La présentation par le journal de l’intervention de Valls vaut me semble-t-il son pesant de lieux communs :
Manuel Valls, ex-Premier ministre de la France, a exposé ce mardi la nécessité pour les Espagnols de débattre de leur identité pour renforcer leur projet commun en tant que nation. Comme d’autres pays, l’Espagne souffre d’une crise d’identité. L’Espagne doit se demander « qu’est-ce qu’être espagnol ? » a déclaré l’homme politique français. L’Espagne n’a pas répondu à cette question a-t-il insisté. Il manque le récit de l’Espagne (el relato de España) a-t-il conclu. Il faut consolider un nouveau patriotisme en Espagne. En France il y a un complexe de supériorité, en Espagne d’infériorité.
Tout y passe dans cette leçon. Qu’est-ce donc qu’être espagnol ? Espagnol de Cadix comme, au hasard, son maire « Kichi » militant « anticap », comme ils disent là-bas, ou espagnol de Pontevedra en Galice, comme Rajoy, ultra réactionnaire corrompu, issu du franquisme et chef d’un parti fondé par des ministres de Franco ?
Valls évidemment ne se pose pas la question et ignore superbement que d’autres que lui et ses amis d’El País affirment que l’Espagne est une nation de nations et, se réfèrant pour cela à l’histoire, celle du « cantonalisme » (1873), du fédéralisme politique de Pi y Margall et libertaire proudhonien du mouvement ouvrier du vingtième siècle.
Mais Valls serait-il capable de répondre de manière satisfaisante à la question : qu’est-ce qu’être français ? Evidemment non, tant les réponses données au cours de l’histoire depuis la Révolution sont multiples et contradictoires.
D’autres que lui, et d’une autre trempe, s’y sont essayés et ne sont parvenus qu’à formuler un « point de vue » mais jamais une réponse satisfaisante c’est-à-dire que ne pourrait réfuter un autre point de vue et cela tout simplement parce que la question n’est pas pertinente, même pas impertinente.
Il n’y a pas de Français mais des femmes et des hommes qui par le plus grand des hasards sont nés sur cette portion de terre ou y sont venus le plus souvent pour des raisons de subsistance. J’étais Espagnol jusqu’à l’âge de dix-huit ans et je n’ai pas choisi de devenir Français par je ne sais quel amour pour je ne sais quelle France, pour sa littérature ou son paysage, sa langue ou son histoire mais pour trouver du travail plus facilement.
Et la patrie ? On ne parle pas assez de la patrie en Espagne, affirme Valls, à cause des quarante ans de franquisme, ce qui serait une bonne raison, qui est pour nombre d’Espagnols une bonne raison mais ce qui est faux. Pablo Iglesias n’a jamais cessé depuis la création de Podemos de proclamer sa fierté d’être Espagnol (orgulloso de ser espagnol), de glorifier « mi patria » et ce n’est pas, à mon avis, ce qu’il a dit de plus intelligent. Comment être fier de ce pourquoi notre volonté n’est pas intervenue? Sans doute peut-on être heureux de vivre dans un pays « riche » plutôt que dans une contrée misérable mais fier ?, certainement pas puisque nous n’y sommes pour rien.
Passons, passons sur le bavardage de Valls à propos de la Transition et de la constitution de 1978, dont il omet de dire qu’elle a laissé en place des pans entiers de l’administration franquiste, pour faire l’éloge des artisans de cette transition : Adolfo Suarez ce chef de la « Phalange » sous et encore après la mort de Franco, Felipe Gonzalez chef des socialistes qui n’hésite pas, à peine devenu président du Gouvernement à partir en vacances avec le bateau (el Azor) que Franco utilisait pour aller à la pêche au gros et dont le long « règne » (1/12/82 – 4/5/96) regorgea de scandales politiques et financiers pour finir sa carrière en millionnaire siégeant dans des conseils d’administration. Et jusqu’à José María Aznar ancien président d’un gouvernement de corrompus dont la plupart des ministres furent poursuivis et certains emprisonnés pour des faits de corruption.
Bref, on le voit, du beau monde sur lequel Valls tient des propos amènes. Et il n’oublie pas en passant de rappeler qu’il fut, lui, un fils d’immigrés (emigrantes) dans les années 60 jouant sur les connotations actuelles du mot (pauvreté, discrimination, marginalité, etc.). Il ment bien sûr, il était l’enfant d’intellectuels venus en France pour y faire carrière (ce que nul ne songe à lui reprocher). Ses parents et grands-parents n’avaient pas pataugé dans la neige des Pyrénées en février 1939 comme les centaines de milliers de vaincus après trois ans de guerre contre le fascisme et à l’orée d’un nouveau combat que nombre d’entre eux menèrent dans les maquis ou les Compagnies de Travailleurs étrangers. Mais de ce monde, comme celui des « immigrés » économiques » des années cinquante, Valls n’en parle pas. Car il ne le connaît pas. Et il donne des leçons.