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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 16 juin 2015

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J'aurais détesté être un écrivain de gauche

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Illustration 1

--2--

  Trottoir de droite

              « Je veux bien mourir pour le peuple, mais je ne veux pas vivre avec. »

                                                François Mauriac

              Font chier ces fonctionnaires ! Ils ont un boulot et empêchent les autres d’aller bosser. Plus d’un quart d’heure que je suis coincé dans mon taxi. J’ai rendez-vous avec mon éditeur dans moins d’une demi-heure. Nous devons travailler ensemble sur les épreuves de mon dernier roman et aller déjeuner. La nouvelle attachée de presse doit nous rejoindre. Paraît qu’elle est très efficace. Et, ce qui ne gâche rien, plutôt jolie. Ma journée, avec le soleil rasant sur les toits de la capitale, commençait pourtant bien. Si ces cons avec leurs banderoles n’avaient pas décidé de me la pourrir. Les manifestations devraient être interdites sur le pavé des villes. A part les manifestations de joie.

       Je viens de réaliser que je n’ai jamais été à une manif de ma vie. Dernièrement, j’ai failli faire une entorse à mon règlement en rejoignant la Manif pour tous. Je n’ai absolument rien contre les homos. Mais, depuis quelque temps, la tyrannie des minorités m'agace beaucoup. Plus de minorité que de fromages dans ce pays ? Pourquoi les homos veulent-ils eux-aussi se marier et avoir des gosses ?  Ce que j’aimais chez eux c’était leur côté un peu frondeur, à rebrousse société. Hors norme. Voilà qu’ils veulent perdre de cette belle marginalité.  Malgré mon total accord avec Frigide Bardot et les autres manifestants, je n'ai pas rejoint leur cortège. Pas mon truc les marches collectives.Par delà ça, je crois que nous assistons à la mort d ‘une partie de l’humanité. La fin de l'homme.

         Sur le fond, Zemmour est le seul à parler de moi. Et des derniers couillus hétérosexuels, blancs, catholiques et fiers de leur nation. Des dinosaures contraints de se cacher pour ne pas subir la traque des bien-pensants. Une espèce en voie de disparition. Derniers représentants d’un monde qui fout le camp. Bientôt nous coller dans un zoo ?

          De nos jours, les hommes veulent être des femmes. Faut voir tous ces types qui se baladent avec des porte-bébés. Ridicule. Comme si, par culpabilité de ne pas avoir trimbalé le gosse dans leur ventre, ils avaient besoin d’expier. Une nouvelle culpabilité engendrée par la peur des coups de crocs de ces tueuses d’hommes que sont les féministes. Pourquoi les femmes veulent être les égales des hommes. Elle nous sont bien supérieures. J’aime bien cette citation - citée de mémoire- de San Antonio. Une des seules femmes qui a des couilles dans ce pays c’est Elisabeth Levy. Fallait en avoir pour lancer le manifeste des 343 salauds. Surtout en cette période de chasse aux porteurs de vraies couilles. Je déteste  manifester. Et par principe, je ne signe aucune pétition.  Pourtant, cette fois-ci, j’ai failli déroger à ma règle de conduite.

        Plus jesuisunsalaud que je jesuischarlie. Pas envie qu'on touche à ma pute. A propos  de tout ça, mon épouse partie quelques jours avec les gosses, je crois que je vais appeler mon deuxième bureau. Impossible pour moi de dormir seul sous une couette. Besoin d’une main  pour me faire traverser la nuit. Me rassurer. Une douce main experte.

       Ne reste qu’à prendre mon mal en patience. A une époque, j’aurais pu bavarder avec le chauffeur de taxi. Souvent, ils avaient des anecdotes croustillantes sur Paris. Certes quelque peu râleurs. Cette bougonnerie à la Gabin ou Ventura, de la poésie mêlée de gouaille, qui faisaient leur charme.  Ayant appris que j’étais écrivain, l’un d’entre eux m’avaient proposé de passer la journée avec lui. Très beau moment à sillonner les rues dans son taxi. J’en avais tiré un court texte que je lui avais dédié. Aujourd’hui, cette complicité n’est plus  du tout possible. Tous les chauffeurs de taxe sont étranger ou français depuis demain. Plus rien à raconter à part ce que l’actualité crache à la radio.Je hais l’actualité.  Elle nous bouffe la beauté du présent. Toujours à souiller notre regard de la boue du monde.

