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Billet de blog 17 juin 2017

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Chantal Mouffe est bien contente

Chantal Mouffe qui fut l’inspiratrice des trois principaux fondateurs de Podemos et conséquemment celle de cet admirateur de Pablo Iglesias que ne cesse d’être J.L. Mélenchon, Chantal Mouffe, donc, est contente : « Heureusement le très bon score de J.L. Mélenchon à l’élection présidentielle et l’enthousiasme populaire autour de la F.I. nous montrent qu'une autre issue est possible"...

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Chantal Mouffe dont chacun sait maintenant qu’elle fut, avec son défunt compagnon Erenesto Laclau, l’inspiratrice des trois principaux fondateurs de Podemos et conséquemment celle de cet admirateur de Pablo Iglesias que ne cesse d’être J.L. Mélenchon, Chantal Mouffe, donc, est contente : « Heureusement le très bon score de J.L. Mélenchon à l’élection présidentielle et l’enthousiasme populaire autour de la France insoumise nous montrent qu’une autre issue est possible, celle d’une révolution citoyenne » assène-t-elle (Le Monde, 2 juin 2O17).

Pourtant, ces quelques lignes concluant son article me semblent sonner comme une sorte d’optimisme quelque peu forcé et me font douter de la pertinence des conseils donnés par Madame Mouffe aux chefs de Podemos et de la F.I.

Si, en effet, on ne peut nier que le score de Mélenchon à la présidentielle fut bon, on ne peut occulter qu’il fut cependant décevant comme le mit bien en évidence la tristesse boudeuse de celui-ci à l’annonce des résultats de la présidentielle. Car il y croyait, ils y croyaient les Insoumis, ce qui manifeste pour le moins un manque flagrant de clairvoyance. Qui ne sait, et cela depuis des années, que J.L. Mélenchon ne sera jamais Président de la République ? Chantal Mouffe ? On n’ose le croire.

Quant à l’enthousiasme populaire autour de la F.I. qui, dit la professeure de philosophie politique, montrerait qu’une autre issue est possible, celle d’une révolution citoyenne, n’est-ce pas là une affirmation quelque peu osée ? Car, en effet, pour ce qui est de l’enthousiasme, il y en avait au moins autant dans les meetings de Le Pen ou de Macron et qui n’était sans doute pas moins populaires.

Cet enthousiasme en outre, loin de montrer « qu’une autre issue est possible », met en évidence l’immense difficulté qu’il y a à réaliser une « révolution citoyenne », signifiants, ces derniers, qui loin d’être « vides », regorgent d’ambiguïté.

Par ailleurs, en incipit de son article, C. Mouffe affirme que depuis l’élection d’Emmanuel Macron « les médias se pâment d’admiration devant la nouveauté de son programme ». N’y a-t-il pas quelque légèreté dans cette affirmation ?

 Tous les journalistes et analystes politiques ne sont pas des naïfs et si pâmoison il y a, ce qui n’est pas contestable, c’est bien plutôt devant la singularité de l’individu parvenu au pouvoir, sa jeunesse, sa virtuosité à mettre en images sa personne et son histoire. Mais alors, que dire de la pâmoison suscitée en Espagne par le phénomène Pablo Iglesias ? Qui sait si Macron ne s’est pas inspiré lui aussi de la stratégie gramscienne de l’hégémonie culturelle et peut-être même  la théorisation du populisme (de gauche ou de droite ?).

Mouffe, cependant, a bien raison de souligner la volonté « libérale » de dépassement du clivage traditionnel gauche/droite et de rappeler à cet égard la fameuse troisième voie de Blair à laquelle se sont ralliés peu ou prou les partis sociaux-démocrates européens pour mener une politique guère différente de celle, traditionnelle, de la droite.

Elle a raison sans doute aussi de contester cette démocratie libérale du  consensus qui  efface le fait qu’il «existe dans la société des intérêts et des positions irréconciliables » et de lui opposer une « démocratie pluraliste » dans laquelle s’exprime le dissensus « d’une façon agonistique » ce qui signifie que dans un contexte agonistique, nous explique-t-elle, les opposants ne  se traitent pas en ennemis mais en adversaires.

