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Billet de blog 5 novembre 2023

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La salissure par les mots

Depuis le début de la guerre à Gaza, en fait en situation de guerre depuis des décennies (coupures d'eau, d'électricité, blocus), le microcosme politico-médiatique, acquis aux idées d'extrême droite, accélèrent leur entreprise de disqualification morale des forces progressistes et des Musulmans. Pour ce faire, ils n'hésitent pas à déshonorer les victimes de l'Holocauste.

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La bonne mort et la mauvaise, ou comment réhabiliter à demi-mot le concept de races

"Il faut faire la part des choses". C'est la petite musique que, de plateau en plateau, on a pu entendre depuis la "riposte" d'Israël aux actes terroristes du 7 octobre. Pourtant, à l'heure où j'écris ces mots, 9000 êtres humains, dont une moitié d'enfants, sont dans des sacs mortuaires, 1000 autres encore sous des décombres. Peut-on parler d'une juste part des choses, lorsque MSF et Amnesty dénoncent un grave risque de crime contre l'Humanité, RSF dénonce la mort de dizaines de journalistes, et l'Unicef dénonce le bombardement ciblé d'écoles, avec la mort programmée de centaines de milliers d'enfants privés d'eau, d'électricité depuis trois semaines? Rien ne semble justifier l'injustifiable, et c'est pourtant ce qui semble caractériser le niveau du débat public, depuis quelques jours. L'indécence première est bien entendu la disproportion entre la juste indignation des atrocités du Hamas, et le relativisme des morts palestiniennes, qui semble faire prévaloir l'idée qu'une mort israélienne vaut plus qu'une victime arabe. La géométrie variable est relayée par les principaux porte-voix de l'opération, et souvent eux-mêmes des éditorialistes réactionnaires notoires: BHL, Caroline Fourest, Pascal Praud, Geoffroy Lejeune, Raphaël Enthoven, Eric Naulleau, et bien d'autres.

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Selon eux, il n'est que question de "riposte", et les victimes ne sont que des victimes "collatérales", suite à un droit "à se défendre" qu'ils jugent inaliénable. L'argument est bien rôdé: les nombreuses victimes sont soit des boucliers humains du Hamas, soit soupçonnables d'accointance avec eux. A quoi bon les remarques de terrains, des nombreux témoignages d'ONG qui dénoncent des frappes aveugles et indiscriminées, puisque ces journalistes éclairés savent la vérité?... A titre de comparaison - car il faut comparer pour comprendre l'ignominie du silence, en trois semaines, le nombre de victimes gazaouies atteint celui, en un an et demie, ukrainiennes. La situation est pourtant remarquablement proche d'un point de vue géopolitique: l'Ukraine est assiégée, bombardée quotidiennement, elle aussi, par une puissance impérialiste qui cherche à étendre son territoire. À juste titre, l'ensemble des pays occidentaux a condamné la Russie, et l'a sanctionné sévèrement. Mais les alliances (et notamment celles qui sont nouées par les Etats-Unis, cheval de Troie des conflits armés), font qu'à Gaza, l'assiègement de la population et son bombardement continu (20 kilotonnes d'explosifs, soit plus qu'Hiroshima) émeuve moins certains pays occidentaux alliés d'Israël, ni n'éveillent une pluie de sanctions comme a pu le connaître la Russie. Il s'agit bel et bien du "deux poids, deux mesures", qui consiste, à demi-mot, à donner moins d'importance à la mort d'un arabe qu'à celle d'un autre. Le ministre de la défense israélien avait déjà préparé le terrain au massacre, en déshumanisant les habitants de Gaza: "on les traitera comme ce qu'ils sont, des animaux humains". C'est ce principe distinctif qui justifie le choix sémantique migrant (réservé aux pays arabes ou d'Afrique)/ réfugié (Ukrainiens). C'est aussi en vertu de ce principe que le conflit Ethiopien (près d'1 million de morts, le conflit le plus meurtrier depuis des décennies) n'a fait que quelques brèves au plus fort de l'affrontement. L'Histoire nous jugera sévèrement.

Disqualifier l'opposition par les mots

Du "bordélisateur" de l'Assemblée à la "sortie de l'arc républicain" (où le RN a été réintégré), la Nupes cumule les appellations insultantes depuis sa création. Si la guerre à Gaza, et ses frappes indiscriminées lui ont valu de nombreuses critiques en raison de son opposition ferme à la guerre, l'accusation d'antisémitisme a fait franchir une nouvelle étape à ce procédé de disqualification morale. Il suffit désormais d'être opposé à la politique israélienne, et de préférence, être à gauche, pour subir l'accusation infâme. Et là, la liberté d'expression prend un tournant inquiétant. Car accuser d'antisémitisme est quelque chose de sérieusement grave. Il salit, il disqualifie moralement le locuteur. Il suffit qu'Israël distille l'idée que le secrétaire général de l'Onu puisse être antisémite, pour que ses propos en faveur de la paix soient mis en doute, salis. Moins meurtrier qu'une bombe, l'accusation d'antisémitisme jetée à tout va aux opposants politiques, a la même volonté: faire taire. Récemment, Mélenchon s'est fait calomnier de la sorte, lui qui a toujours dénoncé toutes formes de racisme. Le député Meyer Habib lui préfère d'ailleurs le RN, qu'il juge plus "républicain". Un parti, je le rappelle, créé par des SS.