          Vos nouvelles, bien que très construites, se déroulent trop sur fond d’atmosphères glauques. C’est lassant pour le lecteur, voire un peu étouffant. Un ami auteur vient à l'instant de m’envoyer un mail. Il me joint la lettre de refus d’un éditeur. Ce refus à l'air de le faire marrer. Tant mieux.  Jamais agréable une réponse négative. Lui et moi sommes aux antipodes mais très bons amis. D’accord quasiment sur rien politiquement, nous passons notre temps à nous engueuler. T’es qu’un putain de réac imperméable à la douleur du monde ! Et toi, tu n’est qu’un bobo qui fait son beurre sur la misère sociale ! Une fois, nous avons même failli en venir aux mains. Nous mangeons parfois ensemble, toujours  à Paris. Aucune envie de traverser le périphe et d’aller chez lui. Trop popu pour moi.  Tous deux soudés en fait par l'amour de la littérature et l’humour. Rire de soi avant d'être risible.

           Contrairement à lui, moi je me contrefiche qu'un écrivain soit de gauche ou de droite. Indéniable que je suis un citoyen de droite. Et alors?Même si elle doit pencher sans doute légèrement sur la droite, mon écriture va où elle veut et peut. Jamais enfermée entre deux garde-fous. Je la préfère de travers et irrécupérable. Insoumise. Un écrivain est bon au mauvais. La bonne littérature n’a rien à voir avec une carte de parti ou un bulletin dans une urne. Pas de code de la route du stylo. Parfois, nos conversations débordent jusqu’à l’aube et se terminent avec un petit déjeuner dans un bistrot, avant qu’il prenne le métro pour rejoindre sa banlieue. J'adore cet homme.

       Sauf que je crois qu’il gâche trop son talent à vouloir s’occuper des autres. Il délaisse la beauté pour la noirceur de l’existence de certains de ses contemporains. Normal qu’un éditeur lui jette ça à la gueule. La politique et la glauquerie de notre époque doivent être abandonnées aux journalistes. Ils se partagent fort bien le cadavre de notre monde bouffé par l’hypertechnologie et la bien pensance. Cette époque où le simley remplace peu à peu le langage. Au fond, la majorité m'emmerde autant que les minorités. Ces moutons de Panurge avec leur bracelet numérique. Le fameux peuple cher à Zola et d'autres. Sans oublier tous les chansonniers réalistes. Ceux-là me sortent par les trous de nez. Au moindre son d'accordéon, je change de trottoir. Ne parlons même pas de slam ou de rap. Certains onsent nommer ça de la musique.

       Les masses populaires comme éructait Marchais. Avec lui, nous puvions nous marrer au moins. Pas comme avec nos gauchistes d'aujourd'hui aux culs et cerveaux serrés. Moi, je n’ai rien contre le peuple. J'en viens. Fils de mineur et fier de ne pas avoir reproduit. Avoir plaqué tout ce folklore ouvriériste à la con. Quoi que je dise, j'ai de l'affection pour le populo. Sans doute un reste de romantisme. En tant qu’officier de réserve, je serai même prêt à aller mourir pour eux et mon pays. Mais les pauvres sont lassants. Ils racontent toujours la même chose depuis la nuit des temps. Pas beaucoup d’imagination dans les classes populaires. Le peuple est surtout aimable à travers les chansons et toutes les fictions qui lui consacrées. Surtout pas le côtoyer. Vive le peuple mais pas comme voisin.

       Lui, à force de militer, il finit par s’empêcher d’écrire. En plus, il passe son temps à donner des textes gratuits. Comme s’il avait honte de se faire payer. Culpabilisé. Quelle erreur de sa part. Il a beau combattre cette société du fric, lui aussi y participe en ne se faisant pas payer sa sueur. Critiquer la presse gratuite et faire la même chose avec ses productions écrites. La gratuité est la plaie de notre époque. Rien n’est gratuit. Pas même l’altruisme. Tout se paye….un jour ou l’autre.  Chacun ses contradictions. Mais je trouve qu’il a tort de se brader de la sorte. Comme si le talent n’avait plus aucune valeur. Et l’écriture juste une danseuse de nantis.