Mais alors n’y a-t-il pas quelque ambiguïté à dénoncer la volonté de dépassement du clivage gauche/droite des libéraux et à le prôner s’agissant de la stratégie dite du « populisme de gauche » pour s’adresser non pas seulement au « peuple de gauche » mais à la « gente », aux « gens » auxquels nul ne demande s’ils sont de gauche ou de droite mais seulement de considérer qu’ils sont ceux d’en bas en conflit d’intérêt avec ceux d’en haut, la « casta » comme disaient les dirigeants de Podemos suivis évidemment par ceux de la F.I. et comme ils ne le disent plus, on se demande bien pourquoi, tentant aujourd’hui d’introduire un autre signifiant, « la trama », qui ne semble pas fonctionner aussi efficacement raison pour laquelle il n’a pas encore été repris par la F.I. ?

Nul mieux que Juan Carlos Monedero n’a exprimé cette volonté de « transversalité » (cité par J.C. Michea dans son stimulant ouvrage : Notre ennemi, le capital, p.226) :

« Ce que tu as voté hier ça nous est égal ; ça nous est égal de savoir avec quelle idéologie tu ordonnes le monde ; ça nous est égal comment tu lis, et avec quels mots, quelle image te renvoie le miroir ; ça nous est égal de savoir comment tu lis le passé et aussi si, maintenant, tu ne veux pas affronter les raisons pour lesquelles tu as rejoint la majorité silencieuse. Aujourd’hui tout cela importe moins  que de savoir si, au-delà de ton histoire tu es d’accord avec le fait que plus personne ne doit être expulsé de sa maison parce qu’il ne peut pas payer le loyer ou l’hypothèque ; personne ne doit se coucher tôt pour fuir le froid seulement parce qu’il ne peut pas payer le chauffage de son logement ; […] que les corrompus doivent payer pour leurs mensonges et que les riches doivent payer de impôts parce que la richesse est une construction sociale  où nous sommes tous nécessaires ; que nous avons des obligations et des droits dans nos « communautés » et que nous tous qui vivons ensemble et ensemble existons, d’où que nous venions, nous sommes la matière première de nos rêves et de nos espérances ». 

N’y a-t-il pas en outre quelque ambiguïté à déclarer comme le fait C. Mouffe, qu’il existe dans la société « des intérêts et des positions irréconciliables » et à proposer de régler la question « de manière agonistique » ? Je ne suis pas sûr en effet que les travailleurs en péril de licenciement disposant des bombonnes de gaz au quatre coins de l’usine l’entendent de cette oreille. Je ne suis pas sûr non plus que, prenons au hasard, Arnaud ou Bolloré puissent être considérés comme des adversaires (et non des ennemis) avec lesquels il serait convenable que les travailleurs pauvres et les chômeurs entretinssent une relation agonistique quant à une meilleure répartition des richesses.

Il est vrai cependant que C. Mouffe a trouvé en Espagne des oreilles attentives à son « populisme de gauche », celles notamment de Errejón et dans une moindre mesure celles de Iglesias et Monedero, déjà bien exercées aux tonalités gramsciennes et bien attentives aux mouvements plus ou moins démocratiques d’Amérique latine.

 Et il semblait bien que cette stratégie réussissait à merveille dans le contexte espagnol, c’est-à-dire celui d’un mouvement initié par la « gente » (vocable, ceci dit en passant, que les Insoumis traduisent malencontreusement par « les gens » le dépouillant ainsi de sa connotation sociologique et que le « podemiste » J.C. Michéa rend mieux par l’expression « gens ordinaires »).

Un mouvement donc, celui du 15-M, qui fut tout de même moins spontané qu’on ne l’a dit puisqu’il était impulsé par des « activistes » certes anonymes mais militant depuis longtemps à créer cette « spontanéité ».

En effet l’auto-organisation sur la Puerta del Sol loin de reproduire des modèles tombant du ciel perpétuait, me semble-t-il, l’historique tradition libertaire ancrée dans la Péninsule et tentait de préfigurer dans les faits, les actes et les discours les structures d’une nouvelle société, d’un nouveau mode de relations sociales. Quoi qu’il en soit le mouvement, d’une ampleur considérable, surgissait bien « en bas » sur les places et dans les rues.