Une manifestation pro-palestinienne, ou plus basiquement, pro-paix, devient rapidement le soutien au Hamas, ou la promotion de l'antisémitisme. Cette qualification sert au logiciel raciste à l'oeuvre depuis quelque temps, et qui laisse supposer une accointance entre la gauche radicale et l'islamisme, qu'elle combat pourtant dans sa philosophie première, qui est la lutte contre le fanatisme. D'ailleurs, la gauche radicale française est bien moins soupçonnable de complicité avec le terrorisme que les Républicains, qui proposent régulièrement des conférences chèrement rémunérées au Qatar,ou de complicité avec le terrorisme, comme l'extrême-droite, dont les liens sordides avec les auteurs des attentats de 2015 ont été avérés. En réalité, ce que l'on reproche à cette gauche est de lutter contre le racisme, et de refuser les trop nombreuses dérives médiatiques racistes. On a même trouvé un mot à cette gauche qui refuse le racisme: l'islamogauchisme. Fort ressemblant à celui qu'avaient trouvé les nazis de l'époque, avec le judéo-bolchévisme (comme le montre cette analyse). Ce terme refleurit sur les plateaux télé pour attribuer l'antisémitisme à la gauche, et aux musulmans; la dernière trouvaille remonte à quelques jours, avec l'évocation d'un "antisémitisme couscous" présumé. Rien que ça. Déshonorer par les mots. Le procédé n'est pas nouveau,   Les rédactions n'hésitent pas à faire remonter les actes antisémites en les rapprochant au maximum de cette stratégie accusatoire. Jusqu'à se dédire, lorsque ça ne colle pas trop. Ainsi, le 31 octobre, alors que certaines étoiles de David étaient peints aux murs, comme dans les années 30, l'on évoquait à juste titre qu'ils étaient antisémites. Quelques heures plus tard, les fautifs trouvés s'avéraient être d'Europe de L'Est, sans doute commandités par un Russe. Passez votre chemin... Les tags antisémites devinrent de simples étoiles de David. Aucun musulman ni de gauchiste derrière. Pas intéressant... Pourtant, le danger terroriste concerne, selon le Renseignement lui-même, l'extrême droite nationaliste, avec l'émergence de groupuscules violents. Que certains d'entre eux puissent défiler librement à Paris, quand les casserolades ou manifestations anti-bombardements à Gaza y sont interdites en dit long sur le climat inquiétant qui règne en France et en Europe...

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Cette opposition de gauche, humaniste, anti-guerre, anti-coloniale, c'est précisément ce qui constituait l'essence des Kiboutz lâchement attaqués par le Hamas, précisément pour cette raison. La plupart de ces villages sont déconnectés de la politique israélienne, en tout cas, très éloignés de celle pratiquée par le gouvernement, sont autonomes et régis à la façon de petites collectivités égalitaires, inspirées du socialisme libertaire. Des valeurs radicalement opposées à ceux qui, comme Zemmour, Morano, Ciotti, viennent défiler sur les lieux de l'attentat pour nourrir discours de haine. Voir récupérer la perte de ces petits villages par des partis qui les méprisent à longueur de temps est une double tragédie.

Un nazi peut en cacher un autre...

Ce n'est pas un hasard si le RN a désormais les faveurs du centre et de la droite réactionnaire/ libérale. Entre ces partis semble avoir germé un consensus,  dans le racisme contre les Musulmans. Netanyahou est également mû par cette haine. La polémique Guillaume Meurice (lui aussi soupçonné d'antisémitisme) sur la qualification du Premier Ministre israélien de "nazi sans prépuce" a eu le mérite de rappeler une chose: Netanyahou est d'extrême-droite. Toute sa politique, qui commence lors de l'assassinat de M.Rabin, grand artisan de la paix en Israël tué par des Juifs extrémistes proches de ses idées, est régie par le racisme et la colonisation sauvage.

Illustration 3

L'occasion était trop grande pour que Meurice soit pris dans l'engrenage des accusations, mais les faits semblent têtus. Zeev Sternhell, membre de l'Académie israélienne des sciences et lettres, professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem et spécialiste du fascisme, mort en 2020, pouvait être totalement exonéré de l'accusation d'antisémitisme. Il dénonçait avec vigueur le racisme du Likoud et de ses alliés politiques, allant même jusqu'à les comparer au régime nazi à ses débuts. Dans le journal Le Temps, Maurice Sarfati rappelle qu'au sein du Likoud, Moshe Feiglin,, qui s'est récemment illustré par un appel à raser Gaza,  faisait l'éloge d'Hitler et de son génie militaire.