        A maintes reprises, je lui ai proposé les clefs de ma maison en Normandie. S’éloigner quelque temps de ses immigres, migrants, squatteurs, femmes battues, sans papiers,double peine…  Penser uniquement à lui. S'octroyer un peu de désinvolture, le futile si necessaire. Ne songer qu'à sa littérature. Chaque fois, il a un empêchement. Son militantisme va tuer son talent et le mettre encore plus dans la dèche. Finira-il aigri devant son miroir ?

        Pas trop tôt ! Un flic nous fait signe de passer. Je déteste arriver en retard. Le seul moment où j’aimerais arriver  à la bourre – comme disait mon grand-père - c’est à mon enterrement. Voir de dos les silhouettes des femmes que j’ai aimées, les déshabiller une dernière fois du regard et faire l’amour à certaines à même ma tombe. Petite mort et grande mort réunies sous un ciel lumineux de printemps. Peut-être m’ont-elles aussi aimé ? Seules elles le savent. J’ai toujours préféré aimer qu’être aimé. Plus facile de rompre.

        Après un bref échange sur mon roman, mon éditeur me tend le paquet d’épreuves.  Pas moi l’écrivain, moi je ne suis qu’un banal commerçant qui cache bien son jeu. C’est ton livre, pas le mien. Je te fais confiance. Juste un truc : pas moins de 20 millions d’exemplaire. Nous éclatons de rire. Il fait signe au serveur. Quand l’attachée de presse arrive, nous en sommes au troisième kir. C’est vraie qu’elle est bien foutue. Mais je ne sais pas pourquoi, je sens qu’elle est lesbienne. Avant, ça me faisait marrer nos copines se plaignant que trop de beaux mâles viraient homo. Aujourd’hui, moi je trouve que lesbos est en train de gagner du terrain. En tout cas, elle est drôle. Très pimpante. Parfaite pour le job qu’on lui demande. Pas trop conne, ni trop intelligente. Semblable à de nombreux points de vue aux journalistes qu’elle va contacter.  Issus des mêmes quartiers, mêmes écoles, brunchant et dansant dans les mêmes boîtes. Et riant aux mêmes vannes. Un auteur, mon mentor dans le métier, les avaient surnommées les « attachées de fesse ».  Pour d’autres, surtout les auteurs qui vendent que dalle, elles deviennent les «  attachées de paresse ». Si des féministes m’entendaient penser, je serai déjà émasculé, ma tête dirigée vers le Palais de la Femme. Mais je m’en contrefous. Personne ne me dira comment bien penser. Je préfère être le vilain p’tit canard réac que le mouton bêlant de bon sentiments parqué dans des meetings ou des manifs. La promiscuité, trop peu pour moi.

        Sûr que les bons sentiments sont plus monnayables en société. Vouloir le bonheur du monde entier, lutter contre la pollution de la planète, etc,  sont des positions imparables à l’applaudimètre. Dire le contraire entraîne une levée de pouce renversés. Les nouveaux curés du bonheur pour tous. Le bonheur, encore un leurre pour nous pousser à nous lever chaque matin. Comme cette volonté de vouloir démocratiser à tout prix la culture. L’art et la culture ne donnent que ce qu’on leur arrache. La curiosité ne s’apprend pas. Pour ça que je hais les ateliers d’écriture. De la prof à la retraité à la grande bourgeoise s’emmerdant à la femme pauvre-alcooliques-battue-migrante, les ateliers ne désemplissent pas. Sans oublier les collèges en Zep. Donner un peu de littérature entre deux séquences de téléréalité nourrit leur putain de conscience de gauche.  Animateurs culturels, nouvelles dames patronnesse évangélisant les «racailles » à grands coups de «Matin brun », de « Grand corps Malade» ou autre «Abdel Malik». Apporter la bonne parole.  La plupart ne vivant jamais dans les quartiers des brebis égarées avec Lacoste, Coran et Kalachnikov. Le militantisme est-il le masque le plus efficace de l'égoïsme? Je hais la main tendue. Elle empêche toujours le poing dans la gueule. Pas pire asservissement pour les plus pauvres que d’être aidés. Moi, je refuse toutes les aides de l’Etat pour écrire. Pas un écrivain de service public. Je veux rester libre de penser et dire ce que je veux. Surtout libre d’éprouver le plaisir de la mauvaise foi, pouvoir alimenter mes plus mauvais penchants. Me tromper sans culpabiliser, ni m’excuser. Et vous ne me verrez jamais animer un atelier d’écriture. Écrire ne s’apprend pas. La littérature pas un service social.

