel boulot ! Certes pas tout seul. Mais vous avez mouillé intellectuellement et physiquement le maillot de l’espoir que vous portiez. Partout dans le pays. Vos idées en étendard pesant les rêves de plusieurs millions d’électeurs. Votre maillot était celui de Marianne entraînant tout un peuple derrière elle. Tant d’espoir, de beauté, voire même de poésie hugoesque, ont été peu à peu brisés. Jusqu’à n’être que des miettes d’espoir déçu. Circulez, il n’y a plus rien à espérer. C’est foutu, retour à la case désespoir. Rien de pire qu’un rêve collectif en miettes. Ici ou là, Marianne, François, Malika, Mohamed, Julie, Joseph, Pascal, et tant d’autres militants ou non, tentent de les ramasser pour tenter de reconstituer le beau jouet. Brisé par qui ? Par bien sûr vos adversaires politiques et les médias qui vous esquintent depuis fort longtemps. Mais pas uniquement eux. Il y a aussi votre plus grand ennemi, JLM. Quel est-il ? La réponse se trouve dans votre miroir.
Un de vos amis psychanalyste de plasma ( pas ma tasse de Freud ni Lacan) évoquait votre problème avec le premier paragraphe. Un point de vue fort intéressant. Vous voulez aller tout de suite au fond des choses, sans en quelque sorte les préliminaires. Pourtant, dans le débat d’idées ou le secret des pieux, elles recèlent une grande importance. Les préliminaires pour – comme disait l’une de vos idoles-locomotive- donner du temps au temps. Laisser le chemin s’ouvrir peu à peu sous la peau de l’autre. Contrairement à la pensée ou le coït à la hussarde ne faisant souvent jouir qu’un seul individu : le missionnaire jouissant de ses certitudes et de détenir la seule vérité. Une jouissance solitaire. Comme d'une certaine manière Le Joueur d’échecs de Stefan Sweig, excellent joueur mais hors échiquier ; le meilleur joueur contre lui. Battu par un moins bon que lui mais ancré sur le bois. Ce qui me semble vous être arrivé récemment. Peut-être par un excès de précipitation à réagir à chaud. L'un des maux de notre ère connectée. Mis en échec et mat par vous-même ?
Comme au moment de l’innommable du 7 octobre. Sans le moindre doute, vous connaissez cette citation attribuée à un homme du « soleil et de la misère » né sous le même ciel bleu méditerranée que vous : « Mal nommer les choses, c’est rajouter à la confusion du monde. », Albert Camus. À mon avis, vous avez mal nommé l’innommable. En tout cas, pas à ce moment précis d’une émotion légitime, aux tripes du monde entier. Tout individu humainement constitué a été touché sous la poitrine. Sans aucun doute vous aussi avez été bouleversé par l'horreur. Pourquoi alors ne pas dire attaque terroriste ou au moins ne pas cristalliser sur ce terme pour en faire un nouveau point de division ? Je vous vois dégainer vos fiches mentales. Et peut-être que vous avez raison sur votre démonstration sémantique. Mais l’émotion brute ne se vit pas dans une définition du Grevisse. On se trouve face à elle. Le plus souvent désemparé. Les termes terrorisme et pogrom ont habité instantanément la majorité des esprits sidérés par l'abominable. Peut-être même vous... Certes, des termes pourquoi pas discutables lors d'un futur débat de fond. Mais pas à l'heure de la sidération. Quand l'émotion est incontournable.
Vous êtes le premier a avoir refusé l'appellation de terrorisme. C’est ce qui m’a mis la puce à l’oreille. Pas le fait que vous pensiez que c’était mal nommer la globalité d’une situation historique et géopolitique précise. Tout à fait votre droit de préférer la pensée complexe aux raccourcis habituels de notre époque. Surtout en notre période où les « charognards de l'émotion » de tout bord planent au-dessus du moindre cadavre. Ce qui m’a interrogé c’est votre célérité à vouloir occuper d’emblée la contre-allée. Autrement dit le centre d’une polémique annoncée. Vouliez-vous, peut-être comme à l’école de votre enfance, vous démarquer du sillon de vos camarades et leur clouer le bec par votre réflexion - sûrement loin d’être inintéressante- à contre-courant de ce qui était attendu ? Seul vous, pouvez répondre à ces questions. Moi, je ne suis pas un vulgaire mouton courant après le terrorisme et le pogrom que la presse veut imposer à toute la planète. Ce que vous avez peut-être pensé. Mais votre parole n’engage pas que vous. Comme ne vous appartient pas personnellement le jouet de millions de jeunes et de vieux gosses. De toutes les petites mains qui ont participé à sa confection. Comme Marianne aujourd'hui en colère sur le bord de l’espoir. Beaucoup de monde à avoir participé à ce marathon pour un meilleur lendemain.