Un narratif en perte de puissance

En rhétorique, l'infamie et l'obscène sont les premières marques de faiblesse. Le lobbying pro-israélien -puisqu'il s'agit bien d'un lobbying, est de plus en plus dénoncé, y compris par certaines rédactions, comme celle de Bfmtv qui met en garde contre une information orientée pro-israélienne. Curieusement, en France, ceux qui  cherchent des antisémites sont souvent les mêmes qui se complaisent dans le racisme le plus infâme. C'est le cas de Cnews, qui de jour en jour, utilise le conflit pour se livrer à des surenchères racistes obscènes. La chaîne est rôdée en la matière, mais le conflit lui offre un véritable boulevard. Un des rares éditorialistes de poids à remarquer ce parallèle, Jean-Michel Aphatie, le met sur le compte du sentiment anti-arabe qui règne en France, et que l'on doit en grande partie aux médias de masse.

Illustration 4

Bien implanté dans le système médiatique français, on peut toutefois noter que ce lobbying se craquèle, y compris au sein de la communauté juive, où de nombreux intellectuels portent une voix dissonante, n'hésitant pas à dénoncer les crimes de guerre à Gaza.

Non, tous les juifs ne soutiennent pas Netanyahou. Cela semble évident, mais cette évidence met à mal la stratégie accusatoire lancée à tout va. Nombre d'intellectuels juifs dénoncent avec force ce qui se passe à Gaza. Arié Alimi expliquait, dans l'émission C politique, à quel point il était marginalisé dans la communauté juive française, pour ses prises de positions non pas "pro palestiniennes" mais simplement humanistes: la dénonciation sans hiérarchie des crimes terroristes et des bombardements qui y font suite, la création de deux états, la fin du régime de Netanyahou... Edgar Morin, pourtant insoupçonnable de sympathie pour le terrorisme, s'est vu, lui aussi, dépeint en "juif honteux",  parce qu'il avait dénoncé le système oppressif dans lequel vivaient les Palestiniens, et mis en place par un peuple qui l'avait lui-même vécu. D'autres, comme Daniel Schneidermann mènent sur les réseaux sociaux la bataille de l'information juste et objective.

Dans le monde, Noam Chomsky est depuis longtemps un opposant très farouche aux politiques colonialistes et bellicistes d'Israel. Des figures populaires comme Nathalie Portman également, avec des conséquences très dures, puisqu'elle y est interdite de territoire. Le 18 octobre, en guise de protestation des frappes indiscriminées à Gaza, 22 rabbins et des centaines de Juifs anti-Netanyahou ont investi pacifiquement le Capitole pour faire porter leur voix, qui, à l'instar de millions de Juifs, et des centaines de milliers d'Israéliens, ne veulent plus de cette politique suprémaciste. Netanyahou, en son propre pays, a fait face cette année aux plus grandes manifestations depuis la création de l'Etat hébreu, en réponse à sa réforme autoritaire du système judiciaire israélien.

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En 2023, la vision binaire du conflit israélo-palestinien n'est pus de mise, et l'impunité morale dont Netanyahou jouissait jusque là a pris un sérieux coup dans l'aile. Dans son propre pays, beaucoup veulent sa tête, et les manifestants n'hésitent pas à le traiter d'assassin. Le journal Haaretz dénonce les magouilles du Premier ministre pour renforcer le Hamas et ses calculs machiavéliques pour anéantir les chances d'obtenir la paix.

Dernièrement, un collectif de personnalités juives s'est jointe à la demande de cessez-le feu, refusant de se taire face aux exactions israéliennes. L'idée est de définitivement dire "pas en mon nom", une action gouvernementale qui tente de rallier à sa cause la population juive.

Ces voix sont précieuses, car elles font perdre en puissance tout ce narratif belliciste et affaiblissent la rhétorique accusatoire qui l'accompagne, où chaque opposant est soupçonnable d'antisémitisme, procédés qui permettent à Israël de bafouer les résolutions de l'Onu les unes après les autres depuis plus de 50 ans. C'est le seul pays au monde à bénéficier d'une telle impunité, et cette impunité nourrit le vrai antisémitisme, tout comme le sort réservé depuis des années aux Palestiniens. L'antisémitisme est un fléau qu'il faut combattre, et en utilisant ce terme à des fins politiques, la droite réactionnaire française et ses relais n'hésitent pas à s'associer aux partis qui jadis furent créés par des SS. Une deuxième mise à mort des millions de victimes de l'Holocauste.

Les morts méritent mieux que ce déshonneur et cette obscène chasse aux sorcières.

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