      Le déjeuner se passe très bien. Ce restaurant  est excellent. La meilleure côte de bœuf sur la Place de Paris. Et sa cave de p'tits vins de Loire vaut vraiment le détour. Mon éditeur semble las. Il ne lâche même plus de saloperies sur ses confrères. En général, lors de nos rencontres, il dégomme d'autres éditeurs, et moi je crache sur des auteurs. Surtout ceux qui vendent plus que moi. Contrairement à ce qu’il dit, c’est un grand amoureux de la littérature. Déçu qu’elle ne soit plus qu’un produit jetable, kleenex numérique sans lendemain. Avant, tu écrivais pour être connu. Aujourd’hui, vaut mieux être connu pour écrire. Mais la vraie littérature ne peut mourir. Il y a encore des voix qui ont des choses à dire. La littérature existe encore de nos jours.  Mais dans un monde de plus aveugle aux mots. Seul son voilier en Bretagne le console de notre époque.

     Le repas fini, nous marchons jusqu’à la maison d’édition. Mon éditeur, quelque peu éméché, se met à chantonner. Heureux de rejoindre son bateau dans deux jours. Moi aussi j'ai un peu abusé sur le rouge. Pas se priver d'excès par une si belle journée. Le soleil réussit ce dont tous les hommes rêvent: dévêtir les femmes d’un seul regard. Je ne sais plus où donner des yeux. Jouissance éphémère des regards.  Au fond, si je devais me qualifier, je ne suis qu’un pauvre jouisseur. Incapable d’échapper à la beauté. Éros et Bacchus avant de tomber dans les bras de Thanatos. Sans oublier bien sûr la littérature. Sans elle,  je ne serai qu’un jouisseur sur deux pattes. Elle me tient debout dans un monde qui penche.

      Je lève la tête de mon clavier. La nuit s’annonce au carreau. J’aime ces moments d’écriture où le temps s’arrête. Plus rien ne comptant que l’écriture.  Cette belle impression d’être plus fort que la mort. Maître de l’instant. Immortel

     Toutefois je sais que, dans peu temps, je vais me planter devant la fenêtre. Mon regard va glisser de toit en toit. Peu à peu, mon ventre se nouer. Une irrépressible humidité dans les yeux.  La peur de passer la nuit seul. J’aime la solitude diurne. Pas celle du lit vide. Seul sous ma couette, je me sens comme dans un cercueil pour la nuit. Le matin si loin. Les rivages de l’aube jamais sûrs d’être atteints. Besoin d’un corps contre moi pour éloigner mes fantômes. Me protéger.

       J’envoie un mail à Karima. C’est une jeune étudiante de banlieue. Pour payer ses études, elle est devenue escort-boy. La première fois que j’ai consulté son profil, sa maîtrise du français m’avait époustouflé. Pas une adepte du smiley à toutes les phrases. Après une licence de philo, elle envisageait d’entrer à Science Po. Et plus tard l’Ena. Une fille brillante qui réussirait.  Je suis là dans environ une heure. Avec elle, je me sens comme une espèce de mécène. Je l’aide à s’intégrer en la pénétrant. C’est quand j’avais sorti cette phrase à mon ami auteur de gauche que nous avions failli nous taper dessus. Il a du mal à supporter mon cynisme. Et moi son moralisme intolérant.

       Parfois, quand la carapace se fissure, j’ai envie de lui donner raison. Son combat est plus important que ma quête d'hedonisme permanent. Cette course de vieil ado à la jouissance à tout prix. Jouir sans entraves ( invention de soixante-huitard). Prêt à vendre père et mère pour un bon mot ou un beau cul qui passait par là. Je lui envie sa capacité de solidarité avec ses contemporains, son cœur à rallonges. Ces moments là ne durent pas longtemps. Pas doué du tout pour l'atruisme. «Avec tes défauts pas de hâte, ne vas pas à la légère les corriger. Qu’irais-tu mettre à la place ? » Michaux a raison. Je n’ai d’autre à mettre à la place. Et surtout c'est moi.

       Le  bip de l’interphone interrompt ma rêverie.

( Suite et fin de " J'aurais préféré être un écrivain de droite" )

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