Et c’est postérieurement que les professeurs-activistes de l’université complutense de Madrid qui, bien sûr, avaient participé au mouvement, se saisissant de Gramsci, tentèrent de lui donner un débouché politique. Ce qu’ils réussirent magistralement quand ils firent irruption dans le champ de la politique institutionnelle en obtenant cinq députés aux élections européennes de 2014.

 ET ce qui n’a évidemment rien à voir avec l’histoire de la F.I. dont la dynamique a suivi un mouvement strictement inverse à celui de Podemos, non pas de bas en haut mais de haut en bas. Chacun sait, car c’est une évidence, que la F.I. après le Parti de Gauche est la création de la volonté d’une seule personne (et de quelques apôtres bien sûr) dont le rêve n’est autre que de se constituer en homme providentiel.

C’est la raison pour laquelle JLM n’étant pas porté par un mouvement mais tentant de créer et de porter le Mouvement en  sacrifiant les fondements mêmes de la « culture de gauche », celle de la Commune : internationalisme, pacifisme, défiance à l’égard de l’autorité du chef quel qu’il soit, communalisme et fédéralisme proudhonien…, à ce qu’il croit être la culture des « gens » (patriotisme, nationalisme, Marseillaise, drapeaux, culte du chef…), barbotant  dans ce confusionnisme idéologique et comportemental, il ne parviendra jamais à la magistrature suprême dont il a tant rêvé et devra se contenter d’une petite députation qui le conduira paisiblement à une retraite bien méritée en compagnie de ses anciens camarades du PS et du PC.

Car l’enthousiasme et la ferveur ne suffisent pas à mobiliser les gens ordinaires s’ils ne prennent pas naissance dans une lutte menée « en bas » sur des questions non seulement concrètes mais vitales. Ainsi en Espagne les luttes contre les « desahucios », les expulsions, et contre la corruption. Ainsi en France les luttes pour la préservation des emplois, contre les délocalisations qui condamnent à la pauvreté, à la précarité, à une mort lente tant d’hommes et de femmes.

De sorte qu’il convient de considérer, comme l’existentialisme sartrien, que l’existence précède l’essence, que ce n’est pas l’Idée qui provoque le mouvement mais le mouvement, cette lutte pour la vie, qui fait naître l’Idée laquelle à son tour, dialectiquement comme disait l’autre, contribue à perpétuer le mouvement.

Ce n’est pas l’idée de justice qui produit l’occupation des appartements par les expulsés et les affrontements avec la police mais c’est cette lutte vitale qui fait naître l’idée de justice. Ce n’est pas, dans telle usine en voie de délocalisation l’idée de justice qui produit l’occupation musclée des locaux mais l’occupation et son organisation qui font surgir l’idée de justice.

Ainsi apparaît-il comme probable que le surgissement de l’idée d’un autre monde, d’un monde moins violent et plus juste dépendra des luttes pour la vie de chacun et de tous, vie menacée par la mortelle absurdité d’une économie folle qui se condamne elle-même à être enfouie et à périr sous l’amoncellement de ses propres déchets.

 Car en effet, comme le rappelle J.C. Michéa citant le philosophe américain Fredric Jameson : « Il est aujourd’hui plus facile d’imaginer la fin du monde que  celle du capitalisme » (Notre ennemi le capital, p. 254).

Peut-être alors l’idée de la nécessaire sobriété, de la salvatrice tempérance surgira-t-elle de la multiplication d’actes de parents s’opposant dans les champs et les vignobles à l’épandage de produits toxiques qui empoisonnent leurs enfants jusque sous leurs fenêtres ou dans les cours de leurs écoles. Peut-être l’Idée surgira-t-elle quand on ne pourra plus manger un abricot sans se dire comme Pierre Rabhi, non pas « bon appétit » !, mais « bonne chance ! »

Peut-être l’idée surgira-t-elle quand la vie de chacun de nous sera menacée quotidiennement par la folie consumériste d’un monde où des touristes repus consentent encore à  étaler leur serviette sur les plages d’une mer-égout qui, en outre, engloutit quotidiennement les damnés de la terre…

Peut-être s’agira-t-il alors d’une véritable révolution citoyenne advenue non pas par l’enthousiasme autour d’un homme providentiel, d’un « caudillo », mais par nécessité vitale laquelle nécessité produira peut-être alors un monde quelque peu apaisé. Sinon…

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