Voici plus de cinq ans le ministre de l'époque (se souvient-on de son nom ?) faisait appel à l'incontesté scientifique pour régler, enfin, scientifiquement, l'éternelle question de l'apprentissage de la lecture. Où en sommes-nous après cinq ans d'intenses travaux du « Conseil scientifique de l'Éducation Nationale » dont Stanislas Dehaene n'omet jamais de rappeler qu'il en est le Président ?
Au même point évidemment ! Car des questions aussi complexes que les apprentissages et l'acquisition de connaissances ne se règlent pas d'un revers d'IRM. D'autant que dès les premiers mots versés dans le poste ce matin Stanislas Dehaene nous fait part de ses a priori en forme de certitudes.
Ainsi dit-il « tous les enfants doivent savoir lire cinquante mots par minute en fin de CP ; c'est fondamental pour la suite de leur scolarité ». Et foin des singularités de tous ordres, intellectuelles, affectives, sociales qui déterminent les rythmes d'acquisition de chacun(e). Ils doivent savoir parce qu'un obscur bureaucrate, sans doute plein de bonnes intentions en a décidé ainsi. Mais au fait, question subsidiaire : ces enfants, doivent-ils comprendre ce qu'ils lisent ?
La question n'a pas été posée mais peu importe car Stanislas Dehaene nous assure que « les circuits » sont déjà présents avant même la lecture et que la question alors est celle du choix de la méthode : syllabique (phonique si l'on préfère) ou globale ? Car manifestement S.D. fait une sorte de fixation sur ce qu'il appelle, avec d'autres, la « méthode globale ».
J'ai signalé (ici) voici cinq ans les erreurs, à moins que ce ne soit les ignorances de Stanislas Dehaene en matière de pédagogie et particulièrement pour ce qui concerne la fameuse « méthode globale ». Je n'y reviens donc pas.
Qu'il me suffise de rappeler qu'il est faux de dire que le syllabique cher a S.D. est absent de la « méthode globale », il en fait partie absolument. La preuve : l'outil pédagogique privilégié par le plus célèbre des pédagogues, Célestin Freinet, était l'imprimerie. Ses élèves composaient des textes de toutes sortes en piochant dans la casse comme le faisaient à l'époque les typographes et ils composaient, leurs textes lettre à lettre (de plomb) syllabe à syllabe, phrase à phrase et comme le font aujourd'hui les enfants sur les ordinateurs. Et la notion de « globalité » sollicitée par Ovide Decroly loin de le contrarier enrichit ce B.A-BA en lui donnant du sens.
Car on n'écrit pas pour rien, ni même pour apprendre à écrire, on écrit pour s'exprimer, pour exprimer des idées, des sentiments, tout ce que l'on veut, on écrit pour « faire sens » ce sens que manifestement Stanislas Dehaene ignore.
D'où les méthodes pédagogiques actives riches de correspondances scolaires, de journaux de classe et d'école, de textes libres car il n'est nul besoin de savoir écrire « a priori », préalablement à l'expression car l'apprentissage se réalise simultanément à l'expression, expression dont O. Decroly disait qu'elle est fondée sur les « centres d'intérêt » autrement dit selon sa célèbre formule « sur la vie, par la vie, pour la vie ». Il rejoignait ainsi le poète Antonio Machado disant « el camino se hace al andar » (le chemin se fait en marchant).
Mais, basta ! On trouvera ici la fameuse lettre de Célestin Freinet, « La méthode globale cette galeuse » qui, en hommage à Decroly, expose lumineusement ce qu'il en était du « global » à son époque et qui demeure étonnement d 'une actualité absolument pertinente.