Ces mots sont aujourd’hui adressés à vous. Pour vous demander in fine un service. Lequel ?Aidez des millions de petites mains à reconstruire le jouet. Dans quel but ? Parce qu’il a urgence : la nuit blanche identitaire ( pas la majorité de blancs) défile de plus en plus dans les cerveaux et les rues de France. Pendant ce temps là, les islamistes ( ne pas confondre avec la majorité de musulmans) trainent aussi sous le ciel de France et d’ailleurs. Un peuple de plus de plus de soixante millions d'habitants coincé entre les deux mâchoires du même piège tueur de démocratie. Pas le premier à l'écrire, ni le dernier. l'urgence est entrée dans nos rues de villes et villages. Inutile de développer plus ; vous êtes plus et mieux au courant que moi. Trêve de digression à rallonges et revenons au but de ce courrier.
Le jouet à remonter. Parce qu’il n’y a pas d’autres solutions. Pour la gauche et la droite. Surtout pour tout un pays qui, comme l’écrivait l’immense Mahmoud Darwich, aime la vie quand on lui en donne les moyens. Ne pas oublier que la France est le pays des Lumières. Le plus souvent gouvernés par des gens brillants. Indéniable que se sont des individus très forts et réactif. Des communicants bardés de diplômes brillant comme des lampadaires. Certes pas toutes et tous pourris. Mais une poignée d’individus parmi eux n’éclairent que des espaces où eux et leur famille pourront creuser pour s’approprier l’or républicain. La privation d’un bien commun au profit d'une minorité. Guère un scoop tout ça.
Parmi ces hommes et ces femmes, il y a des phares. Ne se contentant pas de briller. Préférant éclairer les autres. Pour éviter qu’ils ne viennent s’échouer contre les récifs et se noyer. Le navire France et Monde a besoin de ces phares. Comment le devient-on ? En sortant de la brillance des plateaux. Pour prendre un peu de recul et de hauteur. Son ego et nombril ( nous en sommes tous équipés) réservé à son carnet de notes, un divan, et peut-être un recueil de poésies. Installé par exemple dans le rôle du vieux gosse éclairant. Sans vouloir occuper le haut de l'estrade. Juste éclairer du mieux possible. Une belle place. L'espoir et la jeunesse ont encore besoin de certaines paroles éclairantes.
Mais plus à la même place centrale. Présence sur le côté de la scène. Pourquoi pas en compagnie peut-être d'une vieille gosse. La doyenne de la population française. Mais toujours bon pied bon cœur. Une vraie guerrière. Et en plus, elle est dotée d'une pensée complexe voyant plus loin que le bout de ses certitudes. Sans oublier de douter, de rêver, de poétiser, de se contredire, de rire, d'aimer, de jouir de la vie, de paresser,etc. Elle est essentielle à la cohésion de ce pays.
Marianne et Jean-Luc Mélenchon en duo de phares ?
NB: C’est mon dernier billet ( le plus long ) sur la politique. L'envie d'évoquer un militant de gauche aussi sincère que déçu, et inquiet de l'avenir. Peut-être des mots à côté de la plaque de sa déception et inquiétude... Et sans doute que, comme les précédents billets, ce sera une nouvelle fois un pissage dans un violon numérique. Mais le texte est sincère. Et écrire aide à penser plus loin.
Suite à certaines critiques fondées, des passages du texte initial ( foiré en partie) ont été modifiés. Supprimer ce billet et le remettre en ligne remanié, mais sans les commentaires négatifs ? Autrement dit, effacer toute critique. Non. Ce billet revisité n’aurait pas vu le jour sans les commentaires négatifs qui m'ont fait gamberger et creuser plus loin. Toutefois, le fond initial du texte reste le même. Et aussi le plus grave: les inquiétudes sur l'avenir de l'espoir. Mais il n'y aura plus aucun billet autour de la « politique politicienne » sur ce blog. Pas le cuir assez solide. Retour à la fiction. Et poésie.